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AccueilBernard BarraquéGrand débat : il faut oser créer une parafiscalité pour une gestion de l'eau en bien commun

Grand débat : il faut oser créer une parafiscalité pour une gestion de l'eau en bien commun

Le Grand débat national ouvert en réponse aux gilets jaunes sera-t-il l'occasion de remettre à plat la fiscalité ? Bernard Barraqué l'espère vivement, surtout pour sortir l'eau de la fiscalité générale qui ne contribue pas à sa gestion en bien commun.

Publié le 18/02/2019
Actu-Environnement le Mensuel N°390
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°390
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La plupart des gens qui ont élu Emmanuel Macron n'avaient pas d'opinion sur les réformes fiscales proposées, et notamment sur la suppression de la taxe d'habitation : ils ne voulaient pas de Marine Le Pen. Un an et demi plus tard, on peut constater que cette suppression fait partie d'un ensemble de mesures fiscales conduisant à en concentrer le contrôle dans les mains du ministère des Finances. Autrement dit, ne fait-t-on pas cadeau de certaines taxes locales aux citoyens tout en augmentant les taxes nationales, comme par exemple celles sur l'essence ? En matière fiscale, la centralisation jacobine règne.

Mais c'est dans le domaine de la fiscalité écologique qu'on voit le pire, et surtout dans le domaine de l'eau. Par exemple, d'un côté le gouvernement réduit le prix du permis national de chasse de 400 à 200 euros, et de l'autre il fait financer l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) sur le budget des agences de l'eau, qui provient à plus de 80 % des factures d'eau des usagers domestiques ! Autrement dit, même si on tente de noyer le poisson en fusionnant l'ONCFS avec l'Agence de la biodiversité (AFB), elle-même financée sur le budget des agences, nous subventionnons la chasse dans nos factures d'eau ! Et par un prélèvement fiscal régressif surtout pour les familles nombreuses pauvres. Comment est-ce possible ?

Des redevances requalifiées en impôts

C'est la conséquence du vote de la loi sur l'eau de 2006 : le gouvernement de Villepin et le parlement ont fini par officialiser la qualification des redevances en impositions, avec pour conséquence la prise de contrôle du budget des agences de l'eau par Bercy. Mais comment en est-on arrivé à payer des impôts dans des factures correspondant à un service rendu ?

A la création des agences de l'eau en 1964, on devait choisir de mettre les deux redevances, pollution et prélèvement, dans l'une ou l'autre des deux catégories de parafiscalité créées en 1959 par un célèbre inspecteur des finances du nom de Michel Debré : soit les redevances pour service rendu, soit les impositions de toute nature. Les premières sont perçues en principe par des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), et les secondes par des établissements à caractère administratif (EPA), sous le contrôle annuel du Parlement dans la loi de Finances (art. 34 de la constitution relatif à tout argent public). Or, sous la pression des élus qui ne voulaient pas avoir à voter des taxes, les agences ont été dotées de redevances pour service rendu malgré leur statut d'EPA.

A l'époque, les investissements financés par les agences visaient à lutter contre la pollution des villes et à améliorer la disponibilité de la ressource en eau, donc à améliorer les services publics d'assainissement et d'eau. On était alors effectivement dans une logique de service rendu collectivement. Mais les adversaires des agences de l'eau voulaient requalifier les redevances en impôts pour les réduire ou au moins les contrôler par la loi de finances. Sollicité pour avis en 1967, le Conseil d'Etat a refusé de trancher entre les deux régimes de parafiscalité, mettant les redevances dans une tierce catégorie, sui generis. On peut faire ici l'hypothèse que cette tierce catégorie correspond à une forme de gestion en commun comme ce qu'a étudié la politologue et économiste américaine Elinor Ostrom et qui lui a valu le prix Nobel d'économie.

Que font ces impôts dans une facture d'eau ?

