Comment adapter la politique de l'eau pour faire face aux nouveaux défis liés au changement climatique ? C'est la vaste et sensible question à laquelle a souhaité répondre la mission d'information (1) de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, dotée des corapporteurs Vincent Descœur (LR Cantal) et Yannick Haury (RE, Loire-Atlantique). Constituée le 25 mai 2023, elle présente le résultat de ses travaux (2) et ses 81 propositions, ce mercredi 17 janvier. Schématiquement, celles-ci abordent trois sujets : les enjeux liés à la tension sur l'eau, l'adaptation des politiques de gestion de la ressource, ainsi que la gouvernance et le financement de celles-ci.
Concernant l'adaptation, la mission rappelle, tout d'abord, la nécessaire restauration des continuités écologiques comme des zones humides et le rôle des forêts pour préserver les milieux aquatiques. Autre élément clef : le maintien de l'infiltration. En milieu urbain, elle recommande que les études qui évaluent les zones favorables à l'infiltration des eaux pluviales, comme celles réalisées sur les territoires des métropoles de Rennes ou de Toulouse, deviennent obligatoires et que leurs résultats soient intégrés dans les documents d'urbanisme, par exemple avec un objectif de réduction de l'imperméabilisation. « Il est déjà possible aujourd'hui pour les communes d'imposer dans les PLU(i) [plan local d'urbanisme intercommunal], un coefficient d'imperméabilisation maximal (rapport entre la surface imperméable ou semi-perméable et la surface totale de la parcelle), un coefficient d'emprise au sol maximal (CES), ou encore des coefficients de pleine terre (CPT), ou de biotope par surface (CBS), souligne-t-elle. Toutefois, il pourrait être envisageable a minima de hiérarchiser ces coefficients et d'harmoniser les pratiques entre les communes. » Par ailleurs, en parallèle de la mise en œuvre de solutions fondées sur la nature, la mission encourage l'expérimentation de la recharge artificielle de nappes.
Utiliser le levier du signal-prix
Le deuxième axe d'adaptation des politiques de l'eau selon la mission passe par un encouragement plus marqué à la sobriété. Des objectifs de réduction ont été fixés lors des Assises de l'eau, en 2019, ou plus récemment dans le Plan eau. « Certains ont (…) regretté que le Plan eau ne soit pas plus prescriptif et plus contraignant en matière de réduction des prélèvements, via par exemple des obligations chiffrées, par secteur, avec des moyens de contrôle et de sanction en cas de non-respect », a relevé la mission. Les rapporteurs proposent que, sur le modèle des primes à la rénovation énergétique, soient mises en œuvre des primes à l'installation de matériel hydroéconomes. « L'un des leviers les plus efficaces pour inciter à une sobriété continue et globale en matière d'eau, est celui du signal-prix », estiment-ils également.
Définir un usage autorisé pour chaque eau non conventionnelle
Les rapporteurs souhaiteraient que le Gouvernement aille plus loin sur la question des eaux non conventionnelles et définisse pour chaque type d'eau, tous les usages autorisés. Selon eux, chaque collectivité devrait avoir un objectif de réutilisation des eaux usées traitées. Et les règles d'urbanisme devraient encourager les récupérateurs d'eau dans toutes les nouvelles constructions.
Le troisième pilier de l'adaptation, selon la mission, est celui de la transition du modèle agricole. « Les retenues d'eau sont nécessaires, dans certains cas, pour contribuer à l'équilibre économique de l'agriculture, mais elles ne sont pas la solution unique et doivent être mises en place en parallèle d'une évolution du modèle agricole vers des pratiques permettant d'optimiser l'usage de la ressource en eau et de rétablir le rôle du sol dans la rétention de l'eau », se positionnent-ils. Cela dit, ils préconisent d'encourager le stockage dans les territoires les plus marqués « par les irrégularités de la ressource ». Ils souhaitent que des subventions publiques soutiennent la construction d'ouvrages en étant conditionnée à un plan « d'optimisation de la ressource » par les bénéficiaires. Et ils recommandent le multiusage de l'eau stockée. Concernant les cultures, ils appellent également à l'essor de véritables filières qui offrent des débouchés commerciaux à la diversification des semences, notamment de variétés plus résilientes aux changements climatiques. Pour eux, les paiements pour services environnementaux devraient davantage cibler la qualité de l'eau.
Une flexibilité dans la hiérarchie des usages
Enfin, le dernier élément à prendre en compte pour adapter la politique de l'eau au changement climatique, selon les rapporteurs est le partage de la ressource dans un contexte de tension (3) . Ils recommandent pour cela la mise à jour dans chaque département d'un schéma d'interconnexions qui identifie les fragilités d'approvisionnement.
Les rapporteurs aimeraient également affiner les règles de priorités entre les usagers de l'eau. « Il apparait nécessaire de prévoir un cadre national de hiérarchie des usages, tout en s'assurant d'une certaine flexibilité à l'échelle locale selon les situations particulières, sans toutefois que les dérogations deviennent la règle », considèrent-ils. Aujourd'hui, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques donne la priorité aux usages liés à la santé, à la salubrité publique, à la sécurité civile et à l'alimentation en eau potable de la population. La gestion équilibrée doit ensuite permettre de satisfaire ou concilier ceux-ci avec les exigences du milieu aquatique, du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations, mais également des activités humaines telles que l'agriculture, la pêche, l'industrie ou encore la production d'énergie. « La détermination plus fine et systématique des priorités entre les différentes catégories d'usages semble inévitable et nécessaire, estime la mission. Par exemple, une hiérarchie plus claire pourrait être établie entre les usages économiques de l'eau, afin notamment de renforcer et de clarifier la place de la production agricole, vitale pour notre souveraineté alimentaire, comme étant prioritaire sur les usages de tourisme ou de loisirs. »
Et pour avancer dans ce sens, la mission invite à ce que la possibilité offerte par les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) de définir plus précisément les priorités d'usage au sein des sous-bassins versants soit davantage exploitée.