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AccueilPatricia Savin Le « vert », un nouvel « or » de la finance et des entreprises ? Portée de la taxonomie verte

Le « vert », un nouvel « or » de la finance et des entreprises ? Portée de la taxonomie verte

Pour le cabinet DS Avocats, la taxonomie verte définit au niveau européen la notion de développement durable, offrant aux acteurs de la finance la grille d’analyse nécessaire pour orienter les investissements et évaluer les activités des entreprises.

Publié le 30/04/2021

Les enjeux environnementaux innervent toutes les strates de l’économie. De plus en plus intégrés aux décisions financières, ces enjeux ont amené les investisseurs à mettre en place de nouveaux mécanismes, tels que les green bonds, le financement participatif...

Emprunts obligataires classiques, les green bonds servent à financer des projets compatibles avec la transition écologique dans différents domaines : énergie renouvelable, efficience énergétique, gestion des déchets, projets relatifs à la conservation de la biodiversité, etc. Les banques chargées de l’émission valident le caractère « vert » du projet et l’engagement de destination spécifique du financement. Puis des auditeurs vérifient périodiquement l’usage des fonds et en font part publiquement. Le financement participatif s’appuyant, lui, sur des plateformes communautaires, il permet au grand public de participer au financement d’un projet qui peut poursuivre plusieurs objectifs, notamment environnementaux.

Mais ces mécanismes de finance durable ne permettent pas de définir ce qui relève ou non d’investissements compatibles avec la protection de l’environnement. Si des projets de financement sont réellement dédiés à la croissance verte, d’autres restent plus discutables quant à leur impact climatique. En outre, les critères caractérisant un investissement « vert » sont définis au niveau national, induisant une divergence d’interprétations synonyme d’incertitudes pour les investisseurs. Le ministère de la Transition écologique et solidaire a ainsi créé en avril 2019 un label « Greenfin » dont le champ d’application reste limité aux projets développés en France.

 

Le Règlement européen 2020/852 du 18 juin 2020[1] : un régime de taxonomie verte visant à inciter les entreprises à questionner leur modèle d’affaire

En posant des critères définissant l’« investissement durable » destinés aux acteurs de la finance, ce règlement harmonise la notion de développement durable au sein de l’Union européenne, pour inciter les entreprises à réinventer leurs stratégies d’investissement.

Longtemps, l’investissement durable reposait sur l’initiative d’acteurs privés. Ainsi en 2014, plus de 70 investisseurs, banques et émetteurs ont adopté des Green Bonds Principles (GBP) présentant leurs recommandations sur l’utilisation des fonds, le processus d’évaluation et de sélection des projets, la gestion des fonds levés et le reporting. Si ces principes ont eu le mérite de proposer un encadrement des green bonds, ils n’en relevaient pas moins de la soft law[2]. Dans le secteur public, les organismes dédiés au développement, comme l’Agence française de développement, ont développé des outils similaires. La Banque mondiale a aussi émis son premier green bond dès 2008.

À partir de 2016, la Commission européenne a opté pour la création d’un cadre légal à la finance verte. Elle a réuni un groupe d’experts (le High-Level Group on Sustainable Finance) qui a remis son rapport[3] en janvier 2018. Ce rapport a recommandé la création d’un système technique solide de classification à l’échelle de l’Union, afin d’établir clairement quelles activités sont considérées comme « vertes » ou « durables ».

Pour traduire en droit européen les conclusions de ce rapport, la Commission européenne a adopté le 8 mars 2018 le « Plan d’action : financer la croissance durable »[4], dont la mesure-phare était la mise en place d’un système de classification unifié des activités durables. En effet, elle était bien consciente que l’essor de la finance verte au niveau européen ne surviendrait pas si la notion d’investissement durable ne faisait pas l’objet d’une définition à valeur contraignante.

À cette fin, le Règlement du 18 juin 2020 tend à harmoniser le concept d’investissement, afin de permettre aux États-membres et à l’Union d’utiliser « un concept commun d’investissement durable sur le plan environnemental »[5]. Elle veut ainsi éviter les disparités de transpositions entre États-membres et en renforçant la transparence des produits financiers et des déclarations non financières des entreprises.

Pour être qualifiée de durable au sens de l’article 3 du Règlement, une activité doit contribuer substantiellement à un ou plusieurs des objectifs environnementaux listés à l’article 9. Mais elle a aussi l’obligation de ne pas causer de préjudice important à l’un de ces objectifs : l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique, l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines, la transition vers une économie circulaire, la prévention et la réduction de la pollution et la protection et la restauration de la biodiversité des écosystèmes. L’activité durable doit enfin « être exercée dans le respect des garanties minimales » issues des principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des Nations unies relatifs aux droits humains[6].

En intégrant ces standards extra-européens à la définition de durabilité d’une activité, le Règlement adopte une approche large de cette notion qui dépasse le seul objectif de préservation de l’environnement. Il fonde un cadre européen harmonisé amenant les acteurs de la finance à réinventer leurs stratégies d’investissement durable.

