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Stocamine : le juge administratif fait appel au droit des générations futures

La décision du Conseil constitutionnel du 27 octobre 20231 sur les générations futures n'a pas fini de faire des vagues... et des petits. L'ordonnance rendue par le tribunal administratif de Strasbourg en est la première application.

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Droit de l'Environnement N°327
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°327
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 Stocamine : le juge administratif fait appel au droit des générations futures
Corinne Lepage
Avocate associée, Huglo Lepage Avocats
   

Après avoir analysé l'ordonnance rendue par le tribunal administratif de Strasbourg, nous reviendrons sur sa base, la décision du Conseil constitutionnel, et tenterons une rapide réflexion prospective.

I. L'ordonnance de référé rendue par le tribunal administratif de Strasbourg

La question posée concernait le stockage définitif et irréversible de déchets extrêmement dangereux dont on sait qu'à très long terme, ils pollueront de manière inexorable la nappe d'Alsace.

Il faut rappeler que par arrêté en date du 3 février 1997, la société Stocamine avait été autorisée à exploiter un stockage de déchets souterrains réversibles de déchets industriels d'une quantité maximum de 320 000 tonnes, pour une durée de 30 ans au sein de cavités situées à environ à 600 mètres sous terre.

Un incendie, survenu le 10 septembre 2002 dans le bloc 15, a interrompu cette exploitation.

Par arrêté en date du 23 mars 2017, le préfet du Haut Rhin avait autorisé la société des Mines de potasses d'Alsace, qui avait repris les droits et obligations de Stocamine, à prolonger ce stockage pour une durée illimitée.

Un premier arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 15 octobre 2021 (1) avait annulé cet arrêté. Un nouvel arrêté en date du 28 janvier 2022 était intervenu pour mettre en demeure la société des Mines de potasses d'Alsace de régulariser sa situation administrative et avait prescrit des mesures conservatoires. Par jugement en date du 12 janvier 2023, le tribunal administratif avait annulé les dispositions de cet arrêté qui autorisait la poursuite des travaux.

C'est dans cette logique qu'est intervenu, après enquête publique, l'arrêté du 28 septembre 2023 autorisant la prolongation pour une durée illimitée de l'autorisation donnée à la société des Mines de potasses d'Alsace de stocker les produits dangereux, non radioactifs en couches géologiques profondes.

Ce choix avait été précédé d'un certain nombre d'expertises dont une au moins avait donné un résultat contraire quant à la faisabilité de l'extraction.

En particulier, la solution robotique qui avait pourtant été utilisée avec succès à Fukushima n'a absolument pas été explorée.

C'est la raison pour laquelle les demandeurs soulignaient que le projet n'avait pas été appréhendé dans son ensemble et qu'aucune solution alternative n'avait été exposée ou recherchée.

La première question qui pouvait se poser était bien entendu celle de l'urgence. Le tribunal n'a pas retenu l'argumentation des Mines de potasses et de l'État tendant à considérer que la mine ne serait accessible dans des conditions de sécurité acceptables que jusqu'en 2027, qu'il y avait donc urgence à exécuter l'arrêté. Il a, en revanche, fait droit à l'argumentation des demandeurs.

S'agissant du fond, la motivation du tribunal administratif est quasiment laconique : « en l'état de l'instruction, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article premier de la charte de l'environnement, éclairé par le 7e alinéa de son préambule et de celles de l'article L. 211-1 du code de l'environnement et de ce qu'il n'est pas justifié que les déchets stockés dans le bloc 15 ne peuvent être déstockés sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté ». Autrement dit, le tribunal administratif a repris mot pour mot la formulation retenue par le Conseil constitutionnel en y ajoutant une référence à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. Cette formulation et sa genèse sont examinés au point suivant de cet article.

L'article L. 211-1 est la disposition générale concernant la gestion durable de l'eau. Il prévoit notamment dans son article 1, 2°, «  la protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversement, écoulement, rejet, dépôt, direct ou indirect de matière de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques qu'il s'agisse des eaux superficielles souterraines ou des eaux de la mer, dans la limite des eaux territoriales ». En l'espèce, le risque à long terme de la pollution de la nappe d'Alsace par percolation est indiscutable.

Ainsi, non seulement la référence aux droits des générations futures et à la sauvegarde de leurs droits fonde le jugement mais, de surcroît, le lien entre les générations futures et l'article L. 211-1 du code de l'environnement implique que la gestion durable de l'eau soit faite aussi en considération des générations futures.

Même si cet aspect n'est pas développé, il apparaît quand même comme essentiel.

L'État et les Mines de potasses d'Alsace disposent d'un délai de 15 jours pour faire un pourvoi en cassation. Et, bien entendu, restera le jugement sur le fond.

En effet, bien d'autres moyens pouvaient être invoqués à l'encontre de cet arrêté. Mais il est clair que ce sujet est majeur, et pourra impacter bien d'autres types de décisions.

II. La genèse et la justification du raisonnement du Conseil constitutionnel appliqué par le tribunal administratif de Strasbourg

La décision du 27 octobre 2023 du Conseil constitutionnel a été rendue à propos de Cigéo, un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs.

La première question était technique. Il s'agissait de savoir s'il y avait ou non possibilité de réversibilité, dès lors qu'à l'expiration du délai minimal d'un siècle, les issues seraient bouchées lors de la fermeture du stockage.

La seconde question était de nature purement juridique, à savoir, si une irréversibilité pouvait ou non être regardée comme portant atteinte aux droits des générations futures, élevé au rang de principe de valeur constitutionnelle.

