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AccueilArnaud GossementDéchets : l’agrément de l’éco-organisme en charge des huiles minérales usagées est suspendu « dans la mesure »

Déchets : l’agrément de l’éco-organisme en charge des huiles minérales usagées est suspendu « dans la mesure »

Le 1er août 2022, l'ordonnance de référé n°2213079/4-1 a suspendu « dans la mesure » l'exécution de l'arrêté, par lequel la société Cyclévia a été agréée pour six ans en qualité d'éco-organisme de la filière des huiles minérales usagées.

Publié le 26/08/2022

Une ordonnance dont le sens et la portée demeurent complexes. Le juge des référés a en effet suspendu l'exécution d'une décision administrative (un arrêté d'agrément d'un éco-organisme), pour un motif tenant à une autre décision - privée celle-ci - laquelle comporterait des éléments  « non indispensables ». Analyse.

Résumé

Par une ordonnance en date du 1er août 2022, le juge administratif des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de l'arrêté du 24 avril 2022, par lequel la société Cyclévia a été agréée, pour six ans, en qualité d'éco-organisme de la filière des huiles minérales usagées. Il s'agit d'une suspension « dans la mesure » dont la portée est bien délicate à apprécier.

L'article 1er de cette ordonnance commentée est ainsi rédigé : « L'arrêté du 24 février 2022 est suspendu dans la mesure où des clauses des contrats types mis en œuvre par la société Cyclévia soulèvent des difficultés par rapport au droit de la concurrence ».L'ordonnance précise également que ces contrats sont de droit privé. Les litiges à leur endroit échappent donc à la compétence du juge administratif. Lequel ne peut donc pas se prononcer sur leur conformité avec les principes et règles du droit de la concurrence. Il est trop tôt pour déduire de cette ordonnance un quelconque enseignement sur la manière dont les contrats types des éco-organismes devraient respecter le droit de la concurrence.

Les faits et la procédure

- Par un arrêté en date du 24 février 2022, l'État (ministres chargés de l'écologie et de l'économie) a agréé, pour six ans, la société Cyclévia, en qualité d'éco-organisme de la filière à responsabilité élargie du producteur applicable aux huiles minérales ou synthétiques, lubrifiantes ou industrielles.

- Par une ordonnance en date du 9 juin 2022, le Conseil d'État a rejeté la requête en référé d'une chambre syndicale et d'un opérateur de collecte et de traitement d'huiles minérales usagées, tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté. Le juge des référés du Conseil d'État a en effet considéré, qu'il n'était pas compétent pour statuer sur la demande de suspension de l'exécution d'une décision non réglementaire. 

- Les requérants ont alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris d'une demande qui, selon les termes de l'ordonnance ici commentée, tendait à la suspension de : « l'exécution de l'arrêté du 24 février 2022, par lequel la société Cyclevia a été agréée par la ministre de la transition écologique en tant qu'éco-organisme jusqu'au 31 décembre 2027, en ce qu'il valide les éléments opérationnels de cette société, alors qu'ils affectent la liberté du commerce et de l'industrie, le secret des affaires et la concurrence des opérateurs de collecte et de traitement d'huiles usagées qui ne sollicitent pas de soutien de l'éco-organisme ». À bien lire, la légalité de l'arrêté d'agrément serait donc mise en cause au motif qu'il « valide les éléments opérationnels de cette société ». Selon cette rédaction, ce n'est donc pas tant la légalité de l'acte administratif lui-même qui était en cause, mais son effet : le fait qu'il « validerait » un « élément opérationnel ».

- Par une ordonnance du 1er août 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de l'arrêté du 24 février 2022 « dans la mesure où des clauses des contrats-types mis en œuvre par la société Cyclévia soulèvent des difficultés par rapport au droit de la concurrence ».

Commentaire

L'analyse de cette ordonnance s'avère complexe à plusieurs titres. 

À titre liminaire, pour la bonne compréhension de la solution retenue aux termes de cette ordonnance par le juge des référés du tribunal administratif de Paris, il importe de distinguer les éléments suivants : 

  • l'arrêté du 27 octobre 2021, portant cahier des charges des éco-organismes de la filière à responsabilité élargie du producteur des huiles minérales ou synthétiques, lubrifiantes ou industrielles ;
  • l'arrêté du 24 février 2022par lequel l'État (ministres chargés de l'écologie et de l'économie) a agréé, pour six ans, la société Cyclévia, en qualité d'éco-organisme de la filière à responsabilité élargie du producteur applicable aux huiles minérales ou synthétiques, lubrifiantes ou industrielles ;
  • la décision de la société Cyclévia de proposer un contrat type avec un contenu particulier, susceptible de révéler le respect ou une violation d'un engagement pris lors de son agrément en qualité d'éco-organisme ;
  • les clauses du contrat proposé par la société Cyclévia à la société Eco-Huile.