A partir de 1969, les collectivités urbaines ont dû payer les redevances mais dès 1974 les élus ont obtenu qu'elles soient déplacées sur les factures d'eau des usagers, arguant que c'étaient les habitants qui polluaient, pas eux. Alors que c'est bien les collectivités publiques qui recevaient (et qui reçoivent toujours) les aides des agences de l'eau. Cela dit, le paiement dans les factures d'eau a confirmé ainsi la nature de redevances pour service rendu. Or, en 1982, sollicité sur la façon d'élargir la représentation dans les comités de bassin, le Conseil Constitutionnel a requalifié les redevances en impôts, ce qui impliquait leur fiscalisation et le vote annuel du budget des agences par le Parlement.

Face à cette menace sur leur autonomie, les acteurs de l'eau ont préféré laisser la question en suspens, tout en évitant de poser la question de la place de ces impôts dans des factures. Le statu quo a duré jusqu'au vote de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema) de 2006 qui, contrairement à celle de 1992, et malgré les objurgations du rapporteur de la loi au Sénat, de Michel Rocard et d'André Santini, a finalement accepté que les redevances soient votées annuellement par le parlement, ouvrant de fait le budget des agences à un prélèvement du ministère des Finances.

Une fiscalité incohérente

Initiées sous la présidence Hollande, depuis 2018, les ponctions pour financer des politiques qui n'ont plus rien à voir avec l'eau sont plus élevées que jamais : Agence française de la biodiversité, Office national de la chasse, et parcs nationaux ; alors que les recettes et les emplois des agences sont plafonnés à la baisse. L'Etat applique des règles d'austérité pour réduire son déficit à des organismes qui ont toujours eu une trésorerie positive ! Le plus étonnant va arriver avec la nouvelle taxe Gemapi (gestion de l'eau, des milieux aquatiques et prévention des inondations), créée par la loi Maptam de 2014 : l'Etat s'est déchargé de son rôle historique dans la défense contre les inondations sur les nouvelles collectivités locales regroupées (EPCI), et pour faire accepter ce nouveau rôle aux élus locaux, il leur a permis de lever cette nouvelle taxe à hauteur de 40 €/hab/an ; on peut voir la colonne correspondante dans l'avis de la taxe d'habitation … qui va être supprimée ! Quelle incohérence !

Pour justifier de la baisse des budgets de l'eau, le gouvernement a commandé aux services du ministère de la Transition écologique un rapport recommandant de mettre la priorité sur la protection de la biodiversité, au détriment du soutien financier aux services publics d'eau et d'assainissement publics. Les maires de France ont crié au scandale, poussant le gouvernement à lancer les Assises de l'eau. La première partie a abouti à donner un ordre en partie contradictoire : nouvelle priorité sur le renouvellement des réseaux ruraux. Résultat, l'essentiel des redevances est payé par des usagers de l'eau urbains qui se font avoir deux fois. Comment ne se sont-ils pas encore révoltés ?

Relancer la politique de l'eau

Face au risque d'étouffement, il est temps d'inventer autre chose. Certains pourraient revendiquer de refuser de payer les redevances des agences en tant qu'impôts dans leurs factures pour service rendu, reprenant différemment les termes d'une contestation du prix de l'eau "imbuvable" datant d'il y a 20 ans. Ce n'est certes pas mon avis, et il faut a contrario re-légitimer le système de financement vertueux des agences de l'eau (que l'on valorise surtout à l'étranger…) Pourquoi ne pas repartir de l'avis du Conseil d'Etat de 1967 ? Créer une parafiscalité à part pour les agences, disons pour service rendu mutualisé, confirmerait la nature de patrimoine commun de l'eau, telle que définie dans la loi de 1992. Il faudrait pour cela avoir le courage de modifier l'article 34 de la Constitution pour sortir de la dichotomie service rendu – impositions, légitimer des redevances mutualisées (Agences et/ou EPTB), empêcher l'annualisation budgétaire dans la loi de Finances, et en définitive, permettre aux institutions territoriales de l'eau de faire payer des redevances à ceux qui ne bénéficient qu'indirectement du service rendu par les efforts des autres, via l'amélioration de l'écosystème aquatique.

