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Antibiorésistance : un dialogue à renforcer entre le monde vétérinaire, environnemental et sanitaire

Le suivi de l'antibiorésistance chez les animaux montre des résultats rassurants. Avec quelques points de vigilance. Et un impératif : le dialogue entre les mondes de l'environnement, de la santé publique et vétérinaire doit encore progresser.

Risques  |    |  D. Laperche
Antibiorésistance : un dialogue à renforcer entre le monde vétérinaire, environnemental et sanitaire
Actu-Environnement le Mensuel N°442
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°442
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Où en sont les efforts pour réduire la pression des traitements antibiotiques dans le secteur de la santé animale ? Chaque année, pour répondre à cette question, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dresse un bilan des évolutions de plusieurs indicateurs de suivi. Les progrès sont scrutés de près, car la lutte contre l'antibiorésistance en santé humaine passe nécessairement par une approche « One Health », avec une prise en compte de la santé publique, animale et environnementale.

« La résistance chez les animaux peut contribuer à la résistance chez les hommes par la transmission des bactéries, rappelle Jean-Yves Madec, directeur scientifique du pôle antibiorésistance à l'Anses. La résistance est sélectionnée par l'usage des antibiotiques. L'objectif est que cette sélection chez les animaux n'aggrave pas le problème chez l'homme. » Les bactéries résistantes étant par ailleurs naturellement présentes, l'idée est de maîtriser le phénomène par des mesures de contrôle.

L'enjeu est de taille. L'antibiorésistance est reconnue par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « une des menaces sanitaires les plus urgentes de notre époque ». Dans un rapport (1) publié en décembre 2022, l'Organisation montre une progression de cette résistance au traitement chez plusieurs bactéries responsables d'infections courantes dans la population mondiale.

Le troisième plan Ecoantibio mise sur la formation et la sensibilisation

Les nouveautés du troisième plan EcoAntibio

Le nouveau plan Ecoantibio est structuré en 25 actions et s'étalera sur cinq ans. S'il prolonge pour l'essentiel les actions du plan Ecoantibio 2, il comporte également quelques nouveautés. Parmi celles-ci, la création d'un indicateur plus fin de suivi de l'exposition des équidés aux antibiotiques. À la demande des filières, le plan va être élargi à la lutte contre les résistances aux antimicrobiens (antifongiques, antiparasitaires). L'enveloppe budgétaire du plan devrait s'élever à 2 millions d'euros. « Le ministère va monter des appels à projets », a indiqué le ministère de l'Agriculture.
Sur le plan de la santé animale, cette alerte a été prise en compte en France un peu plus tardivement qu'en santé humaine, dont la première campagne « Les antibiotiques, ce n'est pas automatique », en 2000, reste ancrée dans les mémoires. Ce n'est effectivement qu'en 2012 qu'est lancé le premier plan Ecoantibio. Cette première initiative, ainsi que le deuxième plan lancé en 2017, ont néanmoins permis de réduire considérablement l'exposition des animaux aux traitements. En 2022, la baisse globale par rapport à 2011 a atteint 52 %. Cette diminution touche, en premier lieu, les antibiotiques les plus critiques (2) pour la médecine humaine. Le troisième plan Ecoantibio, dévoilé vendredi 17 novembre, mise désormais sur la formation et la sensibilisation des vétérinaires et des éleveurs. « Les marges de manœuvre pour aller plus loin sont réduites, constate le ministère de l'Agriculture. L'enjeu est désormais de conforter les résultats. Nous ne fixons pas d'objectifs chiffrés pour les animaux d'élevage. Toutefois, pour les chats et les chiens, nous visons une réduction de 15 % d'ici cinq ans. »

Car si la tendance globale apparaît comme positive, des points de vigilance demeurent toutefois. Ainsi, dans ses derniers suivis, présentés en 2021 et en 2022, l'Anses pointait des hausses de l'exposition aux antibiotiques pour les chiens, les chats et les chevaux. Une vigilance qui demeure dans ce nouveau bilan 2023, mais avec toutefois une stabilisation des niveaux d'exposition (avec une réduction de 3 % pour les chats et les chiens, dont les niveaux sont désormais redevenus ceux de 2011, et de 1,2 % pour les chevaux). « Sur la filière équine, nous manquons d'indicateurs robustes ; le premier enjeu va être de mieux documenter l'exposition aux antibiotiques, précise le ministère de l'Agriculture. Un indicateur de suivi va être créer. »

