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Quantifier nos impacts sur l’environnement : l’analyse du cycle de vie

Doctorant à l'INRIA, Diego Penaranda propose une rétrospective de cette méthodologie comparative de calcul de l’impact environnemental, adaptée à tous les modes de production et de fabrication.

Publié le 13/04/2022

La croissance rapide de la population mondiale et la diminution des matières premières et des ressources énergétiques ont conduit à une préoccupation accrue pour la protection de l'environnement. Ainsi, ces dernières années, une approche systémique pour quantifier l’impact environnemental des produits, des processus et des services a été développée.

Les processus industriels ne génèrent pas seulement des déchets. Mais ils consomment également des ressources naturelles, nécessitent des infrastructures, du transport d'intrants, utilisent des produits chimiques, de l'eau et de l'énergie. Ils génèrent des produits qui doivent être transportés, consommés. Et au final les déchets doivent être traités en fin de vie. Chacune de ces étapes génère des impacts environnementaux, qui doivent être pris en considération lors de l'évaluation globale des effets induits sur l’environnement. Par exemple, pour évaluer l’impact de la construction d’une maison, il faut bien sûr intégrer la quantité de béton utilisée, mais aussi prendre en compte le camion qui l’a transporté, le carburant utilisé, mais aussi intégrer par exemple l’usure des pneus du camion, et de la route qu’il a empruntée et ainsi de suite.

L'une des méthodologies permettant de mesurer l'impact environnemental est l'analyse du cycle de vie (ACV). L'ACV est l'outil le plus complet disponible aujourd'hui pour quantifier et analyser les impacts générés par un produit, un processus ou un service tout au long de son cycle de vie. Ces impacts affectent les écosystèmes et la santé humaine. Elle prend en compte tout ce qui se passe depuis l'extraction des matières premières jusqu'au traitement des derniers déchets qui en résultent.

En plus d'évaluer les impacts environnementaux potentiels d'un produit ou d'un service, l’ACV permet d’identifier des stratégies pour les minimiser. Les données utilisées peuvent également servir à déterminer l'efficacité globale du processus, en termes de masse ou d'énergie.

Les résultats de l'ACV permettent d'identifier les étapes et les composants de la production qui affectent le plus l’environnement. En les modifiant, un moindre impact peut être obtenu (éco-conception). Il y a de nombreux impacts sur l'environnement, le plus connu étant la contribution aux changements climatiques. Mais il y a de nombreuses autres catégories, comme l'appauvrissement de la couche d'ozone, l'eutrophisation, l'acidification, la génération de résidus radioactifs et bien d'autres encore.

L'un des principaux avantages de l'ACV par rapport aux autres méthodes d'évaluation environnementale est son approche holistique, selon laquelle les propriétés d'un système ne sont pas déterminées individuellement mais dans leur ensemble. Cette approche permet d'identifier un éventuel « transfert » d'émissions. Parfois, un processus est modifié pour réduire les émissions de polluants, mais d'autres étapes sont introduites dans le système de production, qui de fait, augmentent l'impact du processus sur l'environnement. De cette façon, la production de polluants est « transférée » : l’élimination de la source originale s’opère au prix de la création d'une nouvelle source.

Comment l'ACV a-t-elle vu le jour ?

L'ACV est un outil relativement nouveau dans le domaine de l'ingénierie, les premières études de ce type ayant été enregistrées au début des années 1970. L'une des premières études avec une approche ACV a été réalisée par le Midwest Research Institute pour The Coca-Cola Company en 1969. Elle visait à déterminer les quantités d'énergie, de matériaux et les impacts environnementaux associés à ses emballages tout au long de leur cycle de vie. On l’appelait l’analyse du profil environnemental et des ressources. L'objectif était de faire un choix entre le plastique et le verre, en déterminant notamment s'il était opportun pour l'entreprise de fabriquer ses propres emballages. Il fallait aussi choisir la fin du cycle de vie. Le résultat a été que le plastique était le meilleur choix et a servi à l'époque à changer la perception négative du plastique par le grand public. Des études similaires ont été menées en Europe, comme celle réalisée en Suède en 1970 par Tetra Pack sur des bouteilles en PVC.

Par la suite, la recherche s’est surtout penchée sur des solutions durables pour remplacer les combustibles fossiles. Ainsi, la guerre d'Israël contre l'Égypte et la Syrie en 1973 a entraîné une augmentation du prix du pétrole. Cela a attiré l'attention des pays du Nord sur leur dépendance aux combustibles fossiles pour la croissance industrielle et l'économie mondiale. Elle a également suscité un débat sur la nécessité de mesures d'économie d'énergie, la recherche d'énergies alternatives et l'urgence de développer des produits respectueux de l'environnement. Cela a donné lieu à de nombreuses études environnementales dans le monde, menées par le Royaume-Uni, l'Allemagne, les États-Unis, la Suède, la Suisse et l'Italie. Initialement, elle se limitait à de simples bilans de matière et d'énergie. Cependant, étant donné la relation étroite entre la consommation d'énergie, la consommation de ressources matérielles et les émissions de déchets, ces approches ont progressivement évolué vers l'ACV telle qu'elle est connue aujourd'hui. Mais c’est seulement en 1990 que la première étude intégrant la réflexion sur le cycle de vie pour déterminer les impacts environnementaux négatifs et bénéfiques des produits a été réalisée. Cette étude a été réalisée par Franklin Associates (USA) sur les couches jetables et les couches en tissu réutilisables. Elle a constaté que les couches jetables généraient 90 fois plus de déchets, tandis que les couches réutilisables polluaient 10 fois plus l'eau (à cause des détergents) et consommaient trois fois plus d'énergie. Par la suite, la Society of environmental toxicology and chemistry (SETAC), pionnière et promotrice de l'ACV, a publié en 1993 le code de pratique pour l'ACV, qui posait un cadre méthodologique pour ces études. Peu après, en juin 1997, la norme internationale ISO 14 040 sur l'ACV a été publiée. Elle est régulièrement mise à jour et, à ce jour, est considérée comme la principale base conceptuelle et méthodologique des études ACV.

