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Électricité : de l’importance d’une réforme de fond incluant le mécanisme Arenh

Président d’Octopus Energy France, Vincent Maillard porte un regard sans concession sur les conséquences des réglementations du prix de l’électricité. Face à la réforme voulue par la commission européenne, évaluer en amont leur pertinence s’avère crucial.

Publié le 23/05/2023

La Commission européenne a récemment présenté la réforme du marché de l’électricité. Concernant l’accès au nucléaire, cette réforme pourrait être pour la France un moyen de préparer la sortie du système de financement par l’Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique), prévue pour 2025. Mécanisme réfléchi en 2008-2009, notamment par la Commission Champsaur, l’Arenh est un droit accordé aux fournisseurs alternatifs d'acheter de l’électricité auprès d'EDF, à un prix représentatif de la compétitivité du parc nucléaire historique et à proportion de la consommation de leurs clients en France. Il paraissait alors légitime que les clients français qui choisiraient un autre fournisseur, puissent continuer à bénéficier de l'attractivité d'un parc de centrales, qu'ils ont financé en tant que contribuables ou usagers et dont ils supportent les risques et les conséquences dans la durée. Si, encore aujourd'hui, ce mécanisme protège (certes imparfaitement) nos entreprises et les clients particuliers contre les hausses des prix sur les marchés de gros, il n'en reste pas moins que l’Arenh soulève des questions, sur lesquelles il est intéressant de revenir pour que la future réforme ne reproduise pas les erreurs du passé.

La première question porte sur le niveau de prix de l'Arenh

Le prix initial de 42 euros par MWh n’a en effet pas été fixé au regard des coûts d’EDF pour la production d’électricité nucléaire (qui ont fait l’objet d’une analyse ultérieure), mais en référence à un mécanisme réglementaire plus ou moins bancal qui l’avait précédé, le Tartam (Tarif réglementé et transitoire d'ajustement au marché). Le cœur du débat portait à l’époque sur la prise en compte de ce que les clients avaient historiquement payé à travers les tarifs réglementés passés, pour éviter qu’ils ne paient deux fois pour la même chose. En ce cas, le prix de 42 euros paraissait alors trop élevé et le juste coût était évalué autour de 35 euros[1]. À l’inverse, la position d’EDF était de revaloriser tout le parc, indépendamment du fait que les clients en aient déjà payé une grande part, ce qui aboutissait à des niveaux de prix nettement supérieurs (à l’époque estimés à 50 euros). Au final cependant, comme le notait la Cour des Comptes dans son rapport de juillet 2022, « la mise en œuvre de l’Arenh ne s’est pas déroulée comme prévu, mais a permis la couverture des coûts complets sur la période considérée [2011-2021] ». Ce ne sera pas le cas en 2022 bien évidemment, du fait des indisponibilités sur le parc nucléaire. Mais à retenir une approche trop comptable, on a négligé qu’il fallait aussi faire en sorte qu’EDF, qui restait endettée, puisse financer les investissements à venir, notamment pour la maintenance de son parc nucléaire (le grand carénage). Le niveau du prix Arenh aurait ainsi dû - j’en suis convaincu - être fixé raisonnablement plus haut pour financer le grand carénage, tout en étant vigilant sur l’utilisation qu’EDF aurait fait du premium versé au-delà de son coût historique de type « Champsaur ». En imaginant par exemple un fond dédié pour isoler ces montants, cela aurait permis de sécuriser la capacité de financement de l’entreprise publique à un moment où les besoins d’investissements s’accéléraient.

La seconde question porte sur le caractère optionnel de l’Arenh

Les fournisseurs ne sont pas obligés de recourir à l’Arenh et peuvent donc décider d’acheter directement l’énergie sur les marchés de gros, si ceux-ci sont plus attractifs. Cela ne constitue pas forcément un gain indu pour les fournisseurs (qui, la plupart du temps, font bénéficier leurs clients de leur prix d’achat plus faible). En revanche, cela pose un problème réel pour EDF qui n’est plus assuré de pouvoir recouvrir ses coûts. Cette situation – qui s’est produite en 2015 et 2016, ne s’est pas renouvelée depuis et ne semble plus d’actualité – constitue une anomalie. Elle n’est cependant pas sans solution et les modalités de fonctionnement de l’Arenh ont d’ailleurs cherché à limiter les effets d’aubaine de ce type. Un moyen plus radical pourrait être de rendre l’Arenh obligatoire, ce qui tuerait dans l’œuf toute possibilité d’arbitrage. Cette piste semble intéressante, mais seulement si elle s’intègre dans une réforme plus globale du mécanisme permettant le développement complémentaire de nouveaux moyens de production bas carbone.

