« Si vous polluez, vous paierez pour vos crimes », a résumé l'eurodéputé Antonius Manders (PPE) après l'accord conclu, jeudi 16 novembre, entre le Parlement européen et le Conseil. Les représentants des deux institutions sont tombés d'accord sur une rédaction commune de la proposition de directive sur la protection de l'environnement par le droit pénal que la Commission européenne avait présentée en décembre 2021.
L'exécutif européen avait présenté ce texte à la suite d'une évaluation de la directive existante. Celle-ci avait révélé « un fossé croissant » entre la réalité de la criminalité environnementale et la réponse apportée par la justice pénale dans l'Union européenne. Tandis que cette criminalité augmente de 5 à 7 % par an dans le monde, indique la Commission, le nombre d'enquêtes et de condamnations transfrontières n'a pas progressé dans la même proportion dans l'UE. Sa proposition visait la création de nouvelles infractions, la fixation de peines minimales, l'adoption de peines complémentaires, de même qu'un renforcement de l'efficacité de la procédure pénale. Le Conseil avait adopté sa position de négociation en décembre 2022 et le Parlement le 29 mars dernier.
« Depuis trop longtemps, les criminels ont profité de sanctions faibles et d'un manque d'application », déplore Virginijus Sinkevičius, commissaire à l'Environnement, aux Océans et à la Pêche. « Grâce à cette législation renforcée, l'UE intensifie son action, assure le Lituanien. Elle permettra de mieux faire en sorte que les infractions les plus graves aux règles environnementales soient considérées comme des crimes, que les autorités de contrôle soient plus efficaces sur le terrain et que les défenseurs de l'environnement soient mieux protégés et reconnus. »
Davantage d'infractions
En premier lieu, les deux institutions se sont mises d'accord pour augmenter de neuf à dix-huit le nombre d'infractions visées par la directive. Parmi les nouveautés figurent le trafic de bois, l'importation d'espèces invasives, l'épuisement illégal des ressources en eau, le recyclage illégal de composants polluants des navires, la pollution causée par les navires, le commerce et l'utilisation illicites de produits chimiques et du mercure, ou encore le défaut d'évaluation environnementale. « La Commission européenne devra régulièrement mettre à jour la liste des infractions pénales », indiquent les services du Parlement.
La notion d'écocide en débat
Les infractions « qualifiées », commises intentionnellement et provoquant des dommages particulièrement graves à l'environnement, feront l'objet de sanctions renforcées. « Il s'agirait notamment d'infractions comparables à l'écocide avec des conséquences catastrophiques telles qu'une pollution généralisée ou des incendies de forêt à grande échelle », indiquent les services du Parlement. « C'est un moment historique », salue à cet égard l'eurodéputée Marie Toussaint. L'élue écologiste juge maintenant indispensable que les États membres proposent un amendement au statut de la Cour pénale internationale portant sur l'écocide et promeuvent cette incrimination au sein des tribunaux spéciaux chargés de juger les crimes commis par Vladimir Poutine en Ukraine.
Plusieurs spécialistes du droit pénal de l'environnement restent toutefois très circonspects sur cette question. « S'il n'appartient évidemment pas à notre association de s'engager dans un débat éminemment politique et très idéologique, il est plus que permis pour les praticiens que nous sommes de considérer que tout ceci, ainsi écrit, a peu de sens », réagit ainsi l'Association française des magistrats pour la justice environnementale (AFMJE). Nous verrons bien ce qu'en dira le législateur français ! Mais le droit pénal substantiel a ses exigences, le Conseil constitutionnel veille heureusement à sa rigueur, et nous interrogerons, le temps venu, sur la définition de cette infraction, qui aura toutefois bien du mal à entrer dans la catégorie des crimes ! »
Chaîne d'action efficace
« La détection et la sanction des infractions réelles nécessitent une chaîne d'action efficace associant les services répressifs, les procureurs et les tribunaux », rappellent par ailleurs les services de la Commission. Pour cela, les autorités nationales devront « élaborer une approche stratégique pour garantir une réponse forte aux comportements criminels ». Une approche qui doit passer par des ressources suffisantes, une formation appropriée des acteurs de la chaîne pénale (policiers, inspecteurs, procureurs, juges), le soutien aux personnes dénonçant des délits environnementaux et à leurs victimes. Dans le cas d'infractions transfrontières, les autorités nationales seront aussi tenues de coopérer entre elles et avec les organismes tels qu'Eurojust, Europol et le Parquet européen.
Le Bureau européen de l'environnement (BEE), qui réunit 170 ONG environnementales, salue à travers ce texte « des avancées majeures en matière de criminalité environnementale », mais dénonce aussi plusieurs lacunes, en particulier la faiblesse du dispositif vis-à-vis des entreprises. « Même si, dans l'ensemble, il s'agit d'un grand pas en avant, la loi manque encore de mordant, explique Frederik Hafen du BEE. Si l'on pense au plus grand crime environnemental commis en Europe ces dernières années, le scandale du Dieselgate, nous devons conclure que si cela devait se produire dans le cadre de la nouvelle directive, nous ne verrions probablement plus aucun dirigeant d'entreprise tenu pour responsable et pas un centime de plus en termes d'amendes pénales. »
La proposition de directive doit maintenant être approuvée par la commission des affaires juridiques puis en séance plénière du Parlement européen, ainsi que par le Conseil, pour pouvoir être formellement adoptée, puis publiée au Journal officiel de l'UE. Son entrée en vigueur est prévue vingt jours après cette publication. La balle sera alors dans le camp des États membres.