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AccueilArnaud GossementLe Grand débat national respecte-t-il le droit de l'environnement ?

Le Grand débat national respecte-t-il le droit de l'environnement ?

Les conditions du Grand débat ne sont pas entièrement conformes au principe de participation du public à l'élaboration des décisions ayant une incidence sur l'environnement, selon Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l'environnement.

Publié le 09/04/2019

Le Grand débat national organisé par le gouvernement, du 15 janvier au 8 avril 2019, devrait aboutir à des décisions publiques concernant la transition écologique, l'un des quatre thèmes des débats où les personnes consultées avaient la possibilité de produire des contributions. Il est donc nécessaire de vérifier si cette procédure dénommée "Grand débat national" respecte les exigences du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.

Cette vérification s'impose d'autant plus que des décisions publiques seront sans doute bien prises en matière environnementale pour donner une suite aux contributions que le gouvernement aura souhaité retenir. La légalité de ces décisions à venir au regard du principe de participation sera alors débattue. Au demeurant, le gouvernement avait conscience de cette nécessité de respecter le principe de participation puisqu'il avait initialement prévu de confier à la présidente de la Commission nationale du débat public le soin de veiller au bon déroulement de ce Grand débat national. Or, cette commission a précisément pour rôle principal de veiller au respect du principe de participation du public.

Des informations préalables manquantes

Il convient tout d'abord de rappeler que ce principe de participation du public constitue l'un des principes directeurs essentiels du droit de l'environnement. Il est consacré en droit européen par la Convention d'Aarhus1, en droit de l'Union européenne2 et en droit constitutionnel à l'article 7 de la Charte de l'environnement. Le principe de participation a ensuite été inscrit dans la loi à l'article L.110-1 du code de l'environnement. Ses principales exigences en droit interne sont décrites aux articles L.123-1-A et suivants du même code.

En premier lieu, le principe de participation du public suppose que les personnes appelées à s'exprimer aient au préalable une information ou, à tout le moins, un droit d'accès à l'information sur les sujets et questions mis au débat. Cela ressort clairement des termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Ainsi, aucune enquête publique ne peut être organisée sans que le public ne soit tout d'abord destinataire d'un dossier d'enquête publique comprenant toutes les informations requises pour une bonne compréhension des enjeux d'un projet. L'organisateur d'une procédure de participation par voie électronique sur un plan ou un programme doit respecter la même obligation. Or, le Grand débat national, sans doute en raison d'une certaine précipitation, n'a pas permis au public de disposer d'une information rigoureuse et de qualité sur les différents thèmes des débats, notamment celui afférent à la transition écologique. Seules de petites notices introductives aux questionnaires étaient disponibles.

Des questions trop fermées

En deuxième lieu, il importe que le public consulté puisse s'exprimer largement et librement. Au cours d'une enquête publique sur un projet, le public a tout loisir de formuler toute observation sur tout aspect dudit projet. Or, au cas présent, les contributions du public ont surtout été orientées par des questions fermées définies par avance, non par une autorité indépendante type CNDP mais par le gouvernement lui-même. S'agissant du thème "transition écologique", certaines questions étaient parfois indigentes, notamment celle hiérarchisant les enjeux de la protection de l'environnement (Quel est aujourd'hui pour vous le problème concret le plus important dans le domaine de l'environnement ?). Ces questions ont souvent appelé des réponses très générales et susceptibles d'interprétations diverses.

Des garants observateurs et peu écoutés

En troisième lieu, le rôle des garants du débat public a été très limité. Pour l'essentiel, ils ont eu un rôle d'observateurs et n'ont pas directement encadré ni même contribué à l'organisation du Grand débat national. Le 8 avril, leur prise de parole a eu pour fonction d'exprimer a posteriori des regrets sur certaines carences du processus, notamment les interventions du président de la République. Il ne semble pas que le processus ait été corrigé en cours de route pour tenir compte des communiqués que ces garants ont pu publier sur le site internet de l'opération. A l'arrivée, les garants n'ont pas édité de rapport qui réunisse et analyse les contributions reçues ni exprimé leur avis sur le fond de ces contributions. La synthèse des contributions et leur interprétation a été directement opérée par l'Etat ce qui n'aurait pas été possible pour un débat public organisé par la Commission nationale du débat public.

Des décisions dont la motivation fait défaut

En quatrième lieu, la participation du public doit être soigneusement distinguée des processus d'information, de mise à disposition, de consultation ou de concertation. La participation du public se caractérise par une association du public à l'élaboration des décisions publiques. Nous nous approchons ici d'un dispositif de co-décision. Pour ce faire, il importe que l'administration puisse motiver ses décisions et indiquer les motifs pour lesquels elle tient compte ou non de telle ou telle observation ou contribution. Or, au cas présent, le Grand débat national a surtout donné lieu à un travail de contributions dans des cahiers de doléances ou en ligne. L'interprétation de ces contributions donne déjà lieu à des interprétations différentes sinon divergentes selon que les commentateurs mettent l'accent sur tel ou tel enjeu. Enfin, pour l'heure, l'Etat n'a pas encore indiqué quelle suite exacte il allait réserver à ces contributions ni comment il allait assurer que la participation du public s'étende à la définition et à la mise en œuvre des choix qu'il s'apprête à faire. Il serait précieux que ces choix de méthode soient exposés avant même que ne commence le débat public.

