Un pas supplémentaire a été franchi vers le renouvellement de l'autorisation du glyphosate sur le plan européen : l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) n'a pas identifié « de domaine de préoccupation critique » aux différentes utilisations du glyphosate. Un avis contraire aurait aussitôt stoppé le renouvellement de son autorisation. Cette décision est l'avant-dernière pièce du rouage de la procédure d'autorisation, avant la décision finale de la Commission européenne prévue ce mois de juillet.
Le bras de fer autour de cette substance active présente dans de nombreux herbicides avait repris de la vigueur à l'approche de l'expiration de son autorisation, en juin 2016. Cette procédure s'est ensuite étirée en longueur. Dans un contexte de débat sur son caractère cancérogène ou non, les États membres avaient en effet renouvelé pour cinq ans son autorisation. Entretemps, un consortium de neuf entreprises, Glyphosate Renewal Group (1) (GRG) (anciennement Glyphosate Task Force), a déposé une demande de renouvellement, fin 2019. Pour permettre à l'Efsa de disposer de suffisamment de temps pour terminer son examen par les pairs, la Commission européenne avait ensuite prorogé jusqu'au 15 décembre 2023 l'autorisation de cinq ans.
Ce travail est désormais terminé. Et son résultat satisfait les entreprises pétitionnaires. « Cette conclusion scientifique finale jette les bases de la réapprobation du glyphosate dans l'UE et est cohérente avec les conclusions des principaux organismes de réglementation de santé du monde entier depuis près de cinquante ans », se réjouissent-ils.
Des lacunes dans les données étudiées
Pour se positionner, l'Efsa s'est notamment appuyée sur l'évaluation des dangers du glyphosate de l'Agence européenne des produits chimiques (Echa), qui ne la classe pas parmi les substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. L'Efsa a toutefois relevé plusieurs lacunes dans les données concernant plusieurs évaluations : sur l'une des impuretés du glyphosate, sur le risque alimentaire pour les consommateurs ainsi que sur les risques pour les plantes aquatiques.
Pour l'instant, l'intégralité des conclusions n'est toutefois pas publique : celles-ci ont été uniquement communiquées à la Commission européenne, aux États membres, mais également au Glyphosate Renewal Group… qui est en droit de demander la confidentialité des éléments relatifs aux données à caractère personnel ou aux informations commercialement sensibles. « Les conclusions devraient être publiées avant la fin du mois de juillet 2023 et les documents de référence, qui comptent plusieurs milliers de pages, devraient être publiés entre la fin du mois d'août et la mi-octobre 2023 », estime l'Efsa.
Une défiance des parties prenantes sur les données
À la lenteur de la procédure, s'ajoute également une défiance de certaines parties prenantes vis-à-vis des données fournies par les industriels. Celles-ci ont en effet été échaudées par des manœuvres de manipulation d'informations mises en lumière en 2017, notamment par des journalistes du Monde (2) : articles écrits par les employés de Monsanto (firme produisant le Roundup, un herbicide contenant du glyphosate), mais signés par des scientifiques reconnus, dénigrement (3) du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), qui a classifié le glyphosate comme cancérogène probable pour les hommes.
« Le Monde et de nombreux autres médias ont démontré qu'un rapport préliminaire d'expertise, rédigé par l'Agence de sécurité sanitaire allemande (Bundesinstitut für Risikobewertung, BfR) pour le compte de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) était partiellement copié-collé (4) du dossier fourni par la Glyphosate Task Force, menée par Monsanto », rappelle également dans une lettre (5) ouverte quatorze organisations non gouvernementale adressée notamment à la Première ministre, Élisabeth Borne. Les ONG demandent au Gouvernement français de prendre position contre la réautorisation du glyphosate. Elles dénoncent les failles du rapport de renouvellement de la substance. « Les autorités s'appuient exclusivement sur des études provenant des industriels (…) [et] ont ignoré les failles des études [qu'ils ont] fournies, listent-elles. Les données in vivo ne sont disponibles que pour un seul type de test et de cellules. Les données sur organismes "non standards" n'ont pas été prises en compte. Les critères de classification règlementaire sont trop contraignants. »
Dans leur courrier, les ONG listent les résultats des travaux de plusieurs organismes ou de chercheurs : classification comme cancérogène probable pour l'homme par le Circ, présomption moyenne de l'Inserm de lien avec les lymphomes non hodgkiniens, augmentation des naissances prématurées et un développement anormal des organes reproductifs des nourrissons, conséquences sur le système nerveux, les reins, les micro-organismes intestinaux, toxicité chronique sur les espèces aquatiques, mais aussi des effets sur les abeilles et les amphibiens.
Une large exposition de la population
La population française serait largement exposée au glyphosate, selon une étude de l'association Campagne Glyphosate. La substance a contaminé plusieurs compartiments de l'environnement : l'Inrae a ainsi détecté dans les sols du glyphosate dans 70 % des cas et son principal produit de dégradation, l'Ampa, dans 83 %. La campagne nationale exploratoire de surveillance des pesticides dans l'air montre que le glyphosate a fait partie des neuf substances les plus quantifiées en métropole entre 2018 et 2019 (avec toutefois une concentration annuelle moyenne parmi les plus faibles). De la même manière, le glyphosate et l'Ampa sont fréquemment retrouvés dans les eaux de surface (respectivement à 50 et 74 %). En revanche, concernant l'eau potable, ces molécules sont responsables de dépassements des limites de qualité ou de restrictions d'usages dans une faible proportion (respectivement 0,2 et 0,3 %).
« Le glyphosate est resté sur le marché en violation pure et simple des dispositions du règlement (CE) 1107/2009 selon lesquelles les substances actives pesticides, les produits pesticides et leurs résidus mis sur le marché ne doivent avoir aucun effet nocif sur l'homme, les animaux et aucune des effets inacceptables sur l'environnement », estiment les ONG.