Comment se mène une étude ACV ?

De nombreux programmes informatiques sont désormais disponibles pour faciliter le processus d'ACV. Les différents flux de matières et d'énergie du produit au cours de son cycle de vie sont quantifiés et les données introduites dans le logiciel. L'évaluation de l'impact environnemental est alors réalisée à partir de très grandes bases de données de processus de divers secteurs économiques. Parmi les bases de données les plus connues, se trouve la base Ecoinvent[1], développée par le Centre suisse pour les inventaires du cycle de vie, qui comprend plus de 18 000 processus dans le monde. Le choix de la méthode, du logiciel, de la base de données et l'interprétation des résultats finaux incombe toujours à l'auteur de l'analyse.

Une méthodologie largement utilisée

L'utilisation de l'ACV a été largement promue et encouragée par les programmes de l'Union européenne. L'industrie et l'administration publique ont suivi. Les industries l'ont fait dans l'intention de démontrer que leurs produits ont un avantage compétitif, car les consommateurs préfèrent les produits moins nuisibles pour l'environnement. L'administration publique a adopté l'ACV dans le but d'élaborer des réglementations ou des critères permettant de classer les produits en fonction de leur charge environnementale.

L'utilisation de l'ACV s'est répandue dans le monde entier comme moyen de trouver des inefficacités dans les systèmes de production nouveaux et existants. La méthodologie de l'ACV doit surtout être appliquée aux nouveaux produits qui arrivent sur le marché, qui doivent rechercher des améliorations environnementales par rapport aux produits existants.

Exemple d'ACV dans le système de transport

Les analyses comparatives des voitures électriques et des voitures à essence comptent parmi les exemples d'études ACV frappantes, comme celle réalisée par des chercheurs de l'université de Florence (Italie) en 2018. Leurs résultats ont montré que la voiture électrique réduit incontestablement de 36 % les effets néfastes sur le changement climatique, en raison de l'absence de gaz de combustion, ce qui se traduit par une moindre pollution atmosphérique dans les zones urbaines. Toutefois, il est important de noter que la phase d'utilisation d'une voiture électrique n'est pas à émission zéro, puisque l'électricité nécessaire aux batteries implique des émissions, de sorte que ses effets sur le changement climatique dépendent fortement de la matrice énergétique et de ses sources d'énergie. D'autre part, il a été démontré que la fabrication des produits chimiques et des métaux nécessaires à la production de la batterie, tels que l'aluminium, le nickel, le cuivre et le platine, génère un impact cinq. Celui-ci est deux fois supérieur à celui d'une voiture à essence en termes d'effets toxiques sur la santé humaine et de formation de particules. Il induit également un épuisement des ressources minérales 30 % plus important. Cela montre à quel point il est important d'améliorer la conception des batteries et d'intégrer des sources renouvelables dans la matrice énergétique afin d’obtenir de réels avantages environnementaux lors de l'introduction des voitures électriques dans le parc automobile.

Application de l'ACV au secteur alimentaire

L'étude publiée en 2021 par Auriane Polleau et Gesa Bioermann[2] compare différents régimes alimentaires d'un point de vue environnemental, ce qui peut aider les consommateurs à choisir des produits plus respectueux de l'environnement. Ils montrent que les charges environnementales les plus élevées d'un régime européen typique sont associées à la consommation de viande rouge, responsable de 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et d'environ 91 % de la déforestation en Amazonie. Les GES associés à la viande rouge sont d'environ 28 kg d'éq. CO2/kg de viande rouge. Tandis que pour la viande de porc, ils sont de 5,8 kg d'éq. CO2/kg de porc et que pour les produits végétaux, ils ne sont que de 0,47 kg d'éq. CO2/kg de végétaux. On estime que le passage à un régime alimentaire pauvre en viande rouge pourrait réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 70 % et la consommation d'eau de 50 %.

Un exemple paradoxal d'ACV est la démonstration que la distance d'origine d'un produit alimentaire n'a pas le plus grand impact sur son profil environnemental. L'étude publiée en 2007 par Basset-Mens et al. montre que l'impact environnemental du fromage exporté de Nouvelle-Zélande vers l'Angleterre est inférieur à celui du fromage produit localement. Dans leur étude, ils ont constaté que l’élevage des vaches est la phase qui a le plus d'impact du point de vue de l'environnement. L’agriculture intensive est alors plus nocive que le transport, même depuis l’autre côté de la planète. Ceci implique qu'un produit local n'a pas toujours nécessairement moins d'impact qu'un produit importé si son mode de production n’est pas respectueux de l’environnement.

Ces exemples montrent que l'ACV est l'un des meilleurs outils pour comparer la gestion environnementale entre différents produits ou services. Cet outil est déterminant pour une prise de décision plus rationnelle, dans l’idée de mieux respecter l'environnement.

Avis d’expert proposé Diego PENARANDA doctorant à l'INRIA Sophia Antipolis au sein de l'équipe Biocore, dirigée par Olivier Bernard. Ce doctorat est co-financé par la Région Sud.

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[1] NDLR : Base de données Ecoinvent : accès au site de l’association.

[2] Étude Eat local to save the planet? Contrasting scientific evidence and consumers' perceptions of healthy and environmentally friendly diet, par Auriane Polleau (Paris School of International Affairs, Sciences Po Paris, France), Gesa Biermann (Department of Geography, Ludwig-Maximilians-University, Munich, Germany), 2021 : accès à l’étude.

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