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Adapter au climat les infrastructures routières et ferroviaires : un parcours minutieux, mais payant

Bâtir une stratégie d'adaptation au réchauffement climatique pour les routes ou les voies ferrées, des infrastructures particulièrement écosystémiques, nécessite beaucoup de méthode, de rigueur et de persévérance. Détails de la marche à suivre.

Gouvernance  |    |  N. Gorbatko
Adapter au climat les infrastructures routières et ferroviaires : un parcours minutieux, mais payant
Actu-Environnement le Mensuel N°440
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°440
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Parmi tous les secteurs d'activité susceptibles d'être affectés par les dérèglements climatiques, celui des transports figure parmi les plus complexes à appréhender. En effet, ses réseaux concernent déjà de multiples acteurs : gestionnaires d'infrastructures, collectivités locales, usagers, employeurs… Ainsi, en cas d'événement extrême, comme une forte inondation rendant routes et voies ferrées impraticables, c'est tout un territoire qui peut se retrouver plus ou moins longtemps à l'arrêt. Situés à l'air libre, des infrastructures ou équipements très divers sont également susceptibles d'être touchés : ponts, remblais, voies ferrées, postes électriques, chaussées, plateformes, etc. Les responsables en sont différents pour chacun : EDF ou Enedis pour les réseaux électriques, la SNCF pour les voies, la commune pour certains ponts…

Tous les réseaux n'ont pas non plus les mêmes normes de sécurité ni le même périmètre à prendre en compte. Pour certains, celui-ci sera cantonné à des voies et à leur emprise. Pour d'autres, il comprendra de vastes espaces. Leur horizon temporel varie aussi : très lointain pour un département, quelques décennies pour une société concessionnaire… Même hétérogénéité dans les enjeux et les contraintes : reliées les unes aux autres, les routes présentent l'avantage d'être relativement interconnectées, permettant un report lorsque l'une d'elles est bloquée, mais leur gestion doit parfois tenir compte d'impératifs environnementaux, comme la présence de trames vertes et bleues ou d'un site Natura 2000. Le transport ferroviaire, de son côté, est sujet aux incidents en cascade. Un train à l'arrêt quelque part en immobilise quantité d'autres.

Des méthodes pour défricher le terrain

Autre élément de complexification : entre décarbonation, numérisation et développement du report modal, le transport vit une période de forte évolution. « C'est autant d'éléments à intégrer dans les stratégies d'adaptation », souligne Robert Bellini, responsable du pôle adaptation au changement climatique de l'Agence de la transition écologique (Ademe). Enfin, certains gestionnaires, comme la SNCF ou les sociétés d'autoroute, disposent de budgets plus importants à consacrer aux études et à des diagnostics que les collectivités locales. « Ces dernières seront souvent plus enclines à investir dans une solution d'adaptation que dans une étude dont elles pensent déjà connaître les conclusions », analyse Fabien Palhol, directeur de la recherche et de l'innovation au Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement (Cerema).

Afin d'aider les uns et les autres à développer des stratégies éclairées, l'Ademe et le Cerema ont chacun construit des méthodes de travail : en trois grandes phases et baptisée Tacct (trajectoires d'adaptation au changement climatique des territoires) pour la première ; en dix étapes, assurant une approche globale, pour le second. Tous les deux partent d'abord des enjeux locaux. « Au-delà de la nécessité d'adapter les réseaux au changement climatique, nous nous sommes rapidement rendu compte qu'il était intéressant pour les gestionnaires de se poser la question de l'importance et de l'intérêt de leurs infrastructures pour la résilience des territoires, explique Fabien Palhol. L'idée est de leur demander d'abord ce qu'ils imaginent pour ces derniers dans le futur, en quoi le changement climatique va impacter cette représentation et comment pérenniser les grandes fonctionnalités nécessaires à cette vision. Puis, si on redescend jusqu'aux routes et voies ferrées, à quel type de mobilité ils les destinent. »

D'abord, la recherche d'informations

“ La résilience n'est pas un état statique à atteindre, mais un processus dynamique ” Fabien Palhol, Cerema
Globalement, après avoir défini le périmètre de leur travail (y compris celui des infrastructures, des fonctionnalités, des aléas et de la gouvernance), la première partie de l'exercice consistera, pour les gestionnaires, à collecter les informations nécessaires : base de données diverses, dont celles de Météo-France, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), de l'Union européenne ou même des associations de quartier, systèmes d'information des collectivités, journaux de bord des incidents… « Il faut faire des recherches en interne. Cela prend du temps », observe Marie Colin, référente technique résilience des infrastructures et adaptation au changement climatique du Cerema.

La tâche est loin d'être facile, mais les intéressés ne partent pas non plus de zéro. « Certains ouvrages de protection, comme les digues ou les ponts, intègrent déjà la gestion des risques et sont dotés de coefficients de sécurité, de normes robustes. Les référentiels sont déjà là, même s'ils doivent évoluer », indique Robert Bellini. Les agents de terrain constituent aussi une source précieuse d'informations, même s'ils n'en ont pas toujours conscience. « Ils ont une connaissance intime du terrain, rappelle Marie Colin. Ils savent ce qu'il faut vérifier, là où se sont produits des incidents. Par ailleurs, les gestionnaires apprécient d'être mis au défi dans ce domaine. Ils apprécient cette possibilité de monter en compétence. »

