Chaque année, 700 à 800 millions de tonnes de déchets deviennent des matières recyclées. De plus en plus, ces matériaux sont commercialisés à l'échelle mondiale. Ainsi, les flux de matières premières auraient tendance à s'inverser. Alors que pendant longtemps, celles-ci ont voyagé des pays producteurs (généralement au Sud) aux pays consommateurs (pays industrialisés), désormais, ce sont les pays industrialisés qui envoient leur matériaux de récupération dans les pays du Sud !

Plus d'export, moins d'import

Depuis la fin des années 90, la production française de matières recyclées a quasiment doublé. Or, "la hausse des taux d'utilisation de matières recyclées par les industries consommatrices n'a pas permis d'absorber la totalité des tonnages supplémentaires produits par l'industrie du recyclage", note le Comité stratégique des éco-industries (Cosei) dans un rapport sur la valorisation industrielle des déchets, publié fin 2011. Les entreprises du recyclage se sont donc tournées vers l'export. Un phénomène amplifié par la crise : alors que la production européenne était en retrait, certains pays émergents poursuivaient leur croissance. De plus, le plus faible coût de la main d'œuvre dans ces pays y rend le recyclage plus rentable qu'en Europe.

Ainsi, depuis 2003, les exportations françaises de matières recyclées progressent de 13 % par an environ alors que les importations diminuent de 6 %. En 2010, la France a exporté 44,3 % de ses matières recyclées (métaux ferreux et non ferreux, papiers/cartons, verre, plastique). Le marché des métaux ferreux et non ferreux et des plastiques recyclés est particulièrement internationalisé : les exports français constituent plus de 40 % de la production nationale. En revanche, les échanges de papier sont inférieurs.

La moitié de ces exportations ont pour destination l'Asie, un tiers l'Europe, le reste rejoignant les continents américain et africain, selon les statistiques officielles du commerce extérieur de la France. La Chine, l'Inde, la Turquie sont de gros consommateurs de matières premières recyclées. Au point que l'Asie est devenue le centre de gravité de ce marché, et que les prix des matières recyclées soient dépendants des prix fixés dans les ports chinois, observe le bureau international du recyclage (BIR).

Les transformateurs dénoncent la fuite des matériaux

Certains observateurs s'inquiètent de cette "fuite" de matériaux recyclés. Dans sa communication "initiative matières premières" publiée en 2008, la Commission européenne observe que "de nombreux produits arrivés en fin de vie n'entrent pas dans les circuits de recyclage réguliers, mais sortent illégalement de l'UE, ce qui se traduit par des pertes de matières premières secondaires de valeur ainsi que par des répercussions sur l'environnement".

Mais "au-delà de ces exportations illégales, il existe également une fuite tout à fait licite de déchets et de matières premières secondaires non affinées vers les pays émergents, qui prive tout autant notre industrie d'un précieux gisement de matières stratégiques. On estime ainsi que près de 30 % des véhicules hors d'usage quittent annuellement le territoire français", estiment les députés Christophe Bouillon et Michel Havard, dans un rapport d'information publié en octobre 2011.

"On assiste depuis quelques années à une fuite de certaines matières premières secondaires hors de l'Europe, échappant ainsi aux industriels européens", confirmela Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Même son de cloche à la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC) : "La fuite des déchets et des matières premières secondaires non affinées vers les pays émergents, en particulier la Chine, prive notre industrie d'un précieux gisement de matières stratégiques. Par ailleurs, ces exportations se font sans contrôles réels quant à leur destination finale et leurs réelles perspectives de traitement".

Ainsi, les transformateurs s'alarment de cette compétition, qui crée une tension sur le marché et sur les prix. En six ans, le prix de la tonne d'ondulé récupéré est passé de 45 à 151 euros. Celui de la tonne de magazines et journaux de 48 à 127 euros. Les papetiers européens dénoncent une disparition prochaine de leur activité si aucune mesure n'est prise pour favoriser leur propre approvisionnement. Selon les recycleurs, au contraire, c'est la faible demande européenne qui conduit à l'exportation…

Si la filière aval pâtit de ces exports, selon Jérôme Betton, spécialiste des filières à responsabilité élargie du producteur (REP) et du recyclage à l'Ademe, l'exportation pose un autre problème : "Dans le cadre des REP, les coûts de collecte et de tri pèsent sur les industriels et les consommateurs, alors que les matériaux réutilisables sont parfois vendus à prix forts à l'étranger par les recycleurs, sans profiter au pays ou à la filière de recyclage".

De nombreux acteurs se posent donc la question : faut-il laisser faire le marché ou faut-il l'encadrer de manière à favoriser, en priorité, la demande nationale ?

Sophie Fabrégat