En conclusion, si, ce 8 avril 2019, le Premier ministre a surtout insisté sur la performance du point de vue quantitatif de ce Grand débat national, il convient de souligner que la participation du public suppose d'en vérifier la qualité au-delà du nombre de contributions reçues et de réunions publiques organisées. Le progrès des procédures de la démocratie directe suppose le respect d'exigences juridiques qui garantissent au public d'être correctement associé à l'élaboration des décisions publiques. Le Grand débat national a certes été organisé rapidement mais il est important d'en tirer les leçons pour prévenir toute régression du droit de l'environnement.

1 Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, signée le 25 juin 1998
2 Directive 2003/35/CE du 26 mai 2003 prévoyant la participation du public lors de l'élaboration de certains plans et programmes relatifs à l'environnement

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5 Commentaires

Albatros

Le 10/04/2019 à 12h08

On ne peut dire mieux au sujet de cette mascarade.
Cependant, le débat dépassait largement le cadre de l'environnement, étant annoncé pour assurer aux citoyens fâchés qu'on ne les oubliait pas.
Il n'en reste pas moins que, comme d'habitude, l'environnement est utilisé pour masquer une impuissance absolue à traiter les questions fondamentales de notre société et notamment l'objectif de garantir aux citoyens un droit de vivre décemment en étant des contributeurs actifs à la prospérité du pays. Au lieu de cela, nous aurons encore droit à des incantations à la CO... P21...

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Euplectes

Le 10/04/2019 à 17h45

Oui. L'environnement est l'ensemble des éléments, vivants ou non, climatiques, objectifs, subjectifs qui entourent l'Homme et constituent son cadre de vie: L'environnement, certes, a une valeur de haute importance et nul ne saurait le contester sérieusement.

Mais l'environnement n'est pas l'Homme, bien qu'il contribue à la qualité (au sens large) de la vie humaine.

Et vous avez mille fois raison, cher Albatros. "L'objectif de procurer (de garantir, c'est déjà fait...) aux citoyens un droit de vivre décemment en étant des contributeurs actifs à la prospérité du pays" doit primer à court terme car là, il y a urgence.
Les récents évènements ont bien montré les incendies, les dégradations, les haines; les braises sont sous la cendre et le feu couve toujours.

La phrase "Il y a sans doute lieu de s'occuper de la fin du monde, mais il est bien plus urgent de s'occuper de la fin du mois", qui fait flores chez les humanistes et aussi dans la rue, est d'un Constitutionnaliste regretté, homme de grande sagesse, disparu il y a quelques années. Un tel slogan venant d'un tel homme mérite bien de ne pas rester lettre morte.

Bien à vous,

Euplectes

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Mangouste

Le 10/04/2019 à 17h53

On ne peut en effet que regretter que la Commission nationale du débat public ait été mise hors jeu de façon très discutable ; cet organisme avait l'expérience et l'autonomie suffisante pour organiser un "grand débat" qui donne vraiment la parole aux citoyens, suffisamment informés au préalable. Et quelles décisions vont suivre ces contributions de tous ordres ? Vont-elles enfin être à la hauteur des attentes des citoyens ? C'est singulièrement le cas en matière d'environnement, où le grand public pressent que l'urgence climatique nécessite de mener une politique courageuse, que la plupart des décideurs repousse d'année en année.

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Albatros

Le 10/04/2019 à 20h16

La CNDP a été mise hors jeu par sa présidente, dont l'absence de combativité a pu surprendre.
Quant à l'urgence, elle me semble davantage sociale pour notre pauvre pays. Il serait bon que nos gouvernants dégonflent un peu leurs ambitions planétaires pour s'occuper de gouverner efficacement, c'est à dire cesser d'utiliser le prétexte de l'urgence climatique à toutes les sauces en s'agitant au lieu d'agir...

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Chocho

Le 12/04/2019 à 9h26

Bonjour Arnaud Gossement, je ne suis pas un juriste ni un avocat mais un ingénieur tres expérimenté de la valorisation electrique et thermique de la biomasse et ce qu je peux affirmer, c'est que dans tous ces débats on n'a pratiquement pas parlé d'écologie. Ce que je peux affirmer avec une tres grande certitude, c'est que c'était le moment de définir les limites d'utilisation energétique de la biomasse et c'est moi, professionnel de ce secteur, qui affirme avec une grande certitude que les dispositions prévues pour sa valorisation énergétique ne tiennent absolument pas compte ni des possibilités existantes (parce que l'ADEME ne semble pas avoir une vue bien complete des technologies disponibles, et que la seule valorisation par combustion en vue de produire de la chaleur (sauf pour la conversion des centrales charbon-un cauchemar d'ingénieur, si on m'en confiait la responsabilité je la refuserais) et seulement de la chaleur, ce dont on a le moins besoin, et va conduire ou plutôt continuer à conduire a une surexploitation des forêts qui constituent une formidable réserve d'energie renouvelable (sous des formes multiples) et à la disparition de toute forme de vie dans ces lieux précieux.Un professionnel atterré.(tiens! on pourrait se regrouper sous ce nom car je ne suis sans doute pas le seul).

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