C'est une première mondiale : ce jeudi 23 février, trois ONG – Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à tous et Oxfam France – assignent la banque BNP Paribas en justice pour sa « contribution significative aux dérèglements climatiques » et pour ses manquements à ses obligations relatives à la loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Avec 55 milliards de dollars de financements accordés aux acteurs du secteur des énergies fossiles entre 2016 et 2021, la banque s'est hissée au premier rang de leurs soutiens pour l'Europe et au cinquième rang pour l'ensemble du monde, constatent les ONG.
Le collectif lui reproche notamment les fonds alloués durant cette même période à l'exploitation pétrogazière au sein de deux écosystèmes particulièrement fragiles : en Arctique (6 milliards de dollars) et en mer (36 milliards de dollars). Il note aussi que BNP Paribas représente le premier financeur mondial des huit géants européens et américains du pétrole et du gaz – TotalEnergies, Chevron, ExxonMobil, Shell, BP, ENI, Repsol et Equinor –, qui ont bénéficié de 43 milliards de dollars de sa part pour leurs activités fossiles. Selon les ONG, ces majors sont impliquées dans plus de 200 nouveaux projets qui entraîneraient l'émission de 8,6 gigatonnes de CO2 supplémentaires.
Des efforts plus que limités
Les chercheurs, à commencer par ceux du Giec, ont pourtant démontré l'impossibilité de produire ne serait-ce que l'ensemble des réserves déjà en exploitation pour rester sous la barre du 1,5 °C de réchauffement global, s'indignent les ONG. « L'industrie fossile, soutenue par ses banques, a donc déjà investi dans l'exploitation de plus de pétrole, de gaz et de charbon que ce qu'il est possible de brûler », insistent-elles.
Au cours des dernières années, BNP a communiqué de plus en plus souvent sur de nouveaux engagements pour le climat, en affichant l'objectif de se conformer à l'Accord de Paris. En 2021, elle a par exemple annoncé son adhésion à la Net-Zero Banking Alliance (NZBA) lancée par l'Initiative Finance de l'ONU Environnement.
Mais le collectif d'ONG considère qu'au-delà de la communication les mesures prises restent bien trop limitées et inefficaces : non seulement la banque n'exige pas de ses clients un alignement à la stratégie 1,5 degré, mais elle n'exclut pas certaines activités comme l'exploitation des pétroles et gaz offshore ultraprofonds. Lorsqu'elle annonce réduire son exposition de crédit à l'exploration et à la production de pétrole et de gaz de 12 %, à l'exploration et à la production de pétrole de 25 %, d'ici à 2025 par rapport à 2020, elle « oublie » les autres projets en lien avec les hydrocarbures, comme les oléoducs, les gazoducs ou les centrales thermiques. Elle écarte aussi de ses promesses d'efforts les investissements sur les marchés financiers, comme ses aides à l'émission de nouvelles actions ou obligations, estiment les associations.
Une réponse insatisfaisante
En octobre dernier, les Amis de la Terre France, Notre Affaire à tous et Oxfam France avaient donc déjà mis en demeure BNP Paribas de respecter la loi française sur le devoir de vigilance qui impose aux multinationales de tous les secteurs l'obligation d'agir, de manière effective, pour protéger les droits humains et l'environnement.
Sous la pression, la banque s'était alors engagée sur une réduction de ses encours à l'extraction et à la production de pétrole et de gaz à l'horizon 2030, mais sans exiger de ses clients un plan de sortie de ces énergies fossiles et sans exclure de nouveaux projets. Des déclarations largement insuffisantes pour les ONG. « BNP Paribas continue de faire de nouveaux chèques en blanc aux plus grandes entreprises d'énergies fossiles sans condition de transition », commente Alexandre Poidatz, responsable de plaidoyer chez Oxfam France.
En ce début de mois de février, les associations ont d'ailleurs découvert la participation de la banque à l'émission d'une nouvelle obligation à hauteur de 2,5 milliards de dollars pour BP. « Ceci nous prouve que notre vision est juste et que BNP Paribas pourrait répéter ce type de transaction, analyse Lorette Philippot, chargée de campagne aux Amis de la Terre France. Une banque ne peut pas prétendre s'engager pour la neutralité carbone tout en continuant à soutenir de nouveaux projets de pétrole et de gaz. »
Appel à la justice
Le collectif mise sur une audience dans les prochains mois. À terme, il espère obtenir du juge une décision contraignant la banque à aligner véritablement ses activités sur un réchauffement global à 1,5 °C, en conformité avec les objectifs de l'Accord de Paris. Donc à mettre fin à ses soutiens financiers aux nouveaux projets d'énergies fossiles, à adopter un plan de sortie du pétrole et du gaz et à se doter d'une réelle stratégie climatique.
« Le contrôle judiciaire strict du respect par l'entreprise de son devoir de vigilance et du caractère adapté ou non des mesures est au cœur de la loi française, précise François de Cambiaire, l'un des avocats des ONG. Le tribunal s'appuiera sur les principes directeurs de l'ONU et de l'OCDE qui définissent les mesures spécifiques de vigilance sur les activités soutenues par la banque, par ses financements et investissements, pouvant aller jusqu'à l'arrêt de l'activité à l'origine du dommage et même le désinvestissement. »
Il incombe désormais au tribunal judiciaire de Paris de fixer un calendrier pour les prochaines étapes de la procédure. D'autres rendez-vous pourraient s'y rajouter. « Ce premier contentieux climatique contre une banque commerciale est sans aucun doute le premier d'une longue série partout dans le monde », estime Justine Ripoll, responsable de campagnes pour Notre Affaire à tous.