Sans cesse reportée depuis octobre 2020, la quinzième Conférence des parties (COP 15) à la Convention sur la diversité biologique doit finalement se tenir du 5 au 11 décembre 2022 à Montréal, après l'adoption d'une déclaration en octobre 2021. Le gouvernement français attend cette rencontre internationale, qui doit fixer le nouveau cadre mondial pour la biodiversité jusqu'à 2030, pour finaliser sa propre stratégie nationale.
Bérangère Abba, secrétaire d'État à la biodiversité dans le précédent gouvernement, avait dévoilé un premier volet de cette stratégie le 15 mars dernier. Les associations de protection de la nature avaient formulé un certain nombre de critiques sur cette première version, qui listait 72 mesures organisées autour de cinq axes : protection des écosystèmes, utilisation durable et équitable des ressources naturelles, sensibilisation et formation de la société, gouvernance et financements.
Le 28 juillet, les treize associations (1) réunies dans le collectif CAP Nature et biodiversité, dont la LPO, FNE, Humanité et biodiversité et la SNPN (2) , ont publié de nouvelles propositions (3) en vue de rendre « ambitieuse, efficace et partagée » cette troisième stratégie nationale de la biodiversité (SNB3). Pourquoi cette nouvelle contribution alors que ce collectif avait déjà publié, en mai 2020, un Livre blanc intitulé « Pour que vive la nature » ? Parce que le projet de stratégie a fait l'objet de « trois critiques majeures et convergentes » de la part des instances consultatives (CNB (4) , CNTE (5) , CNML (6) , Cese (7) ) consultées avant sa présentation, expliquent les ONG.
Ces critiques, auxquelles cette contribution entend répondre, portent sur la mauvaise définition des cibles visées et des indicateurs proposés, le caractère non opérationnel de la gouvernance, ainsi que sur les moyens nécessaires à la réussite de cette stratégie. En quatrième lieu, le collectif propose de rehausser le niveau d'ambition des mesures proposées qu'il juge, en l'état, incapable de répondre aux enjeux identifiés pour l'échéance 2030.
Cibles réduites dotées d'objectifs mesurables
Le projet de SNB propose surtout des indicateurs pouvant attester de la mise en œuvre des actions prévues, mais non de leurs résultats, constatent tout d'abord les associations. C'est pourquoi elles proposent de fixer un nombre restreint de cibles, une dizaine, qui ne nécessitent pas comme préalable la conclusion d'accords internationaux (COP 15) ou européens (Green Deal). Ces cibles devront être dotées d'objectifs « quantifiés, fondés sur des bases de données fiables et déjà disponibles ». Parmi ces objectifs figurent, par exemple, la réduction de 50 % des usages des pesticides d'ici à 2025 ou la division par deux du rythme actuel d'artificialisation des terres d'ici à 2030.
Le collectif suggère également d'améliorer la gouvernance verticale de la SNB en associant les collectivités territoriales, les entreprises et la société civile. Cela passe par une implication plus importante des acteurs territoriaux dans sa construction et sa mise en œuvre, les associations s'opposant à la spécialisation d'un niveau de gouvernance, ainsi que par son articulation avec les stratégies régionales de la biodiversité. CAP Nature et biodiversité propose de davantage s'appuyer sur les agences de l'eau, qui disposent désormais d'une compétence sur la biodiversité terrestre et qui sont dotées d'une instance consultative pluraliste, avec les comités de bassin, ainsi que de ressources affectées.
Défaut de moyens
La troisième carence pointée par les associations est celle des moyens. « Dans les stratégies passées comme dans la trame proposée pour la prochaine stratégie nationale, la définition et la mise en œuvre des moyens adéquats aux objectifs définis
ont fait défaut. Ce n'est pas la cause unique de l'échec de ces stratégies, mais c'en est un facteur majeur », expliquent-elles, en visant ici le financement des mesures proposées, mais aussi la réorientation des financements existants et de la fiscalité néfastes pour la biodiversité.
En ce qui concerne la réorientation des financements et de la fiscalité, le collectif fait plusieurs propositions : réformer la politique fiscale dans le cadre du principe usager ou pollueur-payeur, engager une politique de correction des aides publiques dommageables, écoconditionner les soutiens publics. Parmi les propositions fiscales figurent la modulation de la TVA en fonction de l'impact climat-biodiversité des produits, la création d'une taxe sur les études d'impact ou encore une réforme de la fiscalité sur les espaces naturels. Les ONG proposent également de diversifier les taxes affectées aux agences de l'eau en instaurant « une taxe fondée sur des activités exerçant des pressions sur la biodiversité », et de créer un outil de financement du traitement, actuellement insatisfaisant, des micropolluants, soit à travers un mécanisme de responsabilité élargie des producteurs (REP), soit une redevance spéciale.
« Approche trop utilitariste »
Enfin, concernant le niveau d'ambition de la stratégie, CAP Nature et biodiversité pointe des mesures « incomplètes, mal priorisées et peu engageantes ». « Nous regrettons que la SNB semble privilégier une approche utilitariste, trop focalisée sur les humains pour saisir l'ensemble des enjeux et permettre de définir des solutions réellement adaptées et durables à la crise globale en cours », expliquent les associations. Soit l'oubli de la valeur intrinsèque des êtres vivants, de la nécessaire sobriété et d'objectifs chiffrés de réduction de toutes les consommations.
D'autres questions majeures auraient également été délaissées. Parmi celles-ci, la responsabilité déterminante des pratiques agricoles et extractives intensives, la surexploitation des ressources naturelles, le rôle des biocides, les liens entre biodiversité et santé, la question de la renaturation et de la nature spontanée, ou encore la prise en compte de la nature ordinaire dans les études d'impact.
Les ONG constatent enfin que la thématique de « la reconnexion des humains à la nature, pour induire des changements transformateurs », n'est pas présente dans la stratégie. « Or, il est fondamental de travailler de façon massive et continue à inventer des relations entre les humains et la biosphère différentes du grand récit techno-scientifique modernisateur, ressourciste et productiviste, qui a cours depuis le XVIIIe siècle : c'est la clé de la réussite de toutes les politiques publiques du siècle en cours en matière de biodiversité et d'environnement », avertit le collectif.
Ces doléances seront-elles prises en compte ? La copie que l'exécutif rendra à l'issue de la COP 15 nous le dira. Pour l'heure, ce dernier semble davantage occupé à gérer les urgences résultant du dérèglement climatique et de l'effondrement de la biodiversité qu'à prévenir les futures crises.