Au cas présent : si c'est bien l'arrêté d'agrément du 24 février 2022, qui a fait l'objet d'une demande d'annulation puis de suspension de son exécution par la société Eco-Huile devant le tribunal administratif de Paris, ce sont les clauses du contrat proposé par la société Cyclévia qui semblent en réalité être problématiques. Cette difficulté relative à la liaison du contentieux affecte, à notre sens, la rédaction de l'ordonnance ici commentée.

Sur la décision dont l'exécution est suspendue

L'ordonnance précise que l'arrêté d'agrément - dont la suspension partielle est demandée - serait subordonné à ce que son bénéficiaire - la société Cyclévia - procède, comme elle s'y est engagée auprès de la commission interfilières de responsabilité élargie des producteurs (CIFREP), à « modifier les clauses de ses projets de contrats types afin que ceux-ci ne soulèvent pas de difficultés par rapport au droit de la concurrence ».

Cette appréciation pose deux difficultés.

D'une part, cet arrêté d'agrément ne définit aucune condition nouvelle à la délivrance de cet agrément, mais comporte le considérant introductif suivant, rédigé en termes très généraux : « Considérant que la société Cyclevia s'est engagée auprès de la commission interfilières de responsabilité élargie des producteurs, lors de la séance du 15 février 2022, à modifier les clauses de ses projets de contrats types afin que ceux-ci ne soulèvent pas de difficultés par rapport au droit de la concurrence. »

Il est à notre sens difficile de déduire de ce seul considérant, tant pour des raisons de forme que de fond, que l'État, par cet arrêté, aurait délivré un agrément sous condition de respect d'un engagement. Le considérant précité ne produit, à notre sens, pas d'effets de droit, tant par sa place dans la rédaction de l'arrêté que par la généralité de ses termes.

D'autre part et surtout, il semble - à la seule lecture de cette ordonnnce - que la critique des requérants ne portait pas tant sur la légalité de cette condition, que sur son respect par la société Cyclévia : « La Chambre syndicale du re raffinage et la société compagnie française Eco-huile soutiennent que la société Cyclevia n'a pas entièrement rempli son engagement en ce qu'elle oblige l'ensemble des opérateurs de la filière à s'enregistrer auprès d'elle, que cette formalité s'accompagne de la signature d'un contrat qui soulève des difficultés au regard du droit de la concurrence et les soumet à des conditions non prescrites par les dispositions du code de l'environnement » (nous soulignons).

Ainsi, à lire l'ordonnance, le grief des requérants ne semblait pas tenir à l'arrêté d'agrément - pourtant objet du recours - mais à la décision de la société Cyclévia d'imposer aux opérateurs de collecte et de traitement d'huiles minérales usagées, d'une part une obligation d'enregistrement, d'autre part une rédaction non négociable du projet de contrat de prestation qui méconnaitrait les prescriptions du droit de la concurrence. 

Sur l'incompétence du juge administratif pour statuer sur une demande relative au contenu d'un contrat de droit privé

À la seule lecture de cette ordonnance rendue le 1er août 2022, il apparaît que le cœur du litige tient à la contestation, par la société Eco-Huile, du contenu de certaines des clauses du contrat proposé par la société Cyclévia. L'importance de cette question apparaît notamment au point 8 de l'ordonnance consacré à la condition d'urgence.
Toutefois, au cas présent, le juge des référés du tribunal administratif de Paris se déclare incompétent pour statuer sur cette question au motif que le contrat en cause est un contrat de droit privé : « 6. Il n'appartient pas au juge administratif de connaître du contenu de contrats de droit privé. Par suite, les moyens tirés que des stipulations des contrats types mis en œuvre par la société Cyclevia avec les opérateurs de la filière seraient contraires à des dispositions du code de l'environnement ne peuvent qu'être écartés comme portés devant un juge incompétent pour en connaître. »

C'est, à notre connaissance, la première fois que le juge - administratif ou judiciaire - qualifie le contrat entre un éco-organisme et un prestataire de collecte ou de traitement, de contrat de droit privé. Certes, par une décision du 1er juillet 2019, le Tribunal des conflits a statué sur la question de la juridiction compétente pour connaitre du contentieux, né de l'exécution d'un contrat conclu par un éco-organisme en charge de la filière des déchets diffus spécifiques (DDS) ménagers et un syndicat mixte de gestion des déchets (cf. TC, 1er juillet 2019, n°4162). Le contrat en cause était toutefois un contrat conclu avec une collectivité territoriale. Le Tribunal des conflits a conclu, à l'inverse des juridictions judiciaires qui s'étaient prononcées jusque-là, à la qualité de droit privé de ce contrat (cf. notre commentaire de cette décision).

En conséquence, si le juge des référés du tribunal administratif de Paris qualifie ce « contrat prestataire » de contrat de droit privé, il est regrettable que les motifs de cette qualification ne soient pas exposés. Il s'agit bien entendu d'une ordonnance de référé dont la motivation n'est pas nécessairement exhaustive.

