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AccueilGabriel UllmannDroit de l'environnementLa réforme constitutionnelle et l'environnement : l'enterrement

La réforme constitutionnelle et l'environnement : l'enterrement

La réforme constitutionnelle va reprendre avec des ambitions bien moindres concernant la protection de l'environnement. Quinze ans après sa Charte, l'environnement est toujours perdant. Détails avec Gabriel Ullmann.

Publié le 25/09/2019

Dans un récent article intitulé "Environnement dans la Constitution : le gouvernement met le pied sur le frein", il était rapporté l'affadissement du projet de la formulation introduite à l'article 1er de la Constitution. On est ainsi passé de "La République agit pour la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques", à "la République favorise toutes les actions en faveur du climat et de la biodiversité", après l'avis rendu par le Conseil d'Etat.

Sans revenir sur cette phrase creuse, sans grande portée… 15 ans après la Charte constitutionnelle de l'environnement (quelle évolution !), une brève comparaison avec des textes fondateurs vaut toutes les explications.

Une charte en retrait de ses textes fondateurs

La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature avait enrichi le droit de l'environnement d'un certain nombre de devoirs. Ainsi, dès l'article 1er il est édicté qu'il est "du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde du patrimoine naturel dans lequel il vit. Les activités publiques ou privées d'aménagement, d'équipement et de production doivent se conformer aux mêmes exigences1". La loi Barnier du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement étend cette obligation à l'environnement : "Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement". La loi du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie institue une obligation en matière de politique publique au profit d'un nouveau droit : celui de "respirer un air qui ne nuise pas à sa santé2".

Cependant ces droits et devoirs n'ont été repris dans la Charte de l'environnement, par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, que de façon atténuée : "Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé" (art. 1er). Notons également l'obligation selon laquelle, "toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement" (art. 2), mais tout en restant en retrait par rapport à la loi Barnier… promulguée 20 ans plus tôt.

Le caractère limitatif du droit édicté à l'article premier de notre Charte ressort fortement, en comparaison avec la déclaration de Stockholm, proclamée, plus de trente années auparavant, en juin 1972, à l'issue de la Conférence mondiale sur l'environnement : "L'homme a un droit fondamental à la liberté, à l'égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permettra de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d'améliorer l'environnement pour les générations présentes et futures". On notera avec intérêt la mention de devoir solennel, et celle de générations présentes, obligeant par là-même de ne pas trouver prétexte à reporter sans cesse à plus tard des mesures au nom des générations futures, mais bien de les mettre d'ores et déjà en œuvre.

C'est sans doute pourquoi, dès 1976, Alexandre Kiss plaidait pour un droit constitutionnel de l'homme à un environnement humain qui "consacrerait la valeur qui doit être reconnue à la protection de l'environnement. Elle créerait moins un droit de caractère social qu'une obligation morale pour le législateur ; elle permettrait de reconnaître à la protection de l'environnement sinon la priorité du moins l'égalité par rapport à d'autres intérêts nationaux, et notamment les intérêts économiques3".

La Charte atténue même sensiblement son objet par le recours au développement durable, au nom duquel les politiques publiques doivent "concilier la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social" (art. 6). Même la protection de l'environnement se trouve affublée d'une mise en valeur, qui permet toutes les dérives, tant intempestives que destructrices, comme l'ont trop souvent démontré les "mises en valeur" de zones humides, du littoral, de la forêt ou de la montagne par exemple. En outre, il est à relever que si dans ses considérants la Charte fait référence à la diversité biologique, elle ne reprend nullement cette notion dans son dispositif.

Des manques essentiels dans la Charte constitutionnelle

L'existence, fondamentale, de services écosystémiques n'est pas davantage mentionnée, bien qu'apparue dans les années 1970. Si la loi du 8 août 2016 sur la reconquête de la biodiversité a reconnu explicitement le rôle primordial des services écosystémiques, lors de l'élaboration de la Charte, ce service était déjà défini par la directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 relative à la responsabilité environnementale4, en tant que "fonctions assurées par les sols, les eaux et les espèces et habitats au bénéfice d'une de ces ressources naturelles ou au bénéfice du public". La Charte ne l'a pas pris en compte. Cela est d'autant plus regrettable que le service écosystémique constitue, par ailleurs, un élément-clé de la fiscalité écologique5.

