Crime sociétal : c'est en ces termes que la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'amiante, qualifie le drame provoqué par ce silicate naturel hydraté de calcium et de magnésium à contexture fibreuse, utilisée en France jusqu'en 1997, date de son interdiction.
Présidée par Jean Le Garrec, la mission d'information a élaboré 51 propositions et insiste sur trois aspects : améliorer la prise en charge des victimes et le suivi médical des personnes exposées, assurer un traitement sécurisé de l'amiante en place et agir au niveau international.
Les députés proposent notamment de renforcer les pouvoirs du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), mis en place en décembre 2000, et du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA) créé en décembre 1998.
Les députés préconisent de donner aux victimes leur juste place dans la procédure pénale en plaçant les affaires de santé publique au coeur des priorités des parquets. Le drame de l'amiante a révélé que le système de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles est inadapté car injuste et qu'il doit évoluer vers une meilleure indemnisation, écrit Jean Le Garrec. Le FIVA doit permettre de tarir les contentieux conformément à l'objectif initial d'un dispositif fondé sur une indemnisation rapide et équitable de toutes les victimes de l'amiante.
De manière à améliorer le suivi médical des personnes exposées, les députés proposent de développer un suivi médical des personnes exposées sur la base des conclusions des expérimentations (information, recours au scanner thoracique, accompagnement psychologique, etc.) et faire un effort dans la connaissance épidémiologique des maladies liées à l'amiante.
Ils souhaitent notamment créer une certification des maîtres d'œuvre sur la base de référentiels (repérage, évaluation, élimination des déchets), prévoir pour les coordinateurs « sécurité et protection de la santé » une formation sur les risques liés à l'amiante, créer une certification obligatoire d'« opérateur de repérage de l'amiante et prévoir une qualification obligatoire des entreprises traitant l'amiante lié pour assurer un traitement sécurisé de l'amiante en place.
Outre des mesures pour tendre vers un meilleur respect de la réglementation par les propriétaires, en les informant, les responsabilisant et les accompagnant, la mission propose de corriger les faiblesses de la réglementation en modernisant les textes relatifs au diagnostic amiante pour tenir compte des risques décelés depuis 1996, en améliorant le dossier technique amiante pour le rendre plus efficace dans la prévention des risques, en créant un registre centralisé des dossiers techniques amiante et en comblant les lacunes de la réglementation sur le désamiantage en matière de contrôles des poussières.
La mission veut également améliorer le contrôle de l'application des réglementations en matière de démolition, où le risque de pollution atmosphérique est le plus grand et en matière de repérage, les obligations étant jusqu'ici incontrôlées dans ce secteur.
La mission propose aussi d'améliorer la gestion des déchets en encourageant notamment la recherche et le développement dans le domaine des déchets amiantés et en facilitant la collecte des déchets amiantés pour éviter les éliminations sauvages et en sécurisant le transport.
Au niveau international, elle préconise une action visant à moraliser le comportement des entreprises européennes, en les empêchant notamment d'exporter des pratiques désormais interdites par l'Union européenne vers les pays tiers !
La Mission propose aussi de créer une filière de démantèlement des navires, en développant une filière technologique française de démantèlement des navires en fin de vie, dont le nombre ne va cesser de croître.
Dans certains pays, en Asie principalement, la démolition de navires en provenance d'Europe du Nord ou d'Europe constitue une source de pollution croissante. S'agissant des navires en fin de vie, qui sont très contaminés, on a choisi de transférer le risque vers des pays qui n'ont ni les mêmes réglementations ni les mêmes systèmes de protection sociale que la France. Une telle stratégie n'est pas propre à la France. Un grand nombre de navires sont envoyés sur des chantiers en Inde, au Bangladesh, en Chine, au Pakistan ou en Turquie. Il faut savoir que l'Inde et le Bangladesh sont les premiers destinataires de ce marché du démantèlement des navires, indique Mme Annie Thébaud-Mony. La mission confirme ainsi le ''mal fondé'' de l'exportation du Clemenceau vers l'inde.
