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Dérogation espèces protégées : précision sur le délit d'atteinte à un habitat naturel ou une espèce animale

Par un arrêt du 18 octobre 2022, la Cour de cassation a jugé que l'abstention de satisfaire aux prescriptions d'un arrêté préfectoral, portant autorisation de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées constitue un délit.

Publié le 19/10/2022

Le 18 octobre 2022, la Cour de cassation a rendu la décision n°21-86.965 suivante.

Faits et procédure

La société X a construit un gazoduc d'une longueur de plus de 300 kilomètres. La réalisation de l'ouvrage a rendu nécessaire, notamment, le défrichement de zones boisées.

Cette opération a fait l'objet des autorisations administratives nécessaires, en particulier deux arrêtés préfectoraux, qui ont dérogé à l'article L. 411-1 du code de l'environnement et autorisé, sur le fondement de l'article L. 411-2 du même code, la destruction, l'altération ou la dégradation d'aires de repos ou sites de reproduction d'espèces animales protégées sous réserve de la mise en œuvre de mesures définies dans le dossier prévu à cet effet.

Un procès-verbal de l'autorité de police a relevé que, plus de deux ans après le délai imparti par les arrêtés préfectoraux, les zones déboisées n'avaient pas été entièrement remises en état.

La société X et le directeur de projet ont été cités devant le tribunal correctionnel pour avoir, dans diverses communes énumérées dans la prévention, porté atteinte à la conservation d'habitats naturels, en violation des prescriptions prévues par les arrêtés préfectoraux de dérogation. Les juges du premier degré les ont déclarés coupables. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Commentaire

Pour mémoire, l'article L. 411-1 de code de l'environnement interdit l'atteinte à toute espèce, site ou habitat protégé. Il s'agit, ainsi résumé, du « principe d'interdiction de destruction d'espèces protégées ». L'article L. 411-2 du même code prévoit une possibilité de dérogation sous conditions à cette interdiction : « I. – Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...). 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. »

La sanction de cette obligation est prévue à l'article L. 415-3 du code de l'environnement, lequel dispose :  « Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende : 1° Le fait, en violation des interdictions ou des prescriptions prévues par les dispositions de l'article L. 411-1 et par les règlements ou les décisions individuelles pris en application de l'article L. 411-2 :

  1. De porter atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques, à l'exception des perturbations intentionnelles ;
  2. De porter atteinte à la conservation d'espèces végétales non cultivées ;
  3. De porter atteinte à la conservation d'habitats naturels ;
  4. De détruire, altérer ou dégrader des sites d'intérêt géologique, notamment les cavités souterraines naturelles ou artificielles, ainsi que de prélever, détruire ou dégrader des fossiles, minéraux et concrétions présents sur ces sites.

La tentative des délits prévus aux a à d est punie des mêmes peines. »

Au cas présent, la Cour de cassation était saisie d'un arrêt par lequel la cour d'appel de Dijon a déclaré une société et un directeur de projet coupables du délit de destruction d'espèces et d'habitants protégés, mentionné à l'article L. 411-1 3° du code de l'environnement.

Par sa décision rendue ce 18 octobre 2022, la Cour de cassation a, d'une part cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, objet du pourvoi en cassation, mais en ses seules dispositions relatives à la peine d'amende prononcée contre la société X et à la mesure de remise en état ordonnée à son encontre, d'autre part, renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Besançon.

L'abstention de satisfaire aux prescriptions d'une dérogation espèces protégées constitue un délit.

La Cour de cassation était tout d'abord saisie de la question de savoir si l'infraction était constituée en raison d'une simple négligence du prévenu, lequel s'est abstenu de mettre en œuvre les prescriptions de l'arrêté préfectoral de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées.

La décision ici commentée rappelle les éléments de fait retenus par le juge d'appel : les prévenus n'était pas tenus d'une simple obligation de « laisser faire » une « régénération naturelle des végétaux » mais d'une obligation de « faire » des plantations : « 11. Pour confirmer le jugement ayant déclaré les prévenus coupables, l'arrêt attaqué énonce que l'article L. 411-1, 3°, du code de l'environnement pose le principe d'une protection stricte des habitats naturels et des habitats naturels des espèces protégées en interdisant leur destruction, leur altération ou leur dégradation, mais que l'article L. 411-2 du même code prévoit la possibilité de dérogations afin de permettre la construction de projets nécessaires à l'activé humaine pour des raisons d'intérêt public majeur qu'il définit.
12. Les juges rappellent que la société prévenue a notamment obtenu des dérogations préfectorales aux interdictions, d'une part, d'enlèvement et destruction de spécimens d'espèces animales protégées, d'autre part, d'altération ou dégradation de sites de reproduction ou d'aires de repos d'espèces animales protégées, d'enlèvement et de réimplantation de spécimens d'espèces végétales protégées.
13. Ils ajoutent que cette société s'était, à ce titre, expressément engagée, pour les petits mammifères, à replanter des haies arborées, arbustives et buissonnantes et, pour les oiseaux, à créer un stock de nouveaux arbres favorables à un habitat d'accueil.
14. Ils relèvent que le terme employé dans le dossier établi pour obtenir les dérogations est celui de " plantation " et non celui de " régénération naturelle des végétaux ". Ils retiennent que les possibles échanges avec l'administration sur une régénération naturelle ne peuvent justifier l'absence de début d'exécution des obligations mises à la charge de la société, notamment depuis la fin des travaux, et qu'il résulte des contrôles réalisés entre juin 2018 et le 20 mars 2020 par les agents de l'OFB que les travaux de remise en état concernant les reboisements hors bande non sylvandi n'ont pas été réalisés.
15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes invoqués au moyen.
»

Ce faisant, la Cour de cassation écarte le moyen soutenu en cassation au motif que le délit « peut être consommé par la simple abstention de satisfaire aux dites prescriptions » : « 16. D'une part, le délit, prévu par le 1° de l'article L. 415-3 du code de l'environnement, d'atteinte à la conservation des habitats naturels ou espèces animales non domestiques, en violation des prescriptions prévues par les règlements ou décisions individuelles pris en application de l'article L. 411-2 du même code, peut être consommé par la simple abstention de satisfaire aux dites prescriptions.
17. D'autre part, une faute d'imprudence ou négligence suffit à caractériser l'élément moral du délit.
18. Dès lors, le moyen doit être écarté.
»

Il est acté désormais que le délit de destruction d'espèces protégées peut être constitué, non seulement par des actions de destruction, mais aussi par des abstentions, soit d'éviter, soit de remédier à une destruction.

 

Arnaud Gossement
Avocat, professeur associé à l'université Paris I | Panthéon-Sorbonne
Article originellement publié sur le blog d’Arnaud Gossement, le 19 octobre 2022.

 

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