Les bénéfices de l'interdiction des aliments antibiotiques en préventif

Le dernier bilan de l'Anses met également l'accent sur un changement important : depuis janvier 2022, le règlement européen sur la pharmacie vétérinaire (3) est entré en application. Ce dernier interdit l'utilisation en préventif (avant la survenue des pathologies) d'aliments qui contiennent des médicaments, dont les antibiotiques. Il encadre également mieux les prescriptions. Ce nouveau cadre pourrait expliquer la réduction de 78,5 % du tonnage d'aliments médicamenteux vendus et de 26 % des quantités d'antibiotiques vétérinaires vendus par rapport à 2021. Les effets sont plus marqués pour certains animaux pour qui l'administration d'aliments médicamenteux est la plus habituelle : les porcs (- 87 %), les ovins (- 80 %), les lapins (- 66 %) et les volailles (- 52 %). Au final, en 2022, l'aliment médicamenteux ne représentait plus que 6 % du tonnage total d'antibiotiques vendus en France.

“ Les outils à la disposition des médecins pour les aider dans leur prescription ne prennent pas en compte les impacts sur l'environnement ” Florence Lieutier, pharmacien hospitalier
« Le tonnage n'est toutefois pas l'indicateur le plus approprié pour suivre l'usage, indique Delphine Urban, chargée de mission antibiorésistance à l'Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV). Par exemple, les dernières générations d'antibiotiques sont plus actives et demandent l'administration de doses plus faibles. On utilise donc un indicateur d'exposition : l'aléa qui prend en compte la posologie et l'évolution des populations animales. » Cet indicateur montre que l'exposition globale en 2022 a diminué de 8,6 % par rapport à 2021.

Des résistances à surveiller chez les animaux de compagnie

La surveillance dans les abattoirs ou dans les viandes montre également des tendances rassurantes. Autre élément à noter : depuis fin 2022, de nouveaux contrôles des viandes en provenance de l'extérieur de l'UE se mettent progressivement en place.

Ces éléments sont complétés par un autre indicateur : les antibiogrammes réalisés à la demande des vétérinaires et remontés dans le réseau Resapath. Là encore, les données globales sont plutôt rassurantes pour le bilan 2023, avec une diminution générale de l'antibiorésistance chez les différentes espèces. Sauf toutefois pour les chevaux, chez qui la tendance est à l'augmentation. Y compris concernant des antibiotiques critiques en médecine humaine. Ce constat est également vrai pour certains couples bactéries-antibiotiques pour les chats et chiens. Par exemple, des bactéries, Escherichia Coli et surtout Klebsiella pneumoniae, résistantes à des antibiotiques de dernier recours, les carbapénèmes - pour lesquels les prescriptions à l'animal sont interdites - sont régulièrement retrouvées chez ces animaux de compagnie. « C'est inquiétant, car les résistances sont conférées par une enzyme qui diffuse de manière très efficace, explique Marisa Haenni, adjointe au chef de l'unité antibiorésistance et virulences bactériennes de l'Anses. Une fois la résistance acquise au sein de l'animal, elle peut être transmise au sein du foyer. »

Des oiseaux sauvages porteurs d'antibiorésistances

L'Anses a par ailleurs mené une étude sur des vautours fauves (4) vivant dans les Alpes, des oiseaux sauvages qui ne sont pas soumis à des pressions antibiotiques. Résultats : les scientifiques ont retrouvé des bactéries résistantes, dont certaines critiques pour l'homme. « Les proportions d'antibiorésistance mises en évidence en France chez les vautours fauves restent faibles par rapport à d'autres pays, tels que l'Espagne, où ces oiseaux sont nourris avec des carcasses provenant de fermes intensives, a constaté l'Anses. Leur nourrissage avec des carcasses issues d'agriculture extensive, comme c'est le cas dans les Alpes françaises, n'est à l'évidence pas non plus le garant d'une absence de résistance. » Contamination de leurs proies, de leur source d'eau, contact proche entre animaux ou autres, l'acquisition de cette résistance peut passer par différentes voies. Ces animaux peuvent à leur tour également transmettre cette résistance. « Les animaux sauvages peuvent en effet contribuer à la dissémination de l'antibiorésistance par leurs rejets dans l'environnement ou leurs proximités occasionnelles avec la faune domestique », a noté l'Anses.

