Nouveau coup de théâtre pour la continuité écologique des cours d'eau, en faveur, cette fois, des associations pour la préservation des moulins. Le Conseil d'État, dans une décision rendue le 31 octobre (1) , rétablit en effet la demande d'autorisation pour les travaux de restauration, une procédure plus lourde que la simple déclaration jusqu'alors demandée.
En 2020, dans le cadre de la révision de la nomenclature « loi sur l'eau », le gouvernement avait créé une rubrique « restauration de la fonctionnalité des milieux aquatiques », afin de simplifier les démarches pour ce type de travaux et les soumettre uniquement à déclaration. « La nouvelle rubrique permet de ne pas considérer que des travaux de restauration des fonctionnalités écologiques, et de renaturation, soient de même nature que des travaux destructeurs des milieux », avait alors salué Antoine Gatet, vice-président de la fédération d'associations France nature environnement et enseignant au Centre de recherches interdisciplinaires en droit de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme (Crideau).
Un allégement qui avait toutefois suscité le mécontentement de l'association Hydrauxois. Cette dernière ainsi que la Fédération des moulins de France (FDMF), la Fédération des moulins (FFAM), l'Association des riverains de France, France Hydro Électricité et l'Union des étangs de France avaient déposé une requête en annulation de cet article du décret.
Une prise d'effet au 1er mars 2023
Une demande que le Conseil d'État a donc entendue en annulant les textes abordant ce point (l'arrêté du 30 juin 2020 et le h de l'article 3 du décret du 30 juin 2020). En cause, notamment, pour ce dernier : les inondations. Il considère que les installations, ouvrages, travaux ou activités pouvant accroître ce risque doivent être soumis à autorisation. Toutefois, « eu égard aux conséquences manifestations excessives de l'annulation rétroactive », l'annulation prendra effet au 1er mars 2023, sauf pour projets en cours de contentieux.
Pour mémoire, en août dernier, le Conseil d'État a rendu une décision qui était – elle – favorable aux partisans de la restauration : il a estimé, en effet, que la dérogation accordée aux moulins équipés pour produire de l'électricité et situés sur des rivières à restaurer (classées en liste 2) méconnaissait les objectifs de la directive-cadre sur l'eau (DCE) et celui de la reconstitution du stock d'anguilles européennes. Et il a demandé aux préfets de ne pas faire appliquer cette dérogation.
Ce nouveau revirement risque de compliquer – un peu plus – les discussions des opérateurs sur le terrain. Deux dispositions de la loi Climat et résilience (article 49), adoptée en août 2021, ont déjà contribué à créer des situations de blocage : la suppression de l'aide des agences de l'eau pour l'effacement des seuils installés sur les rivières, ainsi que la précision que l'usage actuel ou potentiel des ouvrages ne peut être remis en cause, notamment à des fins de production d'énergie.
Des blocages préexistants
Cela a notamment été le cas pour l'établissement public territorial de bassin (EPTB), le Sivalodet (2) , sur le bassin versant de l'Odet, en Bretagne. En 2011-2012, l'établissement a lancé une étude globale pour diagnostiquer les 68 ouvrages situés sur les axes principaux (des moulins, ponts, etc.), à la fois sur la migration des poissons, les sédiments, les usages et la répartition des débits (les moulins devant respecter un débit d'écoulement). « Nous avons identifié 15 ouvrages prioritaires qui posaient problèmes pour l'un des compartiments analysés, a expliqué Anne-Sophie Blanchard, coordinatrice du Sivalodet, lors du 38e congrès de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), en septembre dernier. Nous n'avons pas de position dogmatique. L'ensemble des solutions a été étudiée : l'effacement, l'effacement partiel ou l'aménagement de passes à poissons. »
Deux ouvrages, propriétés de la ville de Quimper, figurent sur cette liste. « La ville nous a délégué les travaux. Nous avons fait le choix de l'effacement, qui était le plus efficient par rapport à la continuité écologique. Il restait deux seuils dans la rivière, mais les bâtiments n'existaient plus, a décrit Anne-Sophie Blanchard. C'était avant la loi Climat et résilience, et nous disposions de 80 % de subvention de l'agence de l'eau. » L'EPTB s'est alors heurté à l'opposition d'associations de moulins, qui considéraient qu'il y avait là un potentiel hydroélectrique. « Avec la perspective de loi Climat et résilience, l'agence de l'eau était frileuse pour nous accorder les subventions », a indiqué Anne-Sophie Blanchard. Les travaux ont finalement commencé, mais en juin dernier, l'association des moulins du Finistère et l'association de sauvegarde des moulins ont déposé un référé-suspension. « Elles ont été déboutées par le tribunal, mi-juillet, sur la forme, mais pas sur le fond, a pointé Anne-Sophie Blanchard. Nous craignons qu'elles ne déposent un nouveau recours. »
De nouvelles évolutions à prévoir
Sans la subvention des agences de l'eau pour l'effacement, et désormais avec l'obligation de devoir à nouveau passer par une demande d'autorisation pour la restauration de la continuité écologique, les propriétaires qui souhaitent engager des travaux verront leur démarche encore se complexifier.
La situation pourrait encore évoluer. Dans la version votée par le Sénat, le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables comporte des dispositions qui intéressent la continuité écologique et les moulins. Celui-ci a été renvoyé devant la commission des affaires économiques (saisie au fond) de l'Assemblée nationale. « Je vous invite à regarder ce que va devenir ce texte », a suggéré Claude Miqueu, président de la commission réglementation du Comité national de l'eau, chargé d'un groupe de travail sur la continuité écologique, à l'occasion d'une formation d'IdealCo, mercredi 9 novembre.
Par ailleurs, des outils sont en cours d'élaboration. Des « modes d'emploi » à destination des acteurs, écrits notamment avec la FNCCR et l'Office français de la biodiversité (OFB). Ils devraient être bientôt rendus publics. « Nous devions les rendre avant la fin de l'année. Nous aurons un peu de retard pour certains, avec une publication début 2023 », a précisé Claude Miqueu. Lui, Jean Launay, président du Comité national de l'eau et les services du ministère de la Transition écologique se sont réunis pour faire un point sur cette question, mercredi 9 novembre. « Aujourd'hui, la politique apaisée de la continuité écologique n'est pas au rendez-vous, a regretté Claude Miqueu. Nous rêvons, en 2023, de fréquenter un chemin plus solide. »