Menacées par les activités humaines, les zones humides - milieux riches mais fragiles - doivent être préservées. L'engagement n°112 du Grenelle de l'environnement a souligné cette nécessité en prévoyant ainsi l'acquisition d'ici 2015 de 20.000 hectares de zones humides par le Conservatoire du littoral et les Agences de l'eau. Dans ce contexte, le Commissariat général au développement durable (CGDD) a souhaité évaluer le bénéfice apporté par ce type d'écosystème. Il a donc mené une étude qui vise à déterminer la valeur économique des services rendus par les zones humides mais également le type de méthodologie pour y arriver. Le Parc naturel régional (PNR) des marais du Cotentin et du Bessin avec ses 49.000 hectares de zones humides a été choisi pour cette étude.
Premiers résultats et définition des services écosystémiques
Pourquoi une monétarisation ?
Nombre de biens et de services environnementaux ne font pas l'objet d'échanges et donc n'ont pas de prix. Ce système de monétarisation qui s'inscrit dans la continuité des rapports Chevassus-au-Louis, Sukhdev et Stern peut ainsi paraître choquant pour certains. D'autres craignent que cette monétarisation ne soit qu'un préalable au développement de marchés sur des biens inestimables. Mais, selon Michèle Pappalardo, ancienne Commissaire générale au développement durable, cette technique d'analyse permet de mieux intégrer les enjeux environnementaux dans les décisions publiques et les choix privés. Une meilleure prise en compte de la valeur de l'environnement offrirait ainsi davantage de protection.
Pour déterminer les différents types de services, l'étude s'est basée sur une classification développée par l'Evaluation des écosystèmes pour le Millénaire (MEA), qui offre une vision claire et exhaustive des avantages que les populations retirent des zones humides. Elle repose sur quatre grandes catégories : les services de production correspondant aux produits obtenus directement de l'écosystème (bois, énergies, eau douce, nourriture, ressources biochimiques…), les services de régulation obtenus à partir des processus de régulation naturelle (régulation de l'eau, purification de l'eau, maintien de la qualité de l'air, traitement des déchets, contrôle de l'érosion…), les services culturelles dont peuvent jouir la populations, et les services de soutien nécessaire à la production de tous les autres services.
Néanmoins, même si cette liste fournit des renseignements pertinents, le CGDD a dû réfléchir à une nouvelle structuration des services écosystémiques adaptée à son cadre d'enquête afin d'éviter les double-comptes et faciliter l'agrégation des valeurs entre elles. Par exemple, les services de purification de l'eau, de recharge des aquifères et de production d'eau douce se recoupent, les deux premiers permettant l'expression du dernier, ce qui pourrait générer des double-comptes. Cohérente avec les recommandations du Centre d'analyse stratégique (CAS) sur l'approche économique de la biodiversité, cette nouvelle structuration a permis de compléter l'analyse du PNR selon quatre dimensions : le potentiel naturel durable qui définit le potentiel maximum exploitable par l'homme, la prise en compte des nuisances traduites en termes de coûts, la dimension spatiale qui précise les bénéfices et nuisances en fonction de la zone géographique et de la population résidente, et les effets de seuils.
Plusieurs méthodes de monétarisation nécessaires
Outre ces méthodologies, le CGDD a souhaité également prendre en compte la valeur de non-usage des zones humides du PNR comme approche complémentaire. Cette valeur correspond au consentement à payer (CAP) par des individus pour préserver un bien qu'ils n'utilisent pas effectivement ou qui leur est impossible d'utiliser. Menée auprès de 800 personnes, une enquête sous forme de questionnaire a ainsi permis d'évaluer différemment la valeur de certains services. Pour ne pas trop complexifier cette enquête, trois services seulement (valeur esthétique et récréative, service de purification de l'eau et la biodiversité) ont été choisis. Pour ces trois paramètres, la valeur moyenne du CAP est d'environ 39 euros par habitant et par an. Ce montant correspond à des CAP de 9 euros pour la préservation d biodiversité, 15 euros pour la purification de l'eau et 15 euros également pour le paysage et l'accès au site. Ces données permettront de mieux caractériser la valeur économique de certains services et donc de valider les méthodologies testées en comparant ces différents résultats.
Grâce à ces différentes méthodes et approches, le CGDD a défini, pour les zones humides du PNR du Cotentin et du Bessin, une valeur comprise entre 117 à 218 millions d'euros par an. Rapportée à l'hectare et sans différenciation des types de zones humides présents (marais à vocation agricole, pré salé, tourbière…), la valeur moyenne est comprise entre 2.400 et 4.400 euros. Mais, le plus important est d'avoir réussi à évaluer les différents services des zones humides selon plusieurs méthodes et donc d'établir des valeurs de référence. Ces dernières pourront ensuite être intégrées à d'autres études ou dans des analyses coûts-bénéfices.
Le CGDD précise également que cette étude a mis en lumière la nécessité d'améliorer les interactions entre économistes, écologues, naturalistes ou encore hydrogéologues. Un approfondissement des outils d'identification et de quantification des biens et services rendus par les zones humides est également souhaité. Dernier point, il faudra vérifier la pertinence des méthodes d'agrégation utilisées à des échelles bien plus larges comme celle d'un district hydrographique, voire un pays en entier.