Une réforme constitutionnelle qui amoindrit l'importance de l'environnement

Si la Charte avait repris de la loi Barnier les principes de précaution et de participation, quitte à engager une nouvelle réforme de la Constitution, cela aurait pu être cette fois l'occasion de donner une valeur constitutionnelle à d'autres principes forts : le principe de non régression du droit de l'environnement, le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, le principe pollueur-payeur, le principe de solidarité écologique, qui appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l'environnement des territoires concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés, ainsi que le principe de l'utilisation durable, selon lequel la pratique des usages peut être un instrument qui contribue à la biodiversité. Principes qui ont tous été introduits par la loi précitée sur la reconquête de la biodiversité, sans réelle application à ce jour. Il n'en sera rien : une phrase creuse  (la République favorise toutes les actions en faveur du climat et de la biodiversité) mais emplie de force communication, a été jugée suffisante. Elle en est tellement banale et minimaliste qu'elle en est contre-productive.

La Constitution française est loin d'être un exemple

Une réforme volontariste aurait été d'autant plus pertinente que notre Charte, présentée par nombre de décideurs politiques comme une sorte d'exception française, loin d'être isolée, se révèle plutôt tardive et en retrait par rapport à maintes autres Chartes ou Constitutions de par le monde. Lors des travaux sur la Charte, il avait été mis au jour que les deux aspects du droit à l'environnement, les droits et devoirs des personnes d'un côté, ceux de l'État de l'autre, se retrouvaient dans une centaine de Constitutions nationales, dont dans une douzaine de constitutions d'Etats européens6. En Autriche, une loi à caractère constitutionnel comporte l'obligation pour l'État de protéger l'environnement. Ce que la France renonce actuellement à faire dans la réforme projetée, ce pays était allé bien plus loin depuis de nombreuses années7. La constitution portugaise, adoptée en 1976 après la révolution dite « des œillets », proclame que "toute personne a droit à un environnement humain, sain et écologiquement équilibré, en même temps que le devoir de le défendre". Comment ne pas relever la référence à la fois aux équilibres écologiques et au devoir de les défendre, qui font défaut dans notre Charte, promulguée trente années plus tard : "Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé" ?

Autant dire que le nouveau projet de réforme constitutionnelle, loin de corriger tous ces manques, rajoute en généralités. Preuve s'il en est que le temps demeure éternellement aux formules enflammées, aux affichages incantatoires, fussent-ils constitutionnels, et non pas aux engagements concrets et aux changements profonds qu'il exige.

Avis d'expert proposé par Gabriel Ullmann, docteur en droit, docteur-ingénieur, membre de l'Autorité environnementale durant six années, ainsi que de la CNDP

1 L'article 1er s'achève par ce principe fort : « La protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et végétales, le maintien des équilibres biologiques auxquels ils participent et la protection des ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les menacent sont d'intérêt général ».
2 « L'Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l'objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé » (art. 1er).
3 A. KISS, « Peut-on définir le droit de l'homme à l'environnement ? » RJE, 1976, n°1, p. 15.
4 Entrée en vigueur le 30 avril 2004, la directive devait être transposée en droit interne au plus tard le 30 avril 2007. Elle ne le fut que par la loi du 1er août 2008, relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement, puis par le décret du 23 avril 2009 relatif à la prévention et à la réparation de certains dommages causés à l'environnement.
5 G. SAINTENY, « Plaidoyer pour l'écofiscalité », Coll. Ecologie, Buchet-Chastel, 2012. Voir également : CGDD, ministère de l'Ecologie : « La fiscalité de l'environnement en France : un état des lieux », avril 2013 ; S. CAUDAL, « La fiscalité de l'environnement », LGDJ, 2004.
6 Parmi lesquelles, au sein de l'Union européenne (2004) : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suède.
7 Rappelons incidemment que, grâce notamment à l'aide forte de l'Etat, en 2016 24 % de ses surfaces sont certifiées en bio, soit une exploitation sur cinq, l'Autriche est numéro 1 en Europe, bien devant la France. Entre 2016 et 2017, les conversions ont encore augmenté de 6 %.

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2 Commentaires

Sirius

Le 26/09/2019 à 10h56

On s'interroge sur l'intelligence de nos politiques .
Pourtant certains ne sont pas issus des générations les plus âgées ,ils ont toutes les possibilités de s'informer sur l'urgence écologique partout mise en évidence .

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Pégase

Le 30/09/2019 à 22h33

Cet éclairage juridique cru a le mérite d'être clair sur une réalité à la fois désespérante et exaspérante. La honteuse comparaison avec diverses Charte de l'environnement ne serait-ce qu'en Europe devrait suffire à rabattre le caquet de nombreux petits coqs gaulois (mais ne dit-on pas aussi que le coq est le seul animal pouvant chanter en ayant les deux pieds dans la m.... ?!).
Dans un contexte aussi navrant, je ne sais pas comment M. ULLMANN fait pour rester souriant sur la photo !

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