Si les connaissances sur les mécanismes mis en œuvre dans l'environnement dans l'apparition et la diffusion des résistances bactériennes sont encore lacunaires, ce rôle ne doit pas être négligé.

Un dialogue à roder

Malheureusement, le dialogue entre les secteurs de la santé publique, vétérinaire et du monde de l'environnement n'est pas encore bien rodé. Une première feuille de route interministérielle de maîtrise de l'antibiorésistance a été adoptée en 2016. Avec un bilan (5) mitigé et des résultats modestes pour les secteurs de la santé publique et environnementale. La stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l'antibiorésistance (6) prévoit quant à elle uniquement de développer une dimension « préservation de l'environnement » dans les actions de prévention. Une nouvelle feuille de route doit être présentée aujourd'hui.

Des progrès sont à engager. Par exemple, les choix des antibiotiques réservés uniquement à la médecine humaine répertoriés sur la liste ne prend pas en compte la dégradation de ces derniers dans l'environnement. Ce qui peut conduire à ce que des antibiotiques très persistants dans l'environnement, comme la tétracycline, soient privilégiés. Et de manière générale, l'ensemble de la chaîne intègre peu l'environnement : les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments n'incluent pas ou pas assez les conséquences sur les milieux. « Les outils à la disposition des médecins pour les aider dans leur prescription ne prennent pas en compte les impacts sur l'environnement », a également souligné Florence Lieutier, pharmacien hospitalier, impliquée dans le bon usage des antibiotiques depuis 2003 au CHU de Nice lors de la 8e Journée eau et santé, organisée par le Graie (7) . Et malgré des campagnes de sensibilisation, le reflexe antibiotique reste fortement ancré dans la pratique médicale, même lors d'infections liées à un virus. Une habitude qui s'est notamment illustrée lors des épidémies de Covid-19. « Nous constatons seulement 3,5 % de cas de co-infection bactérienne lors de la Covid-19, a pointé Sylvain Diamantis, chef de service infectiologie au Centre hospitalier de Melun (Seine-et-Marne. Pourtant, sur le plan régional, près d'un médecin sur deux en ville avec un diagnostic de Covid-19 a prescrit des antibiotiques. » Une augmentation de la consommation (8) d'antibiotiques en ville est d'ailleurs constatée depuis 2020.

Des retours d'expérience comme celui du centre hospitalier de Melun sont toutefois encourageants : l'établissement a adopté une approche alternative depuis plus d'une dizaine d'années pour réduire l'antibiorésistance. Les antibiotiques à fort impacts environnementaux sont ainsi limités et réservés à certains usages, les molécules à faible spectre (dont l'action ne cible que certaines bactéries), avec moins de conséquences, sont privilégiées. Depuis, les suivis ont montré une réduction des résistances bactériennes en réanimation. Mais pour que ce type d'approche puisse se développer, l'ensemble des acteurs doit s'impliquer. Et notamment l'industrie pharmaceutique dans ses développements et sa production. « L'industrie pharmaceutique privilégie les molécules à large spectre, car elles touchent plus de patients », a notamment illustré Sylvain Diamantis.

1. Télécharger Global Antimicrobial Resistance and Use Surveillance System (GLASS) Report 2022
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-42952-rapport-surveillance-antibioresistance-2022.pdf
2. Baisse de l'exposition aux fluoroquinolones ( - 88 %), aux céphalosporines de 3e et 4e générations (- 95 %) et la colistine (-79 %) par rapport à 2011.3. Télécharger le Règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires et abrogeant la directive 2001/82/CE
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-42952-reglement-medicaments-veterinaires-ue.pdf
4. Lire Occurrence of ESBL- and AmpC- producing E. coli in French griffon vultures feeding on extensive livestock carcasses. Antibiotics; 12: 1160. <br /><br />
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37508256/
5. Télécharger le bilan de la feuille de route interministérielle 2016
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-42952-bilan-feuille-de-route-interministerielle-2016-antibioresistance.pdf
6. Télécharger la stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l'antibiorésistance
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-42952-strategie-nationale-antibioresistance-2022.pdf
7. Se renseigner sur le colloque Eau et santé organisé par le Graie<br /><br /><br />
https://asso.graie.org/portail/8e-conference-eau-et-sante/
8. Télécharger l'étude Consommation d'antibiotiques en secteur de ville en france 2012-2022
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-42952-consommation-antibiotiques-en-secteur-ville-france-2012-2022.pdf

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