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AccueilCarl EnckellLes stratégies efficientes devant la justice climatique : les entreprises (2/2)

Les stratégies efficientes devant la justice climatique : les entreprises (2/2)

Les contentieux climatiques envers les Etats et les entreprises se multiplient. Dans ce second volet consacré aux entreprises, l'avocat Carl Enckell, décrypte les arguments avancés pour faire reconnaître la responsabilité des entreprises.

Publié le 08/04/2019

Comme pour l'engagement de la responsabilité des Etats, plusieurs tendances peuvent être identifiées dans le contentieux climatique visant les entreprises. Quelles stratégies se sont avérées ou pourraient s'avérer gagnantes ?

L'obligation de vigilance

L'obligation de vigilance environnementale implique une responsabilité des entreprises. En France, elle a été reconnue à deux reprises par le Conseil Constitutionnel1. Récemment, des villes comme Grande Synthe et Grenoble et la collectivité territoriale de l'Est-Ensemble Grand Paris, soutenues par des ONG ont demandé à la société Total de prendre des mesures contre le réchauffement climatique. Ils l'ont interpellé sur son devoir de vigilance au titre de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordres du 27 mars 2017. Elles demandent que son plan de vigilance prenne en compte "a réalité des impacts de ses activités et les risques d'attente grave au système climatique qu'elles induisent" en prenant les mesures adaptées. Selon cette action, la loi du 27 mars 2017 crée à la charge des entreprises une obligation d'action positive dont l'absence peut être considérée comme fautive.

Le devoir de loyauté

Le 9 janvier 2018, la ville de New York a engagé une procédure contre plusieurs grandes entreprises de gaz et de pétrole (dont ExxonMobil et Shell). Ces entreprises ont été accusées d'avoir, d'une part, organisé une désinformation ayant pour but de retarder la règlementation dans le domaine de la combustion fossile et, d'autre part, contribué consciemment à des campagnes climato-sceptiques. Mais la requête a été rejetée.

Au-delà de ce cas, sur le plan stratégique, l'éventuelle dissimulation d'informations connues relatives à la nocivité des effets des activités des entreprises pourrait cependant être la source de leur condamnation, plus que l'impact climatique lui-même.

Les actions fondées sur les droits humains

La tendance du contentieux climatique fondé sur les droits humains s'étend aussi aux actions engagées contre les entreprises. Suite à la plainte2 déposée en septembre 2015 par des rescapés de typhons et 14 ONG, une enquête a d‘abord été initiée aux Philippines par la Commission des droits de l'Homme, afin d'apprécier la responsabilité de 50 entreprises (combustion fossile) au titre de l'accumulation de 21,71% des émissions de GES d'origine anthropique entre 1751 et 2010. Dans la décision rendue en mars 2018, la Commission des droits de l'Homme des Philippines a établi le lien entre les activités des entreprises et les catastrophes naturelles et prescrit au gouvernement d'assurer le droit à la vie, la nourriture, la santé, l'eau.

L'engagementde la responsabilité des entreprises par des personnes publiques

Les personnes publiques ont aussi pris leur place dans l'engagement de la responsabilité des entreprises dans le changement climatique.Le procureur général de New York, a déposé une plainte contre l'entreprise Exxon Mobil suite à une enquête de plus de trois ans sur la position de la société dans le changement climatique.

Le 17 janvier 2019, la Ville de Victoria (Canada) a appuyé un recours collectif contre des producteurs pétroliers et gaziers pour dommages liés au climat, dus à la combustion des combustibles fossiles de leurs activités. Le but de ce recours est de reconnaitre la responsabilité de ces sociétés dans les coûts d'adaptation au climat assumés par la municipalité (par exemple, des mesures de prévention des inondations).

Le 8 février 2019, la Land and Environment Court3 de la Nouvelle Galles du sud (état d'Australie) a rejeté le recours d'une entreprise contre la décision du Ministre australien des infrastructures refusant un projet de mine à charbon. La Cour base sa décision sur les objectifs fixés par l'Accord de Paris en 2015 (la réduction des émissions de GES de 26 à 28% par rapport à 2005 d'ici 2030). Elle reconnait le lien de causalité entre l'exploitation du charbon projetée et le réchauffement climatique au motif que l'analyse scientifique démontre que l'exploitation et la combustion du charbon, sont contraires à l'objectif d'une réduction rapide des émissions de GES, prévue dans l'Accord de Paris. Elle se base de surcroit sur les impacts sociaux et culturels.

