En 2022, 260 000 tonnes de panneaux solaires ont été mis sur le marché. Soren, l'éco-organisme chargé de leur recyclage, en a collecté 3 582 tonnes, grâce à dix points de regroupement disséminés sur le territoire français. Et les a ensuite acheminés vers cinq centres de traitement opérés par des mandataires, dont deux hors du territoire français (Belgique et Allemagne), selon le rapport d'activité 2022 de l'éco-organisme.
Les deux grands procédés de recyclage mis en avant par Soren sur son site sont le broyage, suivi de la séparation des éléments par densimétrie, courants de Foucault et aéraulique ; et la délamination par lame chauffante, dont « l'efficacité demeure relative avec des panneaux que l'on récupère souvent fracturés », explique Christophe Joussot-Dubien, directeur de l'Institut des sciences et technologies pour une économie circulaire des énergies bas carbone (Isec), affilié au CEA.
Face aux enjeux inhérents à la filière, de nouveaux projets se voulant plus efficaces et moins consommateurs en ressources voient le jour. Focus sur la méthode de délamination des panneaux solaires par CO2 supercritique, lancée par le CEA en 2015 et brevetée en 2018.
Tentatives de délamination par CO2 supercritique
Un panneau solaire est un millefeuille composé d'un châssis, de verre, d'un encapsulant traditionnellement de type EVA (une résine chimique très adhésive et non conductrice), de cellules majoritairement en silicium et, enfin, d'un backsheet, un autre polymère multicouche. « Une configuration qu'on retrouve dans 90 % des produits vendus sur le marché, indique Nicolas Defrenne, directeur général de Soren, et qu'il s'agit de valoriser à 87 % de son poids, selon les textes. » Une piste que Guy Lumia, co-inventeur de la solution de délamination brevetée par le CEA, a souhaité suivre en utilisant du gaz carbonique en conditions supercritiques (température sup. à 31 °C et pression sup. à 74 bars), pour profiter des propriétés que lui confère cet état – à savoir une grande diffusivité et un pouvoir de solvant.
Les polymères sont des composants organiques utilisés pour encapsuler les cellules photovoltaïques. Ils sont réticulés, c'est-à-dire qu'ils sont reliés par des liaisons chimiques faites pour assurer leur solidité et leur cohésion. « L'expérience a commencé en 2015. L'idée première était d'utiliser du CO2 en conditions supercritiques pour solubiliser ces liaisons chimiques, et récupérer indépendamment chacun des éléments des polymères. Le premier essai nous a permis uniquement de décoller les bords d'un échantillon épais, large et long comme un timbre », se souvient Guy Lumia.
Des perspectives partagées ?
En 2021, a débuté le projet européen Photorama. Doté d'un budget de plus de 10 millions d'euros et rassemblant 13 partenaires européens, dont le CEA et l'éco-organisme Soren, il a pour but de donner « une nouvelle perspective dans le recyclage du photovoltaïque », selon sa communication. Il se concrétisera par le développement d'une ligne pilote dans les locaux de l'industriel LuxChemtech GmbH, en Allemagne, en octobre 2024. L'occasion pour Lucas Liotaud et son équipe d'avancer de quelques pas supplémentaires vers l'industrialisation de leur solution. « Nous testons maintenant notre solution sur des surfaces de 400 cm2 (soit 20 cm par 20 cm) au laboratoire. La prochaine étape demande la création d'un autoclave, pouvant accueillir des dalles de panneaux solaires réels en fin de vie, et qui n'est pas encore fabriqué jusqu'à ce jour », explique Lucas Liotaud.
Il s'agira aussi pour eux de penser l'évolution de leur technologie. Par exemple, l'encapsulant de type EVA est la norme sur les panneaux solaires actuels et, de fait, celui sur lequel Lucas Liotaud et son équipe ont le plus de retours d'expérience. Mais qu'en sera-t-il avec les matériaux de demain ? L'équipe du CEA souhaite en tout cas mettre en avant la versatilité de sa solution. Un avis que tempère le directeur de Soren, pour qui la technologie supercritique n'est pas mature et la question de sa pertinence industrielle pas encore à l'ordre du jour. Et Lucas Liotaud d'admettre : « C'est vrai, mais à leur première utilisation, les fluides supercritiques sont souvent considérés comme une rupture technologique et donc comme peu matures, quelle que soit la filière d'industrialisation considérée. » Au-delà des divergences de point de vue et d'une certaine « résistance au changement » de la part de certains acteurs, selon Guy Lumia, on espère en tout cas que des perspectives sont bien partagées.
Une interrogation à laquelle Claire Aggrafeil, coordinatrice du projet Photorama, souhaite apporter une réponse : « Le cadre d'un projet européen est la rencontre entre la recherche et l'industrie, deux mondes parfois assez éloignés. Mais notre mission est collective, c'est celle de créer une vision partagée au service de nos objectifs techniques pour opérer un transfert technologique et développer un modèle économique viable. Bien sûr, nous avons rencontré des défis techniques, mais la collaboration dynamique et la synergie entre les équipes ont permis d'apporter des solutions de complémentarité entre technologies. Et nous sommes confiants quant à la réussite de la ligne pilote, une nouvelle étape vers l'industrialisation de ces technologies de recyclage. »