Le Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable (MEDD) a donc lancé, en 1999, un programme de recherche d'une durée de cinq ans visant à évaluer et à réduire les risques liés à l'utilisation des pesticides. Les études ont porté sur le comportement des pesticides dans l'environnement, l'évaluation de leurs effets sur des systèmes biologiques complexes mais également sur de nouvelles techniques limitant l'usage de ces produits.
Les premiers résultats fournissent d'ores et déjà des éléments de réponse et ont été présentés à l'occasion du colloque « pesticides comment réduire les risques associés ? » organisé par le MEDD, à Avignon du 14 au16 novembre 2005.
L'amélioration des procédures de mise sur le marché
Les pesticides étant actuellement toujours très utilisés, certaines études se sont penchées sur l'amélioration des procédures d'évaluation des risques réalisées avant la mise sur le marché du produit. Ces procédures sont basées sur la comparaison entre les quantités de substances prévues dans les différents compartiments de l'environnement (concentration dans l'eau ou les sols par exemple) et les effets biologiques des substances déterminés grâce à des tests en laboratoire. La prévision des concentrations dans l'environnement se base sur des données scientifiques concernant le comportement des substances dans le milieu (solubilité dans l'eau, accumulation dans les organismes, biodégadabilité…). Les tests, quant à eux, sont effectués dans des conditions expérimentales bien définies et cherchent à évaluer les doses de produits qui provoquent une toxicité, des perturbations de la croissance ou de la reproduction sur les organismes de différentes espèces : poissons, crustacés, végétaux, etc.
Les travaux réalisés sur le comportement des pesticides au moment de l'application sur les cultures et dans les jours qui suivent ont montré que certaines molécules pouvaient passer dans l'air par volatilisation. Ce phénomène peut durer de quelques jours à quelques semaines selon les cas. Pour le composé présentant le plus fort potentiel de volatilisation étudié dans ce programme, les quantités volatilisées peuvent représenter, après 6 jours, jusqu'à 40 % de la dose appliquée.
Les résultats démontrent de surcroît qu'il existe une relation directe entre les concentrations en pesticides dans l'atmosphère et dans les eaux de pluie et les périodes d'application de ces produits dans les zones agricoles.
D'autres part, certaines molécules de pesticides peuvent persister dans les sols, ce qui est alors très préoccupant. C'est le cas, par exemple aux Antilles, avec une substance qui n'est plus utilisée mais toujours présente en grandes quantités dans les sols : le chlordécone. Dans certains cas, les molécules de pesticides s'associent de manière étroite avec les autres constituants du sol pour former ce que l'on appelle des résidus liés. Il s'agit d'un phénomène d'importance très variable qui dépend du type de sol et de la nature des substances. En revanche, on constate parfois une accoutumance biologique des sols limitant ces risques d'accumulation : les micro-organismes d'un sol exposés régulièrement à un pesticide le dégradent de plus en plus rapidement.
En ce qui concerne les possibilités d'aménagement du paysage agricole pour limiter les pertes de produits à partir des zones cultivées, les travaux réalisés ont confirmé le rôle majeur des bandes enherbées pour limiter les transferts vers les cours d'eau. Lorsqu'il y a ruissellement, ces bandes retiennent les particules et les substances et favorise parfois leur dégradation.
Des études ont également été réalisées pour améliorer les tests en laboratoire et mieux connaître les effets biologiques des pesticides. Un intérêt tout particulier a été apporté à l'étude des effets des faibles doses et des mélanges de pesticides avec d'autres produits (les adjuvants de pulvérisation par exemple, ajoutés pour optimiser l'application du pesticide), afin de se rapprocher au plus près des conditions réelles d'utilisation de ces produits.
Les tests sur le devenir et les effets d'un herbicide en présence d'un adjuvant ont montré que ce dernier modifiait la répartition du produit dans le milieu et sa disponibilité pour les animaux aquatiques. De plus, les travaux ont montré que l'adjuvant pouvait être lui-même à l'origine d'effets toxiques.
Grâce à ces travaux, un test de toxicité sur abeille domestique a été amélioré au niveau du protocole et surtout de l'analyse des résultats. Il pourrait apporter des informations utiles sur les effets des pesticides sur le comportement des abeilles. Un modèle mathématique pour la simulation de la toxicité aiguë de tous les pesticides, vis-à-vis de l'abeille, a été également mis au point. Ce modèle, unique dans son domaine, présente de nombreuses applications possibles, notamment la prédiction de la toxicité de nouveaux pesticides en connaissant uniquement leur structure chimique. Cette démarche, complémentaire de l'approche biologique classique, est également utilisable pour d'autres substances et d'autres organismes.
D'autre part les travaux réalisés sur les effets de faibles concentrations d'insecticides sur la reproduction des insectes, notamment les insectes utiles en lutte biologique, permettent d'entrevoir des possibilités de développement de nouveaux tests de toxicité.
