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Services d'eau et d'assainissement (1/2) : la sobriété rebat les cartes du financement

La sobriété hydrique, indispensable pour faire face aux évolutions climatiques, pose de façon accrue la question du financement des services d'eau et d'assainissement. Et suscite le débat sur les évolutions à engager.

Décryptage  |  Eau  |    |  D. Laperche
Services d'eau et d'assainissement (1/2) : la sobriété rebat les cartes du financement

L'injonction est claire, que ce soit à travers diverses incitations depuis quelques années ou récemment avec le Plan eau, la chasse au gaspillage d'eau doit s'intensifier. Cet été de façon encore plus accrue que les années précédentes, la sobriété (1) sera le mot d'ordre.

La tendance à la diminution des consommations d'eau n'est pas nouvelle : elle remonterait aux années 1990. Mais l'incitation à la sobriété pourrait accentuer le phénomène. Si elle est nécessaire, cette réduction demande une adaptation des acteurs impliqués dans les services d'eau et d'assainissement. « Le secteur de l'eau est fondé sur le principe du recouvrement des coûts par les recettes, communément appelé "le principe de l'eau paie l'eau", rappelle la chaire Économie des partenariats public-privé (2) (EPPP) dans son « Policy Papers » consacré à la question et publié en mai dernier. Alors que les services doivent déjà faire face à un mur d'investissements considérable en raison du vieillissement des réseaux (…), la sobriété va entraîner une augmentation des coûts d'exploitation alors même que les recettes vont baisser, à prix et population constants. »

Selon les territoires, les effets des économies d'eau seront toutefois plus ou moins exacerbés. « C'est moins problématique sur un territoire qui présente encore des démographies croissantes qui peut se retrouver finalement avec les mêmes volumes facturés, nuance Christophe Wittner, ingénieur spécialisé en services publics d'eau et l'assainissement à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Certaines collectivités dont les infrastructures d'assainissement arrivaient à saturation pourraient même en bénéficier : la réduction des rejets d'eau leur permettant de retrouver de la capacité hydraulique. »

Première option : augmenter le prix de l'eau

Dans les situations où cette baisse pèse sur les recettes, pour la Chaire EPPP, le premier levier à actionner est une augmentation du prix de l'eau. « Elle ne peut avoir lieu qu'en communiquant et sensibilisant l'usager sur le service rendu et à l'aide d'une tarification et communication incitative, responsabilisant ainsi l'usager face aux enjeux de sobriété », conditionne-t-elle toutefois. La généralisation de la tarification incitative à toutes les collectivités semble néanmoins ne pas faire l'unanimité.

Lancé par la loi Brottes en 2013, ce dispositif est revenu sur le devant de la scène à l'occasion du Plan eau : le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a en effet été saisi d'une mission sur la tarification progressive de l'eau. Mais sur ce sujet, les collectivités semblent vouloir conserver une marge de manœuvre. « Concernant la tarification progressive, nous avions quelques réticences, indique Régis Taisne, chef du département cycle de l'eau à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). La ministre Bérangère Couillard nous a toutefois confirmé que les collectivités continueraient de décider de leur structure tarifaire et que la mission confiée au Cese sera plus large et s'intéressera aux options tarifaires et quels usagers paient quels services. »

Selon une mission flash de l'Assemblée nationale, en 2019, l'ouverture à toutes les collectivités intéressées n'avait pas rencontré un grand succès. Une frilosité qui s'explique par de nombreuses difficultés pour mettre en place le dispositif, notamment pour obtenir des informations sur la composition des foyers et leurs situations. « À Bruxelles, ils viennent de mettre un terme à la tarification progressive, souligne Bernard Barraqué, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Après en avoir fait l'expérience, ils ont découvert qu'elle n'était ni vraiment incitative ni vraiment redistributive en faveur des plus démunisIl vaut mieux réfléchir à deux fois avant de mettre des compteurs individualisés (3) à tous. »

Des risques à anticiper

La chaire Économie des partenariats public-privé met également l'accent sur les risques à anticiper pour accompagner cette réduction. Ainsi, pour l'eau potable, elle met en garde contre la baisse de la qualité de l'eau en raison de la réduction des volumes dans des réseaux de taille identique. Pour l'assainissement, elle redoute, avec l'augmentation du temps de séjour, une baisse de dilution des effluents qui pourraient conduire à davantage d'odeurs et de formation de gaz toxiques, avec une plus grande concentration des micropolluants en sortie.

