Les contentieux pour inaction en matière de biodiversité vont-ils bousculer les gouvernements de la même manière que tente de le faire la justice climatique ? C'est le pari que font les associations Notre Affaire à tous et Pollinis en lançant, ce jeudi 9 septembre à Marseille, une action en justice contre l'État français pour manquement à ses obligations de protection de la biodiversité.
Les associations ont décidé de fonder principalement leur action sur les carences constatées en matière d'autorisations de mise sur le marché (AMM) des pesticides. « Malgré tous les discours, et au mépris des lois et des conventions nationales, européennes et internationales, l'État français a failli à mettre en place un système d'homologation des pesticides réellement protecteur des pollinisateurs et de la faune en général », pose Nicolas Laarman, délégué général de Pollinis.
« Recours immodéré et systématique aux pesticides »
Les ONG estiment que l'une des causes majeures du déclin de la biodiversité est le « recours immodéré et systématique aux pesticides ». Elles mettent notamment en avant les résultats du programme de suivi temporel des oiseaux communs (Stoc) du Muséum national d'histoire naturelle qui montrent que les pertes les plus importantes concernent les oiseaux spécialistes des milieux agricoles. Ces résultats sont révélateurs de la dégradation des habitats « sous la pression des activités agricoles intensives et de l'usage massif des pesticides de synthèse », ajoutent-elles.
Un point de vue que ne partagent bien évidemment pas les entreprises qui commercialisent les pesticides. « Nous nous étonnons que la question de la protection de la biodiversité se résume ici aux effets éventuels des pesticides. De très nombreuses activités humaines comme l'urbanisation et l'artificialisation des sols, les éclairages nocturnes, la pollution atmosphérique… peuvent impacter la biodiversité. Cette dernière doit être envisagée dans toutes ses dimensions et être l'affaire de tous », réagit Eugénia Pommeret, directrice générale de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP), à la suite de l'annonce de cette action.
« Les pesticides nocifs pour le vivant sont autorisés sans contrôle rigoureux et sans évaluation pertinente de leurs effets réels sur la biodiversité », poursuivent quant à elles Pollinis et Notre Affaire à tous. Celles-ci pointent les lacunes de la procédure française de mise sur le marché des produits phytosanitaires, lacunes dont certaines sont identifiées par l'Agence de sécurité sanitaire (Anses) elle-même : mauvaise prise en compte des effets chroniques, des effets sublétaux, des effets sur plusieurs espèces ou encore de l'effet cocktail des produits. Pollinis et Notre Affaire à tous dénoncent également « le double rôle de l'Anses » qui, à la fois, évalue les produits et les autorise. « De telles lacunes et incohérences révèlent que le maintien de ce processus d'homologation, vecteur de déclin de la biodiversité, est contraire aux obligations de conservation de la biodiversité », estiment les associations.
Bien que la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques soit une compétence partagée entre l'Union européenne et les États, rien n'empêche ces derniers d'être « plus restrictifs, en application du principe de précaution », ajoutent les deux ONG. Selon les textes européens, rappellent-elles, les États membres doivent procéder à un retrait du marché ou éviter d'autoriser des pesticides dont le risque pour la santé ou la biodiversité est établi.
Éliminer les néonicotinoïdes, les SDHI et le glyphosate
Compte tenu des objectifs de protection de la biodiversité qu'il s'est lui-même fixés, « l'État se rend manifestement coupable de carence fautive de nature à engager sa responsabilité, notamment pour préjudice écologique », en concluent les associations. Celles-ci demandent dans un premier temps au gouvernement de faire cesser la situation qu'elles jugent illégale. Dans ce cadre, elles réclament une réforme du processus d'autorisation de mise sur le marché des pesticides mais aussi la suspension des autorisations des produits d'ores et déjà identifiés comme entraînant une perte inestimable de biodiversité.
Initiative pour une sortie accélérée des pesticides
Le 3 septembre, en ouverture du Congrès mondial de la nature, le chef de l'État a annoncé une initiative de la présidence française de l'UE pour une sortie accélérée des pesticides. Une annonce tempérée dès le lendemain par le ministre de l'Agriculture. « Notre position est toujours la même : pas d'interdiction sans alternative », a indiqué Julien Denormandie. Ce qui n'est pas de nature à rassurer les associations.
En tout état de cause, « si la réponse du gouvernement n'est pas satisfaisante d'ici deux mois », les ONG annoncent qu'elles procéderont au dépôt « d'un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif de Paris ». Sans illusion sur l'issue de cette mise en demeure, elles ont d'ores et déjà planifié cette action en novembre prochain.
Accompagné d'une campagne de communication et de la création d'un site internet spécial, l'idée des associations est de réitérer le scénario de l'Affaire du siècle. Une action mettant en cause l'État pour son inaction dans le domaine climatique qui a reçu le soutien de plus de deux millions de personnes mais dont l'épilogue judiciaire reste toujours attendu.
« Je comprends leur action, on ne peut être que favorable mais je trouve qu'elle est très large », réagit Henri Clément, porte-parole de l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf). Le syndicat apicole français ne s'y joindra donc pas, préférant emprunter la voie juridique sur des dossiers précis. « Pollinis est habitué à reprendre les combats que l'on mène. C'est une drôle d'association », lâche le représentant du syndicat professionnel.