Tous ces résultats servent à améliorer les procédures en vigueur ou à mieux comprendre les processus qui gouvernent le devenir des pesticides dans l'environnement et leurs effets biologiques. C'est pourquoi de nombreuses avancées ont été réalisées dans des domaines qui intéressent plus particulièrement les gestionnaires de l'environnement :
• La mise au point de méthodes d'analyse chimique qui permettent de mesurer les concentrations de certains pesticides dans des échantillons variés (air, pluies, abeilles, etc.).
• La mise en évidence du caractère local de la contamination de l'atmosphère par les pesticides, les concentrations mesurées en milieu urbain étant, par exemple, bien inférieures à celles détectées à proximité de champs traités, situés à une dizaine de km de distance.
• L'établissement de recommandations à destination des associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air (AASQA). La fréquence et la durée d'échantillonnage doivent être adaptées au contexte local, à la période des traitements et aux activités agricoles (cultures, vignobles, productions fruitières…).
• La mise en oeuvre dans des rivières d'une méthode biologique d'évaluation de la pollution par les pesticides basée sur les micro-algues. L'idée de base est qu'une communauté de micro-algues, qui a été exposée par le passé à un pesticide, est moins sensible à ce même pesticide lors d'une exposition ultérieure. Il est alors envisageable de mesurer la sensibilité d'échantillons d'algues provenant du milieu naturel à différents herbicides et de la comparer en laboratoire à celle d'algues «naïves» (c'est-à-dire n'ayant jamais été en contact avec les herbicides testés). Une sensibilité plus faible des algues prélevées en milieu naturel pourrait alors indiquer l'existence d'une pollution. Cette méthode a donné des résultats intéressants avec certains herbicides.
• Le fait que le positionnement dans le paysage des mesures correctives destinées à limiter les pertes de pesticides vers les milieux aquatiques (bandes enherbées, fossés) ne devrait pas être effectué de façon systématique (bandes enherbées toujours en bordure des cours d'eau, par exemple), mais au cas par cas. La gestion et l'entretien de ces dispositifs doivent aussi être raisonnés et adaptés à la situation locale…
Amélioration de la gestion agricole des pesticides
Les programmes de recherches ont également pour vocation d'aider au développement de pratiques de protection intégrée des cultures qui permettent d'utiliser moins de pesticides, de les supprimer ou à défaut de mieux les utiliser. Plusieurs programmes ont montré que la protection intégrée pouvait être mise en œuvre aussi facilement que la protection chimique. Les pistes explorées concernent par exemple les associations de différentes variétés d'une même plante cultivée en vue d'accroître la résistance des cultures à certaines maladies.
Cette démarche a été couronnée de succès dans le cas du blé tendre et de la lutte contre certaines maladies fongiques. Même si la mise en oeuvre opérationnelle de cette démarche se heurte à des difficultés extérieures aux aspects techniques, des progrès intéressants ont été réalisés en termes de réduction des intrants (pesticides mais aussi engrais azotés). Des possibilités d'application à d'autres cultures ou à la protection contre d'autres maladies ou espèces nuisibles existent.
Une étude consacrée à l'impact environnemental de différentes stratégies de protection des vergers de pommiers a confirmé le caractère défavorable de la protection chimique. Mais elle a mis en évidence les effets négatifs de la conduite biologique des vergers sur certains groupes d'organismes, liés à la toxicité du cuivre et du soufre, utilisés en protection biologique.
Enfin, les possibilités d'amélioration de la gestion des plantes indésirables en grandes cultures ont été étudiées. Cette amélioration consisterait à modifier les modes de culture et le recours au désherbage. Les résultats obtenus montrent qu'il est nécessaire de raisonner ces changements de pratiques, en réalisant un bilan global des alternatives. En effet, certaines actions favorables à la lutte contre les plantes indésirables peuvent entraîner un surcoût économique et avoir des conséquences environnementales négatives. Par exemple, le labour, est favorable à la lutte contre les herbes indésirables et à la réduction de certaines maladies, ce qui est positif en termes de réduction de l'usage des pesticides. Cependant, il consomme de l'énergie, affecte négativement la faune du sol et peut parfois accroître les départs de terre lors des pluies. Son bilan environnemental n'est donc pas immédiat et mérite d'être approfondi.
Parmi les conclusions transversales à tous les programmes de recherche on notera qu'il n'existe pas de solution unique dans le domaine de la réduction de l'utilisation des pesticides. Dans tous les cas, il est indispensable de raisonner globalement en termes de bilan environnemental des pratiques et non sur le seul critère de la réduction des quantités de pesticides utilisées. De plus, pour qu'une réduction des usages de pesticides en protection des cultures soit envisageable, il est essentiel de développer des techniques opérationnelles qui soient rentables économiquement et compatibles avec les moyens des utilisateurs et les exigences autres qu'environnementales.
Ce programme de recherche à permis de comprendre qu'il s'avère indispensable de prendre en compte les aspects sociologiques et économiques, afin notamment d'identifier les freins qui s'opposent à la mise en oeuvre des pratiques alternatives et les leviers sur lesquels il serait possible d'agir. D'autres résultats sont attendus pour 2006.