Après l'enthousiasme et les grandes annonces, le temps du pragmatisme est-il venu pour le marché de l'hydrogène dans le secteur du transport ? Si une première ligne de trains équipés par Alstom de piles à combustible fonctionne bel et bien en Basse-Saxe, via la compagnie LNGV, ce land allemand vient d'annoncer qu'il renonçait à acheter de nouvelles rames à hydrogène. Raison principale invoquée : leur coût d'exploitation, plus élevé que celui de leurs équivalents à batteries. Les prochains appels d'offres porteront donc désormais plutôt sur cette deuxième solution. Début 2022, pour le même motif, la métropole de Montpellier abandonnait également son projet d'acheter 51 bus à hydrogène. « Nous étions aidés sur l'investissement mais pas sur le fonctionnement. Or, il reviendrait six fois plus cher qu'avec des bus électriques », expliquait alors le président de la collectivité, Michaël Delafosse.
Une décision qui n'étonne pas la chercheuse en Climat-Energie de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Ines Bouacida. « On a tendance à l'oublier, mais l'hydrogène vert est un vecteur énergétique rare et cher, amené à rester rare et cher, rappelle-t-elle. Le prix des électrolyseurs pourrait considérablement baisser dans les années à venir, peut-être des trois quarts, mais ce ne sera pas forcément le cas de celui de l'électricité renouvelable ou nucléaire qui sert à le fabriquer et qui représentera toujours la partie la plus importante de son coût ». Or, l'efficacité énergétique de l'hydrogène sera toujours bien moindre que celle de l'électricité. « Comme à chaque fois que l'on convertit une énergie en une autre énergie », précise Ines Bouacida.
Un coût global plus élevé que prévu
En termes d'équipement et d'entretien, le 100 % électrique s'avèrerait aussi plus intéressant. Dans une note publié en décembre dernier, à propos des camions, l'ONG Transport&Environment estimait que « la baisse du coût d'achat combinée au faible coût d'usage permettra d'obtenir avant la fin des années 2020 une parité des coûts totaux de possession entre thermiques et électriques. » Mais les bus sont également concernés. En janvier dernier, dans un communiqué, la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) incitait ainsi les collectivités à la prudence dans leurs choix en la matière.
« Les coûts d'une conversion à l'hydrogène devraient être systématiquement comparés avec d'autres solutions avant de choisir cette technologie, au risque sinon de faire exploser les budgets des collectivités, précisait-elle. L'utilisation directe de l'électricité, de deux à trois fois plus efficace, est de loin préférable, y compris par recharge de batteries ». Pour une autonomie presque équivalente, la Fnaut évalue à 600 000 ou 700 000 euros le prix d'un un bus de 12 mètres à hydrogène contre 450 000 à 600 000 euros pour un bus à batteries.
Des évolutions technologiques qui changent la donne
En termes de priorités, la stratégie française pour l'hydrogène présentée en 2020 avait placé à égalité les secteurs de l'industrie et de la mobilité lourde, y compris « les véhicules utilitaires légers, poids lourds, bus, bennes à ordures ménagères, trains régionaux ou inter-régionaux en zone non électrifiée », faute de batteries électriques suffisamment puissantes. Depuis, la situation a quelque peu évolué. La valeur ajoutée de l'hydrogène pour la décarbonation pour l'industrie ne fait toujours aucun doute, pour la chimie, la raffinerie ou la fabrication d'acier, notamment. Elle n'est pas non plus remise en cause pour le transport maritime, à moyens termes, et pour l'aérien, à l'horizon 2040.
En revanche, les progrès accomplis par les batteries en matière de stockage d'énergie et de poids bouleversent inconstablement la donne pour le ferroviaire, les bus et les camions. Pour le train, une autonomie d'une centaine de kilomètres est désormais possible. Pour les bus, elle atteindrait 250 kilomètres. Pour les camions, tout dépend de l'arbitrage des transporteurs entre volume de fret et kilométrage. Mais les experts évaluent à 60 % la proportion de poids lourds susceptibles de rouler au 100 % électrique avec un besoin en autonomie de moins de 500 kilomètres par jour.
Une pluralité de choix
« Il ne faut pas opposer les deux solutions : elles sont complémentaires, nuance toutefois Benoît Calatayud, directeur transition énergétique du cabinet Capgemini H2. Chaque cas est spécifique. Aujourd'hui, une pluralité de technologies permet de répondre à différents usages ». Pour celui-ci, mieux vaut se concentrer sur les potentiels de décarbonation de chacune en fonction des usages et comparer finement leurs coûts totaux de possession durant toute la durée de vie du véhicule, aides publiques comprises. « Les petits projets isolés de quelques bus ici ou là pour quelques mégawatts ne sont plus de mise, mais des économies d'échelle peuvent toujours être réalisées en agrégeant des usages industriels et de la mobilité au sein d'écosystèmes renforcés », remarque-t-il.
De quoi limiter, déjà, le coût de l'électrolyseur. Pour ce qui concerne celui de l'électricité, il pourrait être réduit via le développement des contrats de long terme avec les producteurs d'énergie renouvelable, les Corporate Power Purchase Agreement, ou encore par l'importation d'un hydrogène plus abordable fabriqué hors de nos frontières. C'est d'ailleurs la solution envisagée par l'Allemagne. Mais les technologies nécessaires à cette opération ne sont pas forcément matures, l'organisation d'un tel marché encore moins, et sa transformation, son stockage puis son transport représenteront toujours un surcoût.
Une stratégie bientôt révisée
Reste le complément de rémunération projeté par le Gouvernement qui pourrait faire baisser le prix de fabrication de l'hydrogène à trois ou quatre euros le kilo. La mesure figurera certainement dans la révision de la stratégie hydrogène, attendue à la fin de ce mois d'août ou en septembre. « Le transport reste le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France. Il faut de toute façon mettre des moyens dans sa décarbonation », commente Benoît Calatayud. Le texte réévaluera-t-il, malgré tout, les usages à privilégier ? Difficile de le dire à ce stade. Il devrait en tout cas insister sur la nécessité de renforcer les écosystèmes caractérisés par une forte demande, qui bénéficieront d'ailleurs d'une nouvelle enveloppe de 175 millions d'euros dans le cadre de France 2030. « Il ne faut pas diluer les soutiens, explique Benoît Calatayud. Les prochains appels d'offres se recentreront certainement sur une logique de bassin ».
Quoi qu'il en soit, douze rames de train à hydrogène, commandées à Alstom, en cours de test, devraient circuler en 2025, en Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie, Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes. En avril dernier, le constructeur annonçait aussi la signature d'un partenariat avec Engie pour fournir des solutions hydrogène clé en main au fret ferroviaire. En France, en kilométrage, un peu moins de la moitié des lignes ferroviaires, non électrifiées, fonctionnent aujourd'hui encore au diesel. Celles qui ne pourront pas se contenter de l'électrique, seront peut-être converties à l'hydrogène. Mais elles se caractérisent par un trafic moindre, souligne Ines Bouacida. « Il ne s'agira donc pas d'une évolution massive ».