Enfin, la mission souhaite voir la mise en place d' une convention internationale d'interdiction mondiale de l'amiante puisqu'aujourd'hui aucun instrument juridique n'interdit l'amiante au plan mondial. 37 États seulement ont, aujourd'hui, interdit la production et l'utilisation de toutes les formes d'amiante sur leur territoire. Outre les membres de l'Union européenne, ce sont l'Argentine, l'Australie, le Chili, le Gabon, le Honduras, l'Islande, le Koweït, la Norvège, l'Arabie Saoudite, les Seychelles, la Suisse et l'Uruguay, indiquent la mission en se basant les informations fournies à la mission par le sénateur belge Alain Destexhe et les données recueillies sur le site Internet de l'organisation non gouvernementale International Ban Asbestos Secrétariat*.
À cette liste s'ajouteront prochainement la Roumanie et la Bulgarie, du fait de leur adhésion prochaine à l'Union européenne, mais aussi l'Afrique du Sud et le Japon, puisque ce dernier devrait avoir prononcé l'interdiction d'ici 2008. Par ailleurs, si certains États fédéraux ne l'ont pas fait, quelques unes de leurs entités fédérées ont, elles aussi, déclaré « hors-la-loi » toutes les formes d'amiante. C'est le cas, au Brésil, des États de Rio de Janeiro et du Rio Grande do Sul.
L'association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva) et le Comité anti-amiante Jussieu ont salué les propositions du rapport de l'Assemblée nationale en matière de prévention mais ont fait part de grandes inquiétudes sur le volet indemnisation. Ils saluent la création d'un registre centralisé de diagnostic amiante des bâtiments ou la généralisation de l'obligation de certification à toute la chaîne des intervenants dans la gestion du risque amiante mais déplorent la proposition faite par les députés concernant la suppression dans le droit de la Sécurité sociale de la faute inexcusable de l'employeur et son remplacement par une faute d'une particulière gravité.
Dans un communiqué, le Ministère de la Santé et de la Solidarité souligne l'ampleur et la qualité des travaux conduits par la Mission parlementaire et précise qu'il examinera dans le détail l'ensemble de ces propositions tout en soulignant que
Les ministres en charge de l'Intérieur, du Logement et de la Santé ont saisi conjointement leur inspection générale afin qu'elles réalisent un bilan des réglementations en vigueur depuis 1996 et élaborent des propositions concrètes d'amélioration du contrôle des bâtiments contenant de l'amiante et de renforcement des mesures de prévention.
Le 26 octobre dernier, les sénateurs, dans un autre rapport, avaient tenté de comprendre pourquoi l'interdiction de l'amiante avait mis tant de temps à se mettre en place. Ils dénonçaient notamment l'indifférence de l'ensemble des acteurs, des pouvoirs publics et des employeurs notamment face à ce matériau dont la dangerosité avait été mise en évidence dès 1906. Le rapport estimait que les carences du système de santé au travail, l'absence à l'époque de tout système de veille et d'alerte et l'existence d'un lobby industriel de l'amiante avaient contribué à une prise de conscience tardive de ce drame.
Il existe deux variétés d'amiantes : la serpentine qui ne comporte qu'une espèce cristalline, le chrysotile et les amphibobes qui comportent cinq espèces (anthophyllite, amosite, actinolite, trémolite et crocidolite). L'inhalation prolongée de fibres d'amiante peut provoquer des maladies avec atteintes non tumorales (l'asbestose ou fibrose interstitielle diffuse, les pleurésies bénignes asbestosiques, les plaques pleurales) et des maladies avec atteintes tumorales (le mésothéliome, le cancer broncho-pulmonaire et autres formes de cancers).
Compte tenu des très longs délais de latence des pathologies malignes, et notamment du cancer de la plèvre (mésothéliome), 60 000 à 100 000 décès sont attendus dans les 20 à 25 ans à venir.
*http://www.btinternet.com/~ibas/Frames/sf_content_current_bans.htm