Des progrès encore et toujours insuffisants, liés à un manque de stratégie pour faire face aux défis climatiques qui attendent la France : tel pourrait être le résumé du volumineux rapport annuel (1) du Haut Conseil pour le climat (HCC), publié ce jeudi 30 juin. Certes, les émissions de gaz à effet de serre de la France s'inscrivent dans une tendance à la décroissance, en dépit d'un rebond partiel post-Covid de + 6,4 % entre 2020 et 2021, constate l'instance consultative. À raison d'une baisse de 1,7 à 1,9 % par an, elles restent ainsi sous leur niveau de 2019 (- 3,8 %) et de 1990 (- 23,1 %). Mais les mesures sectorielles prises en 2021 pour accélérer la transition ne sont pas à la hauteur. Sur les 25 orientations sectorielles de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), 13 « ne sont pas en adéquation avec le niveau requis », juge le HCC. Et si les émissions totales de GES de la France se maintiennent globalement sous le plafond fixé par la SNBC, elles le doivent surtout aux effets de la crise sanitaire et au relèvement de ce plafond, rappelle le rapport.
L'énergie, le bâtiment et l'industrie plus sobres
Point positif, le recul des émissions concerne tous les grands secteurs les plus impliqués : l'énergie, qui affiche des résultats « significativement » inférieurs à ses budgets carbone SNBC, l'industrie et le bâtiment. Pour ce dernier, la réglementation RE 2020 a permis de structurer utilement les stratégies des acteurs de la construction, souligne le rapport. Mais les dispositifs du Plan de relance encouragent peu les rénovations globales profondes, l'éradication des passoires thermiques reste « mal accompagnée » et la pérennisation des financements publics non garantie.
L'agriculture à la traîne
Déjà critiqué par la Commission européenne et, aujourd'hui, par la Cour des comptes, le Plan stratégique national agricole (PSN) de la France ne permet d'atteindre, dans sa version actuelle, que la moitié des objectifs climatiques fixés par la SNBC en 2030. Les bonnes pratiques de stockage de carbone dans les sols agricoles sont mal soutenues et les méthodologies peu harmonisées. La sécheresse et l'accroissement des prélèvements aidant, l'absorption du CO2 en milieu forestier s'est, quant à elle, fortement dégradée entre 2013 et 2019, avant d'augmenter à nouveau depuis 2020.
Les politiques d'adaptation, qui peuvent pourtant s'appuyer sur des outils de prévention efficaces, souffrent également d'un « manque d'objectif stratégique, de moyens et de suivi », relève le rapport. Tout comme le développement des énergies renouvelables, notoirement insuffisant qui risque, en outre, de souffrir d'un réseau électrique mal adapté à l'augmentation des capacités de production et à leur nécessaire diversification.
Résilience, sobriété et accélération souhaitées
Le contexte géopolitique complique évidemment la situation pour les pouvoirs publics, comme en témoigne le projet de réouverture de la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle) pour prévenir le risque de pénurie en énergie, l'hiver prochain. Mais le HCC met en garde le gouvernement contre toute pérennisation des mesures d'urgence. « Elles pourraient avoir des conséquences structurelles sur la trajectoire d'émissions à long terme, et nuire à l'atteinte des objectifs climatiques sectoriels », souligne-t-il. La substitution du gaz russe par du gaz naturel liquéfié (GNL), par exemple, risque ainsi de flécher durablement les actifs vers de mauvaises cibles, en augmentant l'empreinte carbone de la France.
Au-delà des mesures immédiates de gestion de la crise, la réponse de la France doit donc privilégier les actions contribuant à la résilience aux chocs externes, via plus de sobriété notamment, et à la réduction accélérée des émissions de gaz à effet de serre, estime le HCC. Mais ce dernier appelle plus généralement les pouvoirs publics à un « sursaut de l'action climatique » et à une « accélération sans précédent » de la baisse des émissions dans tous les secteurs. La France devrait ainsi doubler son rythme annuel de réduction de ses émissions sur la période 2022 à 2030. Non seulement pour permettre au pays de réduire sa forte dépendance aux énergies fossiles et remplir ses engagements internationaux : loi Climat européenne, paquet « Fit-for-55 », notamment, et COP26. Mais aussi parce que les impacts des dérèglements climatiques s'aggravent fortement sur le territoire.
Une gouvernance à améliorer
La France, qui a déjà gagné 1,7 degré depuis le début du XXe siècle, voit se multiplier les épisodes de forte chaleur, de sécheresse et de pluies extrêmes. Des événements, encore aggravés par des éléments structurels tels que les îlots de chaleur, qui gagnent en intensité, avec des conséquences environnementales, matérielles et humaines importantes : recul du trait de côte, inondations, dégradation de l'état des infrastructures et des habitations, atteinte des systèmes agricoles, dépérissement de la forêt… Or, « des risques majeurs de ne pas atteindre les objectifs fixés (…) persistent », alerte le HCC.
Les rapporteurs saluent le recentrage de l'action climatique autour de la Première ministre et la nomination d'un secrétaire général à la Planification écologique, de même que la mise en place de plans d'action par plusieurs ministères et l'effort de sanctuarisation des financements publics. Ils insistent toutefois sur la nécessité d'élaborer une vision « partagée par tous », équitable et cohérente avec les stratégies européennes. Ils préconisent ensuite de décliner et de coordonner la planification à l'échelle des territoires, puis de la rendre plus opérationnelle, grâce notamment « à plus de moyens humains » et au développement des métiers et des compétences nécessaires. Une meilleure programmation des financements serait également souhaitable, pour apporter aux parties prenantes la visibilité indispensable à l'action.