Ni moratoire ni code minier : l'avenir de l'exploitation des fonds marins reste en suspens. La réunion de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), débutée le 10 juillet, s'est achevée ce vendredi 28 juillet, à Kingston, en Jamaïque. Le Conseil, qui rassemble 36 États membres et s'est tenu les deux premières semaines, a laissé place, la dernière semaine, à l'Assemblée générale (AG) de l'AIFM, réunissant 168 pays membres.
Les opposants à l'exploitation gagnent du terrain
Les îles Fidji, Palaos, et Samoa sont les premiers États à avoir pris position, il y a un an, en faveur d'un moratoire. Ils sont désormais 21 : le Chili, le Costa Rica, l'Allemagne ou encore la Nouvelle-Zélande, et plus récemment le Canada, la Suède, la Suisse, l'Irlande, le Brésil, la Finlande et le Portugal. La France et le Vanuatu appellent, eux, à une interdiction totale. Hervé Berville, secrétaire d'État à la Mer, a ainsi pris la parole, le 26 juillet, devant l'Assemblée, pour défendre la position de la France, appelant à la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, notamment de l'objectif de 30 % de protection des mers d'ici à 2030, ainsi que du Traité sur la conservation et l'utilisation de la biodiversité marine en haute mer (BBNJ), adopté par l'ONU, le 19 juin.
Certaines industries soutiennent aussi un moratoire, comme celle de la pêche. Dans une lettre ouverte, plusieurs groupes de producteurs, pêcheurs, détaillants et fournisseurs se sont déclarés « profondément préoccupés par les impacts potentiels de l'exploitation minière en eaux profondes sur la santé et la résilience des océans, et les conséquences sur la qualité et la quantité de produits de la mer et sur les communautés qui en dépendent ». Les sédiments émis par l'exploitation peuvent en effet se déplacer sur plusieurs centaines de kilomètres et jusqu'aux eaux de surface, et ainsi perturber la faune, notamment le thon tropical. Trente-sept institutions financières se sont également prononcées contre l'exploitation dans une déclaration lancée par la Finance For Biodiversity Foundation (FFBF), diffusée le 19 juillet dernier.
En face, plusieurs pays font pression et attendent avec impatience de pouvoir exploiter les fonds marins internationaux : Nauru, la Chine, la Norvège, la Grande-Bretagne ou encore le Mexique. S'il n'y a aucune demande d'exploitation ferme sur la table de l'AIFM, y sont présents en revanche des contrats d'exploration qui, une fois arrivés à terme, pourraient se transformer en tests miniers.
Un projet de code minier renvoyé en 2025
La décision de ne pas délivrer de permis d'exploitation en l'absence de code minier a finalement fait consensus. Aucun code minier n'a été adopté, mais cela pourrait être le cas d'ici à 2025 : un accord a été donné pour établir une feuille de route en ce sens. La revue quinquennale de l'AIFM proposée par l'Allemagne et soutenue par la France est prévue pour la prochaine assemblée, afin de faire le point sur les travaux de l'AIFM, notamment ceux de recherche scientifique et de protection de l'environnement.
En Assemblée générale, l'adoption d'un débat formel sur une éventuelle pause de précaution – demandée par la France, le Chili, Vanuatu, Palaos, rejoints par le Costa Rica – a été bloquée toute la semaine par la Chine. À la toute fin, un consensus a finalement été trouvé et ce point devrait donc être à l'ordre du jour de la prochaine AG, à l'été 2024. « Le mouvement en faveur d'une pause ou d'un moratoire sur l'exploitation minière en eaux profondes est réel et grandissant, et doit donc être formellement reconnu dans tous les processus de [l'AIFM] », soutient la Deep Sea Conservation, une coalition d'ONG opposées à l'exploitation. Il est essentiel que cette question soit abordée lors de l'assemblée de [l'AIFM] sous un point distinct de l'ordre du jour, où tous les États membres peuvent s'exprimer. »
D'ici là, la France compte poursuivre le dialogue engagé pour tenter de mobiliser et de convaincre le plus de pays possible sur, a minima, une pause de précaution. Avec en ligne de mire la conférence des Nations unies sur les océans, à Nice, en juin 2025. L'espoir est aussi celui d'une position harmonisée des États de l'Union européenne. « Sans attendre la prochaine réunion de l'assemblée dans un an, il est indispensable que la mobilisation s'amplifie et que d'autres États rejoignent le soutien au moratoire ou à la pause », confirme Greenpeace. Pour François Chartier, chargé de campagne océan de l'ONG, « c'est maintenant que la bataille diplomatique et le travail de conviction commencent vraiment ».
Les décisions adoptées le 21 juillet lors du Conseil « ont démontré qu'une majorité de pays […] n'ont pas cédé aux pressions de l'industrie – qui bénéficie du soutien de pays tels que la Norvège, Nauru et le Mexique – pour accélérer l'adoption de règles relatives à l'exploitation minière en eaux profondes », se félicite Greenpeace. Des décisions qui ont par ailleurs fait chuter le cours de l'action de la société canadienne The Metals Company, qui espère exploiter les fonds marins près de Nauru, en Océanie. « L'intérêt croissant du public, et la mobilisation de la société civile, font naître des dissensions dans ce qui était jusqu'à présent une dynamique très pro-industrie au sein de l'AIFM », observe François Chartier.
« La mobilisation a payé », estime aussi le ministère de la Mer français, avec des « avancées majeures » obtenues. « Toutefois, le vide juridique qui permettrait à une entreprise de demander un contrat d'exploitation minière, même en l'absence de réglementation, reste ouvert », alerte la Deep Sea Conservation.