La police de l'environnement, en particulier les agents de l'Office français de la biodiversité (OFB), fait-elle une application trop stricte de la législation sur la protection des habitats et des espèces pour les chantiers forestiers ? C'est en tout cas ce qu'estime la Fédération nationale Entrepreneurs des territoires (FNEDT), organisation professionnelle qui fédère 21 000 entreprises de travaux employant 124 000 actifs, permanents et occasionnels, intervenant sur des chantiers agricoles, forestiers et ruraux.
La fédération a poussé un coup de gueule, le 6 avril, en publiant un communiqué dénonçant « des chantiers suspendus » et « une filière forestière menacée ». La cause, selon l'organisation professionnelle ? Le zèle des agents de l'OFB qui voient « un danger pour la biodiversité dans tout chantier en forêt ». « En tant que représentants des entreprises de travaux forestiers, nous appelons à la mobilisation contre l'interprétation par l'Office français de la biodiversité de l'article 411-1 (sic) du code de l'environnement sur la protection des habitats et des espèces qui est à l'origine, depuis jeudi dernier, de la suspension de chantiers forestiers et qui réduit l'approvisionnement en bois », dénonçait Robert Dieudonné, président de la commission forêt à la FNEDT, dans ce communiqué.
Décision unilatérale des forestiers
Contrairement à ce que pouvait laisser croire le communiqué, la suspension des chantiers en question relève « d'une décision unilatérale des forestiers », indique l'OFB à Actu-Environnement. Ces chantiers ont effectivement été suspendus par la Société forestière de la Caisse des dépôts, qui gère 310 000 hectares de forêt et constitue l'un des plus importants gestionnaires forestiers privés français. La suspension était préventive, confirme Aldric de Saint-Palais, chargé des services forestiers et ruraux à la FNEDT. La Société forestière avait en effet été condamnée pénalement l'année dernière, explique ce dernier, et elle a suspendu ses chantiers pour se prémunir d'une nouvelle condamnation qui aurait pu lui coûter cher, avec un risque de peines d'emprisonnement et, surtout, l'interdiction de participer à des appels d'offres publics.
L'article L. 415-3 du code de l'environnement permet en effet de punir de trois ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende au maximum le fait, en violation de l'article L. 411-1 du même code, de porter atteinte à la conservation d'espèces animales ou végétales non domestiques ou à la conservation d'habitats naturels.
« Des espèces protégées qui ne sont pas en danger »
Les choses se sont un peu arrangées à la suite d'une réunion au ministère de la Transition écologique, mi-avril, indique toutefois M. de Saint-Palais, ce qui a permis de relancer des chantiers suspendus. « Un rappel a été fait aux administrations régionales sur le fait que les règles qui s'appliquent aux agriculteurs ne s'appliquent pas forcément aux forestiers », se félicite le représentant de la fédération.
« On a en revanche toujours pas de réponse sur l'article L. 411-1 qui protège les habitats et les espèces, déplore-t-il. C'est très bien, mais il y a 1 800 espèces protégées en France. Certaines sont emblématiques et facilement identifiables, ce qui permet de planifier des travaux à une période qui ne les gênera pas. (…) Mais il y a aussi des espèces protégées qui ne sont pas en danger. » Aussi, la fédération appelle-t-elle de ses vœux une cartographie des espèces en danger afin que les travaux puissent être organisés en prenant en compte leur présence. Un sujet que le ministère a mis à l'ordre du jour de la feuille de route qu'il a proposée à l'organisation professionnelle.
La situation des espèces forestières n'est toutefois pas au beau fixe, même si, pour les oiseaux par exemple, le déclin est moins marqué que dans les milieux agricoles. Ainsi selon l'Insee, pour une base 100 en en 1989, l'indice d'évolution des populations d'oiseaux communs spécialistes des milieux forestiers n'était plus que de 84 en 2021.
« Interprétation conforme au droit français et européen »
De son côté, l'OFB tient à souligner qu'il fait « une interprétation de l'article L. 411-1 du code de l'environnement conforme au droit français et au droit européen » et que cette interprétation est partagée par le ministère de la Transition écologique. « Contrairement à ce que laisse entendre le communiqué de presse, l'OFB a, depuis le début, maintenu le dialogue avec les forestiers, tant dans les régions qu'au niveau national, pour expliquer le cadre d'action qui s'impose à eux et à l'établissement. En effet, l'OFB a pour mission de mettre en œuvre et faire respecter la législation, et il le fait sous l'autorité des préfets et, s'agissant des procédures judiciaires, des parquets. En aucun cas, il n'agit seul », se défend l'établissement public spécialisé dans la protection et la restauration de la biodiversité.
La hausse des verbalisations dénoncée par les forestiers ne résulterait-elle pas davantage d'une modification des pratiques, avec la mécanisation et les coupes rases, plutôt que d'une interprétation plus stricte des textes par la police de l'environnement ? « Ça fait quarante ou cinquante ans que l'on fait des coupes rases comme on les fait maintenant, et les espèces protégées continuent à vivre dans des milieux que l'on a rasés et replantés », se défend M. de Saint-Palais. Quant à la mécanisation, « on essaie de mettre en place de bonnes pratiques. On est conscient que la mécanisation a un impact sur les milieux, mais qui n'est pas forcément négatif comme on peut le voir avec le crapaud sonneur à ventre jaune qui vit dans les ornières créées par les engins forestiers ». « La mécanisation, ajoute-t-il, c'est surtout, et avant tout, une sécurité accrue pour les ouvriers, car bûcheron reste le métier avec le plus d'accidents de travail mortels enregistrés par la MSA (2) . »