La France va-t-elle bientôt connaître une décision fondatrice pour la justice climatique comme en ont connu les Pays-Bas et l'Allemagne tout récemment ? Ce devrait être le cas d'ici deux à trois semaines si le Conseil d'État décide de suivre les conclusions de son rapporteur public, Stéphane Hoynck, dans l'affaire Grande-Synthe.
Dans cette affaire, la ville de Grande-Synthe (Nord) et son maire de l'époque, Damien Carême, ont attaqué le refus du Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour respecter les obligations climatiques de la France. Les requérants avaient été rejoints dans leur action par les villes de Paris et de Grenoble, ainsi que par les quatre associations écologistes (Notre Affaire à tous, Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France) à l'origine de l'Affaire du siècle, l'autre grand contentieux climatique en cours devant les juridictions françaises.
Par une première décision en date du 19 novembre 2020, qualifiée de « tsunami juridique (1) » par les professeurs de droit Béatrice Parance et Judith Rochfeld, le Conseil d'État a admis la recevabilité des requêtes des villes de Grande-Synthe mais aussi de celles de Paris et de Grenoble. Surtout, il a constaté le non-respect du budget carbone de la France pour la période 2016-2019 et donné un délai de trois mois au Gouvernement pour qu'il donne la preuve de sa capacité à atteindre l'objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2030. Un objectif qui, entre-temps, a été rehaussé par l'Union européenne qui vise maintenant une réduction de 55 % pour cette même échéance.
« Prendre toute mesure permettant d'infléchir la courbe »
Lors de l'audience qui s'est tenue ce vendredi 11 juin au Conseil d'État, le rapporteur public a conclu à l'annulation du refus implicite de l'État à agir. Mais, surtout, il demande à la Haute juridiction administrative de contraindre l'État à prendre sous neuf mois toute mesure permettant d'infléchir la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national pour la rendre compatible avec les objectifs de réduction fixés par la loi énergie-climat du 8 novembre 2019.
Le rapporteur public n'a, semble-t-il, pas été convaincu par la défense de l'État fondé principalement sur le projet de loi Climat et résilience encore en cours de discussion au Parlement. Il faut dire que pas moins de trois instances, le Haut Conseil pour le climat, le Conseil national de transition écologique et le Conseil économique, social et environnemental, ont jugé ce texte insuffisant. Par un mémoire réalisé avec l'aide du bureau d'études Carbone 4, les associations de l'Affaire du siècle ont également montré que les mesures actuelles adoptées par la France sont insuffisantes pour atteindre les objectifs climatiques qu'elle s'est fixée.
La décision attendue devrait aussi avoir une incidence sur l'Affaire du siècle, pour laquelle le tribunal administratif de Paris a rendu une première décision le 3 février dernier. « En février, le tribunal administratif de Paris a reconnu que l'État était hors-la-loi. Or le rôle de la justice, c'est de protéger la société. Les juges ont une opportunité inédite de réaffirmer leur rôle essentiel dans la démocratie et de défendre nos droits fondamentaux, en mettant l'État face à ses responsabilités », réagit Guillaume Hannotin, avocat des associations de l'Affaire du siècle.