En revanche, l'augmentation du prix de l'eau apparaît comme un passage obligé. Les services publics d'eau et d'assainissement ont en effet l'obligation d'équilibrer leurs dépenses avec leurs recettes. « Il faut avoir conscience que le prix de l'eau le plus cher, c'est celui de la ressource qu'on ne peut plus livrer pour un besoin vital à satisfaire, note Christophe Wittner. Les défis vont monter en intensité ces prochaines années. »

Pour accompagner les changements, certains souhaiteraient que la communication sur le prix de l'eau évolue et que l'accent soit mis sur le montant de la facture, et non plus sur un prix unitaire. « Il faudrait arrêter d'instiller l'idée que le bon tarif de l'eau, c'est celui qui est le plus bas et ne plus présenter le prix au mètre cube ou pour 120 m3, estime Régis Taisne, de la FNCCR. Les charges étant fixes, des consommations qui baissent font augmenter le tarif, mais cela n'augmente pas forcément la facture payée par l'usager. »

Une remise en question de la structure tarifaire

D'autres remettent en question la structure tarifaire de la facture d'eau, (4) notamment le poids que représente la part fixe liée à l'abonnement par rapport à la consommation. Cette proportion est aujourd'hui encadrée législativement. La loi sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema) plafonne en effet la part fixe pour que la facturation soit fondée principalement sur les volumes d'eau consommés.  « Nous avons créé une structure tarifaire qui rend plus fragile l'équilibre économique, estime Christophe Wittner. Les collectivités où de nombreux abonnés ne sont présents que quelques mois dans l'année aimeraient avoir une part fixe beaucoup plus élevée que celle permise par la loi. »

“ Personne n'a encore trouvé de solution satisfaisante pour maintenir une certaine incitation à un usage raisonné de l'eau ” Régis Taisne, FNCCR
Des territoires ont contourné les contraintes en créant une tarification saisonnière avec un prix plus important durant la période estivale. « Cela nécessite toutefois de disposer d'équipements comme des compteurs de radiorelève ou de télérelève qui fonctionnent sur un pas de temps très court, précise Christophe Wittner. L'autre inconvénient est que les usagers qui font des économies d'eau vont voir leur facture moins baisser. Il faudrait laisser de la souplesse aux territoires pour adapter la tarification en fonction de leurs caractéristiques. »

Un équilibrage grâce à la refonte des redevances

Pour certains secteurs, l'effet ciseau de la réduction des recettes face aux investissements nécessaires sera difficile à assumer. Un des souhaits des collectivités dans le cadre de la refonte des redevances des agences de l'eau – en cours -  serait qu'une partie revienne soutenir le petit cycle de l'eau, c'est-à-dire la production et distribution d'eau potable ainsi que l'assainissement et ainsi aider les services dans leur fonctionnement. « Dans le cadre du 9e programme, 55 % du budget des agences de l'eau étaient consacrés au petit cycle, cette part est descendu à 45 % lors du 10e et à 35 % pour le 11e, regrette Régis Taisne. Or, avec la sécheresse, la gestion des pesticides, les exigences à venir avec la nouvelle directive Assainissement, notamment les micropolluants, les microplastiques…, les investissements et les mises aux normes sont loin d'être finis. »

Plusieurs fois reportée, cette refonte pourrait se concrétiser dans le prochain projet de loi de finances. Un nouveau projet est sur la table. Les grandes orientations ont reçu, le 4 mai dernier, un avis positif du Comité national de l'eau (CNE), avec des réserves toutefois. « Il faut attendre ce qui va effectivement être voté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, puis par les comités de bassin, mais nous avons obtenu que les aides au petit cycle de l'eau soient préservées en montant et en pourcentage et que le financement des agences par les usagers de la facture d'eau n'augmente pas, indique Régis Taisne. Nous militons également pour qu'un rééquilibrage se fasse et aboutisse à une baisse de la part financée par les usagers de l'eau potable et de l'assainissement du budget des agences de l'eau. »

Certains spécialistes, comme Bernard Barraqué, soutiennent le développement des redevances pour services rendus mutualisés à l'échelle des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB). « Ce qui permettrait aux EPTB de disposer de plus de moyens pour mettre en œuvre leur politique de gestion de la ressource en eau et de répercuter les coûts sur l'ensemble des usagers directs (y compris les collectivités organisatrices des services publics) dans une perception de l'eau comme bien commun », explique-t-il.

