Face à cette pollution par hydrocarbures, la plus importante intervenue en France depuis l'Amoco Cadiz en 1978 et après plusieurs années d'enquêtes et d'expertise, le procès de la catastrophe s'est ouvert le 12 février dernier devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris.
Sur les bancs des accusés, pour « pollution maritime », « abstention volontaire de combattre un sinistre » ou « complicité de mise en danger de la vie d'autrui », figurent quatre personnes morales : le groupe Total, la filiale Total Petroleum Services, la filiale Total Transport Corporation et la société Rina, entreprise italienne de classification des navires.
Onze personnes physiques sont également poursuivies : le directeur juridique de Total, le directeur de la Rina, le propriétaire du bateau, le capitaine du pétrolier, les deux armateurs, un responsable de la société de maintenance Panship, un agent du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage et trois militaires de la préfecture maritime de l'Atlantique.
Face à eux, 101 parties civiles (états, collectivités, associations, ONG, pécheurs, etc..) qui espèrent obtenir des dommages financiers.
Après quatre mois de procès, le procureur avait, en juin dernier, réquisitionné notamment la peine maximale contre Total, soit une amende de 375.000 euros, et une peine d'un an de prison pour le propriétaire de l'Erika. Il avait en revanche demandé la relaxe pour les secours.
Aujourd'hui, après sept mois de délibéré et 8 ans après les faits, le verdict final vient d'être rendu par le tribunal correctionnel de Paris.
Pour ne pas avoir tenu compte de l'âge avancé du navire, ni de ''la discontinuité de sa gestion technique et de son entretien'', le groupe Total SA s'est rendu coupable d'une ''faute d'imprudence''. Selon le jugement, cette imprudence a eu ''un rôle causal dans le naufrage et comme telle a provoqué l'accident'' du pétrolier le 12 décembre 1999 au large des côtes françaises. De fait, le tribunal condamne la société à la peine maximale de 375.000 euros d'amende. La société Rina, entreprise de classification italienne des navires écope aussi de 375.000 euros d'amende, pour les mêmes raisons que Total.
De leur côté, les deux armateurs ont été reconnus coupables de «faute caractérisée». Ils sont condamnés à 75.000 euros d'amende.
Les onze autres prévenus et notamment le capitaine du navire, les membres des secours, le dirigeant du Rina et l'ancien directeur des affaires juridiques du service trading/shipping de Total ont été relaxés, ainsi que les deux filiales de Total, Total petroleum services (TPS) et Total transport corporation (TPC). Ce procès a permis de voir qu'il y avait des responsabilités à tous les niveaux : la société de certification a commis des fautes, la société Total, à travers sa procédure d'inspection, en a commis aussi, et l'armateur également, a souligné Alexandre Faro, avocat de plusieurs associations de protection de l'environnement et notamment de Greenpeace France. Ce jugement aura des répercussions très importantes concernant la chaîne des responsabilités. Si le champ des responsabilités est étendu, on augmente la possibilité de réparer ces catastrophes et on incite les entreprises à être plus vertueuses ! Si les affréteurs peuvent être reconnus responsables des pollutions marines, ils seront incités à faire davantage attention, a-t-il estimé.
Par ailleurs, Total SA, les deux armateurs et l'entreprise Rina ont été condamnés à verser solidairement 192 millions d'euros de dommages et intérêts aux parties civiles, dont 153 millions d'euros à l'Etat français.
Le tribunal correctionnel de Paris a par ailleurs reconnu le droit des associations du procès à obtenir réparation des dommages à l'environnement. Selon l'AFP, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) touchera quelque 680.000 euros. WWF-France et Greenpeace-France toucheront chacun 33.000 euros.
C'est donc la première fois qu'en France, est reconnue l'existence d'un préjudice écologique ''résultant de l'atteinte portée à l'environnement''. Nous espérons maintenant que ce jugement fera jurisprudence et boule de neige partout dans le monde, a indiqué Yannick Jadot, directeur des campagnes de Greenpeace. En effet, le droit international doit être modifié pour prendre en compte le préjudice environnemental. Il convient aussi de réformer le droit maritime afin que le système actuel de déresponsabilisation des affréteurs soit rendu impossible !, ajoute-t-il.
En date de février 2007, le Centre de Documentation, de Recherche et d'Expérimentations sur les Pollutions Accidentelles des Eaux (Cedre) recensait 120 pollutions maritimes accidentelles sur la période 1960-2007.
Le 18 mars 1967, le pétrolier libérien Torrey Canyon, armé par une filiale américaine de l'Union Oil Company of California, chargé de 121.000 tonnes de brut, s'échoue entre les îles Sorlingues et la côte britannique. Malgré une mobilisation de tous les moyens de lutte disponibles, plusieurs nappes de pétrole dérivent en Manche, venant toucher les côtes britanniques et françaises. Selon le Cedre, cet accident fait découvrir à l'Europe un risque qui avait été négligé. Il donne naissance aux premiers éléments des politiques française, britannique et européenne de prévention et de lutte contre les grandes marées noires.
L'année 1978 verra la plus grande marée noire par échouement de pétrolier jamais enregistrée dans le monde. En effet, le 16 mars, suite à une avarie de barre, le pétrolier libérien Amoco Cadiz, transportant vers Rotterdam 220.000 tonnes de pétrole brut du Golfe, dérive vers la côte bretonne dans une forte tempête. Le navire s'échoue à 22 heures sur des brisants, devant le petit port de Portsall. Plusieurs citernes se déchirent. Très vite les premières nappes touchent la côte. En deux semaines, la totalité de la cargaison se déverse en mer. Plus de 300 kilomètres de littoral parmi les plus beaux et les plus naturels d'Europe sont souillés. Cette catastrophe conduira le gouvernement français, dont les côtes sont très gravement touchées, à refondre son plan de lutte (le plan Polmar), acquérir des stocks de matériel (les stocks Polmar), imposer des rails de circulation en Manche et créer le Cedre. L'année 1979, avec 750.000 tonnes d'hydrocarbures déversés dans les mers et les océans reste l'année la plus « noire » en termes de pollutions maritimes accidentelles. En 1992, après un marathon judiciaire et 15 millions d'euros dépensés en frais d'avocat, Amoco est condamné à verser 183 millions d'euros à l'Etat et près de 35 millions d'euros aux victimes. Le 24 mars 1989, 50.000 tonnes de pétrole s'étaient déversées dans la baie du Prince William en Alaska, après que le pétrolier Exxon Valdez heurte un récif. Le groupe Américain est condamné à verser 4,5 milliards de dollars de dommages punitifs aux victimes de la marée noire de l'Exxon Valdez, le 28 janvier 2004.
Dans la lignée, d'autres procédures judiciaires sont attendues en 2008 et notamment celle concernant le naufrage du Prestige, qui en coulant, le 19 novembre 2002, a déversé 50.000 tonnes de sa cargaison dans l'océan, polluant de fait des milliers de kilomètres de côtes en Espagne et en France.