Il est de toute façon temps d'arrêter de grever nos factures d'eau d'impositions générales qui n'ont plus rien à y faire. Mais il faut aussi relancer positivement la politique de l'eau qui constitue le cas le plus développé d'application de la démocratie participative dans notre pays. On parle beaucoup de cette démocratie, on promeut le "commun". Or c'est là devant eux, mais ils ne disent rien. La haute fonction publique en profite pour exercer une centralisation aussi arbitraire qu'incohérente. Mais allons-nous saisir la chance de cette crise pour re-démocratiser et décentraliser la fiscalité de l'eau ?

Avis d'expert proposé par Bernard Barraqué, directeur de recherche émérite au CNRS

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4 Commentaires

FA_Cd31

Le 19/02/2019 à 10h11

Merci pour ce rappel historique et ces précisions sur la différence entre redevances et impôts.
Il faudrait également rappeler les échanges entendus lors des débats à l’Assemblée nationale du 21 octobre 2017 sur le principe du « plafond mordant » : Le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, avait rappelé tout le mal qu’il pensait du principe des taxes affectées qu’il estimait être « de l’argent public qui doit profiter à tout le monde » et qu’il fallait revoir le principe des redevances sur l’eau avec, semble-t-il, la volonté de réduire le prix de l’eau.
« Cela laisse un an (le report du dispositif du « plafond mordant »), notamment à la présidente de la commission du développement durable, pour réfléchir avec le ministre d’État au modèle à privilégier pour éviter la survenue de difficultés en matière de redevance et de contradictions avec notre action dans le domaine de l’écologie et du prix de l’eau », avait-il déclaré.
« Je répète que les taxes affectées ne consacrent en rien une prétendue autonomie fiscale des opérateurs de l’État ! Il n’existe déjà pas d’autonomie fiscale des collectivités locales, mais une simple autonomie financière, définie par la Constitution. C’est dire qu’une telle autonomie est inenvisageable pour les opérateurs de l’État, et c’est heureux. »
Relire pour cela l’article de La Gazette des communes (« PLF 2018 : les députés rétablissent le budget des agences de l’eau »), publié le 23/10/2017 par Arnaud Garrigues.

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Le neurone en vadrouille

Le 19/02/2019 à 12h04

Merci pour cette publication et son commentaire qui ont le mérite de bien poser les problèmes et de rendre évident la nécessité de revoir les dispositifs. Mais!!!
Quant aux vocabulaire de recettes "affectées", il mériterait aussi une redéfinition au regard des pratiques qui s'assimilent plus au détournement de fonds!

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Albatros

Le 19/02/2019 à 16h55

Merci pour cet exposé. Peut-on oser le raccourci suivant ?
Quand les Agences de l'eau s'appelaient "Agences financières de bassins" elles s'occupaient d'eau (avec un personnel technique bien qualifié).
Maintenant qu'elles s'appellent "Agences de l'eau", elles ne s'occupent plus d'eau mais uniquement de finances (avec un personnel qui n'est absolument plus technique, devenu à 100% administratif).

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Alain

Le 23/02/2019 à 8h30

Je vous remercie pour cette intervention et partage totalement votre avis. La crise actuelle est France est plus liée à un incompréhension de la fiscalité qu'à un taux de fiscalité trop élevé. L'etat français Jacobin veut tout diriger pour masquer sa mauvaise gestion. Le domaine de l'eau (totalement absent du débat public) en est un cruel exemple.
Mais au delà de ce constat que faire ?
Un mouvement citoyen pour ne payer que la part correspondant au service rendu sur la facture d'eau ? mais les agences de l'eau ne sont pas en contact direct avec les usagers ! ce sont les collectivités ! L'Etat français a bien vérouillé le système et nous sommes impuissants

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