 

La taxonomie verte : un cadre unifié pour les entités chargées de missions d’évaluation environnementale, agences de notation extra-financière ou organismes tiers indépendants (OTI)

Initiées au début des années 2000 pour évaluer spécifiquement les pratiques environnementales, sociales et de gouvernance des États, des émetteurs publics et des entreprises, les agences de notation extra-financières n’ont ni critères d’évaluation ni référentiel partagés. Mais elles s’inspirent de conventions internationales, à l’instar de Standard Ethics qui reprend les recommandations de l’Organisation des Nations unies (ONU) et de l’OCDE. Via la taxonomie verte, l’apport de standards européens permettra de comparer les évaluations réalisées par ces agences sur des référentiels prédéfinis.

La taxonomie verte facilite aussi l’activité des organismes tiers indépendants (OTI), chargés d’évaluer les déclarations de performance extra-financière (DPEF) des entreprises. Introduite en droit français par l’ordonnance du 19 juillet 2017[7], transposant la directive européenne de 2014 sur le reporting extra-financier[8], la DPEF oblige les entreprises concernées[9] à publier des informations relatives à leur impact environnemental et sociétal.

 

Le reporting extra-financier : un rôle renforcé par l’introduction de la taxonomie verte à consolider

Le 4 septembre 2020 s’est tenu le second Forum de Giverny, réunion d’acteurs économiques et politiques consacrée à la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises. Plusieurs propositions en rapport avec l’investissement durable y ont été formulées, notamment l’incitation des investisseurs institutionnels « responsables » à aligner leurs portefeuilles d’investissements sur des trajectoires de neutralité carbone d’ici 2050. D'autres pistes visent également à conditionner les subventions aux entreprises et collectivités territoriales à l’élaboration d’une trajectoire d’alignement avec des scénarios de soutenabilité à moyen terme.

Ces propositions, nées des avancées amenées au niveau européen par la taxonomie verte, poursuivent notamment l'objectif d’intégrer les critères de préservation des écosystèmes dans les grilles d’analyse « environnement, social et gouvernance » (ESG) des investisseurs en fonds propres et dans la définition des investissements « durables ».

Ce renforcement de la place des informations extra-financières dans la prise de décision stratégique des entreprises se heurte toutefois au rôle de second plan qui leur reste souvent réservé. Ni les règles du reporting extra-financier ni la DPEF n’instaurent de corrélation directe des données financières aux données extra-financières. C’est pourquoi un collectif[10] d'entreprises, d’associations professionnelles, d’ONG et de chercheurs propose de fusionner les informations financières, sociales et environnementales en un seul document, la « déclaration de performance intégrée », pour faciliter la mutation des modèles d’affaire des entreprises.

Si le rôle de la taxonomie verte dans l’émergence d’une finance durable est aujourd’hui reconnu, il reste à amener les entreprises à réorienter leurs pratiques. Comme il existe à présent des indicateurs environnementaux facilitant le recours à des méthodes de financement durable, il ne reste aux acteurs économiques qu’à s’en saisir. Le droit peut aider à un fléchage des investissements, en contraignant les entreprises à des actions environnementales et sociétales.

 

Aller au bout de cette logique en abandonnant la comptabilité traditionnelle pour la comptabilité en triple capital

Il convient de porter un autre modèle comptable, la comptabilité actuelle ne reflétant pas la réalité de la richesse sociétale et environnementale générée par une entreprise. Tel est l’enjeu de la comptabilité en triple capital que de plus en plus d’acteurs économiques appellent de leurs vœux.

 

Par Patricia Savin et Yvon Martinet, avocats associés, DS Avocats, OTI en charge des vérifications de DPEF

_______________

[1]    Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.

[2]    NDLR : Le droit mou ou droit souple (soft law en anglais) est un ensemble de règles dont la force normative est discutée. Ce sont des règles de droit non obligatoires, mais dont les effets juridiques ne sont pas pour autant inexistants. (Source : dalloz.fr).

[3]    Financing a sustainable European economy: Final Report 2018, High-Level Expert Group on Sustainable Finance, 31 janvier 2018.

[4]    Plan d’action : financer la croissance durable, Commission européenne, 8 mars 2018.

[5]    Considérant n°14 du règlement, p. 3.

[6]    Art.18 du règlement.

[7]    Ordonnance n°2017-1180 du 19 juillet 2017 relative à la publication d'informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes d'entreprises.

[8]    Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations non financières et d'informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes.

[9]    Y sont soumises les entreprises cotées de plus de 500 salariés avec un total de bilan dépassant 20 millions d’euros ou un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros, ainsi que les sociétés non-cotées ayant plus de 500 salariés avec un total de bilan ou de chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.

[10]  Collectif mené par les associations OREE, le WWF, Compta-durable, la Chaire Comptabilité Ecologique. Voir tribune du Monde du 17 septembre 2020 : « Rendre les entreprises compatibles avec la préservation de la biodiversité et du climat ».

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