L'évaluation de la vulnérabilité

Ce défrichage conduit ensuite à l'établissement du diagnostic de la vulnérabilité de l'ensemble des composantes du territoire : quels événements extrêmes ont été rencontrés et comment ont-ils été gérés ? Quelle est leur exposition à + 1,5 °C, + 2 °C, + 3 °C ? Comment ces conditions sont-elles susceptibles d'évoluer, en fréquence, en intensité, à quel endroit ? Les infrastructures sensibles aux événements extrêmes sont également identifiées ainsi que leur niveau de risque : subiront-elles des dégâts ou seront-elles en rupture ? En quoi cela touchera-t-il les usages ? D'ailleurs, ceux-ci n'auront-ils pas changé dans cinq ou dix ans, grâce au télétravail notamment ? Les dates de vacances n'auront-elles pas été modifiées pour échapper aux canicules ? « Au-delà du volet purement matériel, il faut aussi penser aux évolutions de comportement qui pourront rendre obsolètes telle infrastructure ou telle organisation. Mieux vaut anticiper pour ne pas passer à côté », prévient Robert Bellini.

Les réponses obtenues donneront la possibilité de passer à l'esquisse des plans d'action pour réduire les risques et augmenter la robustesse de l'écosystème, sous la forme d'une trajectoire à court, moyen et long termes. En tenant compte des objectifs du territoire et de ses contraintes (budgétaires, politiques, géographiques, patrimoniales…), celle-ci s'appuiera sur une revue des solutions envisageables.

Des leviers à actionner

Là encore, les gestionnaires devront se confronter à des plusieurs catégories. Certaines solutions sont d'ordre physique, comme la construction d'une digue, le renforcement d'une route ou le redimensionnement d'un réseau d‘assainissement. D'autres sont liées à l'exploitation : le déplacement des lignes blanches sur la chaussée, la limitation du tonnage autorisé sur un pont ou de la vitesse sur une route, par exemple. Quelques-unes relèvent de la maintenance, à condition de former les patrouilleurs afin qu'ils repèrent notamment les dégradations suffisamment en amont. Les autres sont du ressort de la planification : un enduit de surface refait tous les cinq ans au lieu de tous les dix ans par exemple. « En gardant en tête que les solutions low-tech qui autorisent les réparations rapides sont aussi les plus résilientes aux impacts physiques », précise Robert Bellini.

Toutes ne sont pas forcément onéreuses. « Une session de formation destinée aux agents de terrain, pour les aider à repérer les détériorations urgentes et celles qui ne le sont pas, ne coûte pas cher et dégage des économies. Un simple enduit de surface sur certaines chaussées peut aussi suffire à maintenir en état certaines portions. On peut même décider qu'une route redeviendra une voie verte, ce qui offre des marges de manœuvre ailleurs », détaille Fabien Palhol.

L'intelligence collective à la manœuvre

Dans ce système complexe, mieux vaut ainsi écarter les solutions monolithiques et peu nuancées. « La question de la temporalité par exemple est importante, indique Robert Bellini. En cas de crise, le temps durant lequel les usagers acceptent de renoncer à la mobilité est moins important aujourd'hui qu'il y a quelques années. » Mais une fois toutes ces démarches accomplies, il sera beaucoup plus facile, pour les gestionnaires, de hiérarchiser leurs actions en repartant de leurs objectifs : quels seront les endroits à protéger en premier, par exemple l'accès au terrain de football ou la route qui conduit à l'hôpital ?

Très souvent, la clef de la réussite réside dans la capacité des gestionnaires à réunir l'ensemble des parties prenantes (élus, habitants, usagers, riverains, syndicats, associations, financeurs…), qui peuvent différer selon les étapes. Objectif : partager les informations et mobiliser l'intelligence collective, en confrontant les visions sur le diagnostic, les coûts et les bénéfices des actions envisagées. C'est la démarche adoptée par la Los Angeles County Metropolitan Transportation Authority (LACMTA), qui exploite un réseau de 173 kilomètres. Le travail mené collectivement a non seulement permis de valider les choix à faire, mais aussi de les défendre devant les investisseurs et de trouver un nouveau modèle de financement. « Il est plus facile de faire converger les intérêts lorsque l'on comprend que les bénéfices profiteront à tous ceux qui se trouvent autour de la table », observe Robert Bellini.

Une prise de conscience qui s'affirme

Généralement, l'ensemble de la démarche met entre dix-huit mois à deux ans pour aboutir. Les trajectoires ne seront pas pour autant figées. Elles pourront intégrer des clauses de revoyure et des évolutions possibles. « La résilience n'est pas un état statique à atteindre, mais un processus dynamique. Il peut se passer beaucoup de choses en une décennie », remarque Fabien Palhol. Si la sensibilisation a mis du temps à porter ses fruits, les collectivités et les gestionnaires ont aujourd'hui de plus en plus envie de passer à l'action. Ainsi, 400 d'entre eux se sont déjà engagés avec l'Ademe dans la démarche Tacct.

Le Cerema constate aussi une montée de cette demande d'accompagnement. L'enjeu est d'autant plus important que la mobilité douce, active ou ferroviaire, fait précisément partie des solutions de lutte contre le changement climatique. « Si l'on veut multiplier par trois l'usage du train par exemple, sa résilience s'impose encore plus. Il y a urgence à agir, estime Yann Tremeac, chef de service adjoint transport et mobilités de l'Ademe. De plus, cette démarche représente une véritable opportunité de questionner nos pratiques et nos usages. »

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