Une révision de l'approche des délégations de services publics ?

La question des conséquences de la sobriété se pose également dans le cadre d'une délégation de service public. La chaire EPPP propose pour accompagner la réduction des consommations de décorréler les volumes facturés de la rémunération de l'opérateur. « Cette décorrélation peut passer par exemple par une rémunération partielle à la performance, une évolution du prix en fonction des quantités vendues (clauses de paysage) ou une durée conditionnelle aux recettes de l'opérateur, détaille la chaire EPPP. D'autres solutions contractuelles permettent de décorréler plus fortement, voire totalement, volumes facturés et rémunération de l'opérateur. Les solutions du marché global de performance lorsque les investissements portés par l'opérateur sont faibles ou financés par la collectivité, ou du marché de partenariats lorsque les investissements sont financés par l'opérateur permettent cette décorrélation. Dans les deux cas, l'opérateur est alors rémunéré en fonction d'indicateurs de performance définis contractuellement. »

Les pistes proposées ne sont toutefois pas du goût des collectivités. « Les délégataires souhaitent transférer le risque assiette du délégataire vers la collectivité, ces dernières ne pourront pas s'en satisfaire, réagit Régis Taisne. C'est compliqué. Personne n'a encore trouvé de solution satisfaisante pour maintenir une certaine incitation à un usage raisonné de l'eau, sanctuarisé pour le financement du service, tout en restant à un prix socialement acceptable. »

Seconde option : trouver de nouveaux gisements d'économies

Pour la chaire EPPP, un second levier pour maintenir le modèle de « l'eau paie l'eau » serait de trouver de nouveaux gisements d'économies. Elle propose comme source d'inspiration l'exemple de l'opérateur public Vivaqua, dans la région bruxelloise en Belgique. « La baisse des consommations ayant entrainé une baisse des recettes, l'opérateur a identifié des sources de financement additionnel ainsi que des gisements d'économies lui permettant une meilleure maîtrise de ses coûts de fonctionnement, notamment de ses coûts énergétiques, décrit la chaire. Cela s'est produit à l'aide d'un service payant pour les bornes incendie, la mise en place de la riothermie [récupération des calories des eaux d'égouts] et de la production d'électricité par turbinage et énergie solaire. »

La chaire préconise également de recourir à la réutilisation des eaux usées traitées (Reut) pour dégager des marges de manœuvre financière. « Ce n'est pas si simple. Outre les questions environnementales posées par la Reut, les projets aujourd'hui sont plutôt générateurs de surcoûts pour les usagers des services d'assainissement, sans recettes supplémentaires ou, en tout cas, insuffisantes, réagit Régis Taisne. Pour la défense incendie, le principe d'une contribution financière n'est pas nouveau, mais... les communes ne sont pas très riches non plus... Pour moi, les voies d'économies sont plus dans la performance énergétique, d'autant plus que l'énergie coûte cher. Et il faut également que les usagers des ressources en eau alternative (puits, forages, eau de pluie...), qui rejettent leurs eaux usées dans les réseaux d'assainissement ou se reportent sur le réseau public d'eau lorsque leurs ressources "privées" sont taries, contribuent plus justement aux coûts du service. »

La chaire compte également sur le mécanisme qui pourrait être mis en œuvre dans le cadre de la directive Eaux urbaines résiduaires révisée : une responsabilité élargie du producteur pour les industries pharmaceutiques et cosmétiques qui assurerait le financement du traitement des micropolluants. « Cela ne s'annonce pas comme des ressources immédiates, estime quant à lui Christophe Wittner. Il faudra faire face à des lobbies et à une grande inertie. »

1. Lire Comment se préparer aux futures sécheresse<br />
https://www.actu-environnement.com/dossier-actu/-secheresse-retenues-substitutions-plan-actions-chantier-planification-ecologique-eau-96
2. Consulter Quel(s) modèle(s) de financement des économies d'eau pour les services publics d'eau et d'assainissement ?<br /><br /><br />
http://www.chaire-eppp.org/policy-papers/
3. Lire Compteur d'eau, tarif, facture : l'approximation préférable à la précision ?<br />
https://www.encyclopedie-environnement.org/societe/compteur-eau-tarif-facture/
4. Lire Structure tarifaire de l'Eau potable et de l'assainissement en France : état des lieux et évolution depuis la LEMA de 2006
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-42170-structure-tarifaire-eau-potable-assainissement-evolution-depuis-lema-montginoul.pdf

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