Cette qualification emporte une conséquence importance : le juge administratif ici saisi ne peut pas se prononcer sur la régularité des clauses contractuelles, qui sont pourtant au cœur du litige entre les parties. Le juge des référés du tribunal administratif de Paris va toutefois s'efforcer de trancher ce litige, malgré cette décision d'incompétence. Il va, en résumant un peu les choses, tenter de se prononcer autrement sur le contenu du contrat proposé par l'éco-organisme, en se prononçant, non pas directement sur ce contrat, mais sur « prescriptions instituées par la société Cyclévia ».

Le caractère « non indispensable » des « prescriptions instituées par la société Cyclévia » justifie la suspension de l'exécution de son arrêté d'agrément

Aux termes de cette ordonnance rendue le 1er août 2022 par le juge des référés du tribunal administratif de Paris, les « prescriptions instituées par la société Cyclevia » à la charge des prestataires « n'apparaissent pas toutes indispensables pour l'application du droit de l'environnement ». En conséquence de ce caractère « non indispensable » pour l'application du droit de l'environnement, le moyen tiré d'une « atteinte au droit de la concurrence » est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'agrément de la société Cyclévia.

L'ordonnance précise en effet : « 7. Il ressort des pièces du dossier et de ce qui a été dit à l'audience que, d'une part, les conditions tenant notamment aux informations à fournir dans le cadre de la procédure dite d'enregistrement mise en place et, d'autre part, les règles concernant les modalités de stockage des huiles usagées ainsi que le maillage territorial institué pour répondre à l'objectif fixé au 2° de l'article L. 541-1 précité du code de l'environnement, sont susceptibles de soulever des difficultés par rapport au droit de la concurrence. Aussi, dans la mesure où les prescriptions ainsi instituées par la société Cyclevia n'apparaissent pas toutes indispensables pour l'application des dispositions du code de l'environnement, les moyens soulevés tirés d'une atteinte au droit de la concurrence sont propres à créer un doute sérieux sur la légalité de l'agrément accordé par l'arrêté du 24 février 2022. »

Le raisonnement ici suivi est assez complexe. C'est en effet en raison du caractère « non indispensable » d'une décision privée prise par la société Cyclévia, que l'illégalité de son arrêté d'agrément - soit une décision administrative individuelle - est ainsi présumée. Sauf erreur, la légalité de l'arrêté d'agrément ne devrait pas dépendre du caractère « indispensable » ou non d'une décision prise par le bénéficiaire dudit agrément. Sauf à considérer que cette décision de la société Cyclévia démontrerait la non réalisation d'une condition fixée par l'arrêté d'agrément qui aurait pour effet d'en entraîner sa « disparition ». En outre, le lien ici opéré par le juge des référés entre l'application du droit de l'environnement et l'atteinte au droit de la concurrence n'est pas non plus évident. Enfin, l'ordonnance ne précise pas non plus quelles sont les principes ou règles du droit de la concurrence qui seraient ainsi méconnues et par quoi exactement.

La portée incertaine de la décision de suspension partielle « dans la mesure » de l'exécution de l'arrêté d'agrément

Il est très intéressant de relever qu'avant de rédiger son ordonnance, le juge des référés du tribunal administratif a invité les parties à se concilier. Il semble que, si cette conciliation a échoué, le juge des référés ait néanmoins cherché à parvenir, par son ordonnance à une forme de conciliation.

L'article 1er de l'ordonnance commentée est ainsi rédigé : « L'arrêté du 24 février 2022 est suspendu dans la mesure où des clauses des contrats types mis en œuvre par la société Cyclévia soulèvent des difficultés par rapport au droit de la concurrence. » Cet article comporte plusieurs imprécisions qui rendent très complexe l'identification de sa portée exacte. L'expression « dans la mesure » semble révéler que ce n'est pas une partie de la décision dont l'exécution est suspendue. Il s'agirait plutôt d'une suspension sous condition : l'exécution de l'arrêté d'agrément est suspendue tant que les contrats types mis en œuvre par Cyclévia créent une « difficulté ». Enfin, le terme « difficulté » est assez imprécis, de telle sorte qu'il est délicat de savoir quelles sont les clauses contractuelles qui posent « difficulté » et pour quel motif.

Conclusion. À la lecture de cette seule ordonnance, le litige dont était ici saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, procédait d'une contestation de la conformité des contrats proposés par l'éco-organisme aux principes et règles du droit de la concurrence. Toutefois, à notre sens, cette ordonnance n'apporte pas de précision nouvelle sur les conditions de cette conformité :

  • d'une part, les contrats en cause sont, selon les termes de cette ordonnance, de droit privé et leur contentieux ne relève pas de la compétence du juge administratif ;
  • d'autre part, l'arrêté d'agrément ne comporte pas de précision, à l'inverse du cahier des charges, sur le contenu des contrats-types à partir desquels l'éco-organisme rédige ses projets de contrat.

Aussi, il est prudent, à ce stade, de ne tirer aucune conclusion hâtive de cette ordonnance sur le rapport de ces contrats au droit de la concurrence et d'attendre la fin de ce contentieux.

 

Arnaud Gossement
Avocat - docteur en droit, professeur associé à l'université Paris I | Panthéon-Sorbonne
Article originellement publié sur le blog d’Arnaud Gossement, le 26 août 2022.

 

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