Sans doute le Conseil constitutionnel français n'est-il pas la première juridiction, suprême ou non, à se poser la question. Dans un arrêt très commenté du 24 mars 2021 (2) , la Cour constitutionnelle de Karlsruhe avait affirmé que le devoir de protection de la vie et de la santé humaine contre les dangers émanant du changement climatique, qui figure dans la loi fondamentale allemande, s'appliquait également envers les générations futures, dont le respect des droits fondamentaux pourrait être mis en cause par les dangers du changement climatique.

Plus récemment, dans une décision du 14 août 2023, la Cour du premier district de l'État du Montana a reconnu la violation des droits constitutionnels des jeunes générations en raison du dérèglement climatique.

En France, la question n'avait pas encore été totalement tranchée, même si dans sa décision du 12 août 2022 (3) , le Conseil constitutionnel, après avoir pris soin de présenter la jurisprudence générale sur la charte de l'environnement, avait notamment rappelé sa décision du 31 janvier 2020 (4) par laquelle il avait été jugé qu'il découlait du préambule de la Charte de l'environnement que « la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle ».

Il avait notamment rappelé que cette décision était fondée sur certains termes du préambule de la Charte, en particulier sur le fait que « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel (…) afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Une décision du 13 mai 2022 (5) , avait affirmé que « s'il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, il ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l'article 1er de la Charte de l'environnement »,et que « les limitations apportées par le législateur à l'exercice de ce droit doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ».

La décision d'août 2022 (6) avait posé les bases de ce qui est désormais l'interprétation du Haut Conseil. Il avait en effet jugé « qu'il résulte du préambule de la Charte de l'environnement que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation et que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins. Dès lors, sauf à méconnaitre l'article premier de la Charte de l'environnement, ces dispositions ne sauraient s'appliquer que dans le cas d'une meneuse grave sur la sécurité d'approvisionnement en gaz ».

Dans sa décision du 27 octobre 2023, le Conseil constitutionnel franchit un pas supplémentaire. Il s'agissait d'apprécier la constitutionnalité de l'article L. 542-10-1 du code de l'environnement dans sa rédaction résultant de la loi du 25 juillet 2016 qui autorise la création d'un centre de stockage en couche géologique profonde assurant la réversibilité.

La question posée était celle de savoir si l'absence de garantie de réversibilité au-delà de 100 ans constituait une violation de la Constitution et notamment du droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Liant Le 7e alinéa du préambule de la Charte de l'environnement  rappelé ci-dessus et l'article premier de la Charte, comme cela avait été fait dans la décision précédente d'août 2022, le Conseil constitutionnel considère « qu'il découle de l'article 1er de la Charte de l'environnement éclairé par le 7e alinéa de son préambule que, lorsqu'il adopte des mesures susceptibles de porter une attaque grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne commettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins en préservant leur liberté de choix à cet égard. Les limitations rapportées par le législateur à l'exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ».

En l'espèce, le Conseil a estimé que l'objectif même du stockage était d'éviter que la charge de gestion des déchets soit reportée sur les générations futures. De plus, la mise en œuvre des moyens nécessaires à une mise en sécurité définitive garantissant sa réversibilité par la progressivité de la construction, son adaptabilité et la flexibilité d'exploitation du stockage, la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés, la limitation de l'autorisation de mise en service à une phase pilote qui devait être suivie d'une autorisation de fermeture définitive d'ordre législatif et enfin la participation des citoyens assurée tout au long de l'activité permettaient de juger que les dispositions incriminées ne méconnaissaient pas les exigences de l'article premier de la Charte.

Le principe étant fixé, l'intérêt était d'en voir l'application et l'ordonnance rendue par le tribunal administratif de Strasbourg en est une bonne illustration.

Reste à savoir quelles pourraient être les applications à l'avenir de ce principe.

III. Les évolutions futures

L'introduction d'un droit des générations futures est en réalité une obligation pour les générations présentes, qui pourra faire l'objet de très nombreuses applications. Mais, au-delà, la principale innovation résulte du questionnement préalable à l'examen de la légalité. Il ne s'agit plus, en effet, de mesurer les effets directs ou indirects d'un projet mais bien de s'interroger sur le très long terme. Or, dans cette logique, la réversibilité ou l'irréversibilité d'un choix vont jouer un rôle central. Par exemple, les rejets de PFAS (7) , qualifiés de polluants éternels, ne pourraient pas être autorisés, pas plus que les rejets de produits toxiques dont l'élimination est quasi impossible.

La destruction de certains milieux, comme les zones humides, difficiles à reconstituer, pourrait également sortir du domaine des possibles.

Il ne s'agit là que de quelques exemples qui montrent comment nos logiciels d'évaluation des décisions et, par voie de conséquence, de contrôle de leur légalité devraient évoluer dans les années qui viennent.

***

Ainsi, toute transformation majeure d'un milieu, tout choix technologique irréversible pourra faire l'objet d'un débat sur la même base juridique.

Il est tout à fait clair que l'entrée en force de la question du droit des générations futures dans notre système jurisprudentiel va permettre de poser la question du long terme dans des termes totalement nouveaux. Nous ne sommes qu'au préambule de cette profonde transformation des règles de procédure comme de fond de droit.

1. CAA Nancy, 15 oct. 2021, n° 19NC024832. Cour constitutionnelle de Karlsruhe, 24 mars 2021, Neubauer et a. c. Allemagne3. Cons. const., 12 août 2022, n° 2022-843 DC4. Cons. const., 31 janv. 2020, n° 2019-823 QPC5. Cons. const., 13 mai 2022, n° 2022-991 QPC6. Cons. const., 12 août 2022, op. cit.7. Composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés

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