La troisième question porte sur les modalités techniques de calcul de l’Arenh

Le point principal est que le droit à acheter de l’Arenh pendant l’année entière est jaugé à l’aune de la consommation des clients des fournisseurs pendant l’été (juillet/août et les heures creuses de demi-saison). La Commission de régulation de l’Énergie (CRE) enquête sur les pratiques de certains fournisseurs, soupçonnés d’avoir détourné ce mécanisme en poussant les clients à la résiliation en fin de période de calculs de droit Arenh (soit en septembre/octobre), pour ensuite revendre l’énergie achetée au prix Arenh, relativement bas, à prix fort sur les marchés de gros en novembre et décembre. Or, qui doit ensuite racheter cette énergie au prix fort ? EDF et les quelques fournisseurs qui ont maintenu une offre aux mêmes tarifs que le tarif réglementé, qui recueillent donc les clients ayant quitté les fournisseurs « résiliateurs ». Le caractère abusif de telles pratiques fait peu de doute, mais la justice, on le sait, peut prendre du temps. Par ailleurs, le mécanisme Arenh peut aussi avoir des effets pervers pour les fournisseurs. Parce que les droits Arenh ne sont connus qu’a posteriori, en fin d’année N, alors que les prix et les conditions d’approvisionnement doivent être fixés a priori pour l’essentiel en fin d’année N-1, les variations par rapport aux prévisions peuvent s’avérer très coûteuses pour certains types de consommateurs.

La quatrième question porte sur la répercussion de l’avantage Arenh auprès des clients

Le rapport « Champsaur » partait d’un principe simple : dès lors que l’Arenh permet aux fournisseurs de baisser leurs coûts d’approvisionnement, alors les prix suivront mécaniquement, du simple fait du jeu concurrentiel. Sur le segment des entreprises et des collectivités, les acheteurs sont parfaitement informés du mécanisme Arenh et demandent une description séparée et transparente des droits Arenh au moment des appels d'offres. Il y a donc globalement des mécanismes naturels de répercussion de ces droits. Sur le marché résidentiel en revanche, la loi devrait clarifier la situation et prévoir explicitement que les fournisseurs souhaitant bénéficier de l’Arenh, donc d’une forme de service public « de gros », s’engagent également à un certain nombre d’obligations au titre du service public de détail. En effet, je pars d’un principe simple : le droit à l’Arenh vient avec une forme d’obligation, certes morale, mais bien réelle : celle de vendre l’électricité aux clients à un prix équivalent au tarif réglementé de vente (TRV). Ce n’est pas facile, notamment parce que l’Arenh ne suffit pas à répliquer les TRV (son assiette ne concerne qu’une partie de l’ordre de 60 % de la consommation) et il faut aussi pouvoir acheter le « complément de marché » dans des conditions équivalentes à ce que la CRE prévoit, ce qui n’est pas toujours possible, voire parfois simplement impossible. En conséquence, on pourrait comprendre qu’un fournisseur doive vendre « un peu au-dessus » des TRV pour répercuter l’effet de ces coûts, mais on peut s’interroger légitimement sur le cas de fournisseurs qui achèteraient de l’Arenh, tout en vendant substantiellement plus cher que les TRV.

Pour affronter les défis qui nous attendent, nous avons collectivement besoin de règles stables et équilibrées, cela est vrai pour les fournisseurs alternatifs comme pour l’opérateur historique. Et nous avons besoin d’une régulation forte qui condamne fermement les abus des uns et des autres. L’objectif est d’assurer à la fois des prix raisonnables pour les clients finaux particuliers et industriels, notre souveraineté énergétique, mais aussi la capacité de tous à investir et inventer les solutions concrètes, au service de la transition énergétique.

 

Vincent Maillard

Président d'Octopus Energy France

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[1] Rapport de la Cour des Comptes de janvier 2012 : accès ici.

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