La recherche d'un lien de causalité entre l'action des entreprises et le changement climatique

Le 24 novembre 2015, un tribunal supérieur régional allemand a jugé recevable la requête d'un fermier péruvien contre la première entreprise allemande de production d'électricité (RWE).4 Le requérant demandait que la responsabilité de la société soit reconnue pour avoir contribué au changement climatique et, par conséquent, à la fonte de glaciers qui menace directement la survie de son village au Pérou. Le 30 novembre 2017, le juge d'appel a estimé que les entreprises qui figurent parmi les premiers émetteurs de CO2 mondiaux peuvent être tenues pour responsables des préjudices causés par le changement climatique y compris aux populations de pays éloignés des entreprises émettrices. Le requérant doit cependant apporter des preuves suffisantes des émissions de l'entreprise assignée et du risque de préjudice. Cette preuve soulève la question de la contribution proportionnelle des entreprises au changement climatique et aux préjudices invoqués via les émissions de CO2. Des experts ont été nommés en septembre 2018 afin de démontrer si la propriété du plaignant est mise en danger de manière sérieuse.

Aux États-Unis, deux affaires ont porté sur la responsabilité des entreprises ayant contribuées au changement climatique et ont conduit au rejet des requêtes :

- Des requérants ont tenté de faire valoir qu'en n'ayant pas pris les mesures nécessaires en temps voulu, l'entreprise exploitant un terminal de stockage de pétrole exposait les populations locales au risque, en cas de montée des eaux dues au changement climatique (horizon 2050), de pollutions massives et de déversement de déchets dangereux. Le 13 septembre 2017, un juge fédéral du Massachusetts5 a rejeté la requête, considérant que le dommage n'était ni certain ni imminent, et qu'une modification du permis d'exploiter empêchant la réalisation de ce dommage pourrait avoir lieu d'ici là. Depuis, le juge a ordonné aux demandeurs et aux défendeurs de discuter avec la « Environmental Protection Agency » à propos de la demande de renouvèlement du permis.

- Suite à l'ouragan Katrina, des propriétaires6 ont tenté d'obtenir de certaines entreprises émettant des GES qu'elles indemnisent les dommages causés à leur bien, puisque ces sociétés avaient contribué à aggraver les effets de l'ouragan. Leur requête a été rejetée le 20 mars 2012.

Si la condamnation des entreprises n'est pas systématique et est même plutôt rare, les actions engagées ont des répercussions. En effet, l'opinion publique est très sensible aux sujets de la pollution atmosphérique et de la justice climatique, ce qui peut avoir un impact sur la notoriété des entreprises. Lesacteurs économiques – et tout particulièrement ceux qui contribuent directement (activités industrielles) ou indirectement (investisseurs financiers) aux émissions de GES – ne peuvent donc pas ignorer les conséquences juridiques, économiques et sociales que peuvent engendrer leurs actions sur le changement climatique.

Conclusion

Il ressort de l'ensemble de ce panorama (partie I et II) que la reconnaissance d'un lien entre l'action et l'inaction des Etats ou des entreprises et des effets précis sur une population donnée peut être difficile à apprécier. Ce qui soulève la question du lien de causalité et de l'étendue de la responsabilité de chaque acteur par rapport aux émissions mondiales.

Cependant, l'incertitude scientifique ne fait pas nécessairement obstacle à l'établissement du lien causal (voir en ce sens en matière de droit de la santé : CE, 9 mars 2007, 267635 et C. Cass., Civ. 1ère, 22 mai 2008, 05-20317). L'utilisation du faisceau de présomptions pourrait permettre d'établir un lien entre les émissions de GES et un évènement climatique.


Avis d'expert proposé par Carl Enckell, avocat à la Cour avec la collaboration d'Adèle Motte, juriste, cabinet Enckell Avocats

1 QPC n°2011-116, 8 avril 2011 ; QPC n°2017-672, 10 novembre 2017
2 Affaire Green Peace Southeast Asia et al.
3 Note : Affaire Gloucester Resources Limited v. Minister for Planning [2019] NSWLEC 7
4 Affaire Lliuya v. RWE AG, 2 O 284/154.
5 Affaire Conservation Law Foundation v./ ExxonMobil, 1 :16-cv-11950 (MLW).
6 Affaire Comer c. Murphy Oil USA, 1 :11-cv-00220.

Article proposé par : Carl Enckell Carl Enckell Avocat

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1 Commentaire

Pégase

Le 11/04/2019 à 22h01

"l'opinion publique est très sensible aux sujets de la pollution atmosphérique et de la justice climatique, ce qui peut avoir un impact sur la notoriété des entreprises" : quand on voit que Total engrange des bénéfices records année après année malgré un impressionnant palmarès de catastrophes environnementales, ne serait-ce que depuis le naufrage de l'Erika, et une contribution majeure aux émissions de GES par l'essence même de l'activité de ce groupe pétrolier, il est manifeste que sa notoriété ne souffre pas trop.

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