La mobilisation écologique est en marche dans la société française : chez les étudiants et les chercheurs d'abord, chez les enseignants, les fonctionnaires et les élus ensuite et, de plus en plus, chez les salariés. L'association La Fresque du climat affirme avoir dépassé, en 2023, le million de personnes formées à son atelier éponyme, majoritairement destinés aux entreprises, depuis son lancement en décembre 2018. D'autres associations ou entreprises fournissant des prestations similaires ont depuis fleuri. Une enquête sociologique (1) de l'Agence de la transition écologique (Ademe), publiée le 11 janvier, s'est intéressée à leurs modalités et leurs conséquences.
Panorama des sensibilisations écologiques
Le travail de l'Ademe a tenté de caractériser, d'une part, douze dispositifs du genre et, d'autre part, le comportement à leur égard des salariés, en particulier, des responsables RSE d'une douzaine d'entreprises participantes. L'Ademe s'est ainsi arrêtée sur quatre formes de prestations externes : les ateliers, comme ceux de La Fresque du climat ou de l'association 2tonnes ; les réseaux d'experts et de conseillers, comme le syndicat Printemps écologique ; les parcours de formation, comme celui de Corporate For Change ; ou les simples webinaires, à l'instar de ceux dispensés par l'entreprise Lakaa. Certains se destinent davantage à une sensibilisation à l'échelle des salariés (par exemple, Printemps écologique) ou de l'entreprise entière (2tonnes) et, parallèlement, certains se tournent vers l'engagement citoyen et les écogestes (2tonnes également), tandis que d'autres poussent jusqu'à repenser le modèle d'activité (Corporate For Change).
Les difficultés d'une mobilisation générale
En somme, résume Anaïs Rocci, sociologue à l'Ademe et coordinatrice de l'enquête, « nous observons que peu à peu, les salariés ne se voient plus seulement comme des travailleurs, mais aussi comme des acteurs politiques dont les choix contribuent à façonner la transition écologique de l'entreprise ». Quand elle choisit de recourir à un dispositif de sensibilisation écologique, cette nouvelle forme de mobilisation peut prendre trois formes : une dissémination progressive par un « salarié moteur » (surnommé « écotafeur » par l'Ademe), directement à l'initiative de tels ateliers ; une diffusion portée par le programme de RSE ; ou l'organisation d'un événement interne pour « générer du buzz ». D'après l'Ademe, ces trois stratégies ne se valent pas. La première réussit généralement à mobiliser 20 % de l'effectif en un an, tandis que la troisième y parvient en une journée, mais requiert une organisation plus lourde. La deuxième, menée par le responsable RSE, permet quant à elle de toucher « 60 % des salariés d'une PME en six mois ».
Des effets indirects sur les mentalités ?
Cette implication salariale, à travers ateliers et séminaires, porte-t-elle ses fruits ? À en croire Dimitri Budois et Rustam Romaniuc, chercheurs au Centre d'économie de l'environnement de l'université de Montpellier, dans une tribune (2) publiée par Le Monde, « il n'existe aucune preuve de l'impact d'une formation de sensibilisation aux enjeux climatiques sur les attitudes et surtout sur les comportements des personnes l'ayant suivie ». Les auteurs citent en cela une étude (3) d'avril 2019 portant sur les conclusions d'une expérimentation relative à une formation sur l'inclusivité et ne montrant aucune réelle amélioration comportementale. Craignant l'émergence d'une forme de greenwashing déculpabilisateur, ils invitent à mettre en place des systèmes d'évaluation de ces formations.
Néanmoins, pour l'Ademe, deux constats se sont pourtant imposés. En premier lieu, ces initiatives alimentent l'évolution actuelle vers un modèle « plus contributif (que) hiérarchique » d'organisation de l'entreprise, notamment au niveau de la branche RSE. « Une partie des salariés engagés revendique un droit d'expression sur les stratégies d'entreprise dont la définition relève en théorie de la seule responsabilité des dirigeants », en particulier sur le plan environnemental, étaye le rapport.
Second constat : ces formes de mobilisation, quoi qu'elles permettent de dépasser les simples écogestes pour installer une « culture partagée de la transition écologique dans l'entreprise », révèlent un dilemme chez les salariés impliqués. Ce phénomène, que les sociologues de l'Ademe qualifient de « dilemme de "l'insider activist" », est à double tranchant. Un sentiment renforcé de loyauté peut laisser place à une frustration lorsque les pistes de transformation formulées ne sont pas suivies par les décisionnaires. « Leurs aspirations doivent être mieux prises en compte pour que l'entreprise reste attractive à leurs yeux » et conserve ces « profils à haute valeur ajoutée ».