Tilenga et Eacop : deux projets pétroliers menés par l'entreprise TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie. L'un, un forage de plus de 400 puits de pétrole, l'autre un oléoduc, destiné à acheminer ce pétrole de l'Ouganda, pays enclavé, vers le port tanzanien de Tanga. Ces projets, extrêmement controversés depuis leur annonce, ont déjà fait l'objet d'une procédure judiciaire menée par cinq associations de protection de l'environnement, qui n'a pas abouti.
La bataille judiciaire se poursuit aujourd'hui par l'annonce d'une nouvelle action en justice. Le recours, engagé par 26 personnes directement affectées par le projet et cinq associations françaises et ougandaises (1) , se fonde de nouveau sur la loi sur le devoir de vigilance pour demander réparation des préjudices subis par les communautés locales du fait du développement du mégaprojet, dont les travaux ont débuté en 2022.
Une nouvelle voie juridique empruntée par les demandeurs
La loi sur le devoir de vigilance permet deux voies de recours contre une entreprise qui ne respecterait pas les obligations qu'elle prescrit : d'une part, la demande d'injonction, permettant de saisir le juge français avant la survenance de violations de droits humains. Le juge peut ordonner une mise en conformité du plan de vigilance et la mise en œuvre de mesures concrètes pour empêcher la survenance des violations ; d'autre part, la demande de réparation, qui permet d'engager la responsabilité civile de l'entreprise et de la condamner à réparer les préjudices subis.
De nombreuses violations relevées
Violations du droit à l'alimentation et du droit de propriété, compensations financières insuffisantes, inondations répétées impactant les cultures et les villages avoisinants, consentement vicié des personnes qui affirment avoir subi pressions et menaces…, les demandeurs reprochent de nombreux manquements à la société pétrolière.
Ils accusent cette dernière de ne pas avoir identifié, au sein de son plan de vigilance, les risques d'atteintes graves aux droits humains de son projet, et de n'avoir pas réagi lorsqu'elle en a été alertée. « Aucune mesure relative aux déplacements de population, à la limitation d'accès à leurs moyens de subsistance ou encore aux menaces aux défenseurs des droits humains n'apparaît dans les plans de vigilance de Total de 2018 à 2023 », peut-on lire dans le communiqué de presse des associations demanderesses.
« Les pressions étaient vraiment très fortes : ils sont venus chez nous plusieurs fois (Atacama, l'autorité pétrolière, et Total), pour nous intimider et nous forcer à signer », témoigne Kisembo Rugadya, l'un des demandeurs. « J'ai passé trois ans après la date limite d'éligibilité avant de recevoir une compensation, je n'avais rien à manger (...) », atteste Kennedy Wandera, également demandeur.
TotalEnergies se défend des accusations
Dans un communiqué publié le 23 juin dernier sur son site, intitulé « 10 idées reçues sur les projets Tilenga et Eacop », l'entreprise se défend des accusations de ces dernières années. « (…) Il n'est pas question de déplacer des centaines de milliers de personnes. Ce sont au total 775 foyers, soit environ 5 000 personnes, qui seront relogées à proximité et dans de meilleures conditions sur 5 600 hectares acquis. (…) Par ailleurs, toutes les parties prenantes concernées sont régulièrement consultées et informées de l'évolution du projet », assure Total, qui insiste sur le fait que ce projet va améliorer les conditions de vie des personnes affectées. « On peut se demander si le désir d'empêcher des pays comme l'Ouganda de bénéficier de ses ressources naturelles ne relève pas, elle, d'une vision néocoloniale, à tout le moins égoïste. Un pays développé, avec des infrastructures répondant aux besoins les plus essentiels de la population, c'est ce que les habitants sur place demandent », argumente la société pétrolière.
« Ça suffit ! »
De leur côté, les associations dénoncent de fausses assertions. « Contrairement à ce que prétend Total, son mégaprojet pétrolier est loin de contribuer au développement des communautés ougandaises : c'est un projet néocolonial qui n'a fait que menacer l'avenir de dizaines de milliers de personnes dans un pays autoritaire où toute contestation est étouffée, voire réprimée », soutient Pauline Tétillon, coprésidente de l'association Survie. « Maintenant, nous disons "ça suffit !", nous devons défendre absolument la liberté d'expression et d'opinion, nos voix comptent pour un avenir meilleur », martèle Maxwell Atuhura, défenseur des droits humains également partie dans l'affaire.
Les espoirs des demandeurs reposent donc sur la loi sur le devoir de vigilance qui, « bien qu'elle contraigne les communautés à un combat de David contre Goliath en leur faisant porter la charge de la preuve, leur offre la possibilité de demander justice en France et de faire enfin condamner Total pour ses violations à répétition des droits humains », ajoute Pauline Tétillon.