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Exposer les tiers à un risque grave, une infraction condamnable pour les installations classées

L'arrêt du 11 octobre dernier dans l'affaire de l'incinérateur de Maincy revêt un grand intérêt pour les installations classées. Corinne Lepage, Benoît Denis et Valérie Saintaman, nous commentent la portée de cette condamnation pénale.

Publié le 24/10/2019

L'affaire de l'ancien incinérateur de Vaux-le-Pénil (77) pourrait figurer comme un cas d'école des dysfonctionnements successifs de notre système de contrôle des installations classées pour la protection de l'environnement. La France a multiplié les incinérateurs sur son territoire et a plus que traîné les pieds pour se conformer aux règles communautaires concernant, en particulier, les dioxines et rejets polluants générés. De nombreux incinérateurs ont ainsi fonctionné dans des conditions oscillant de catastrophiques à négatives pour les riverains. Seul l'incinérateur de Gilly-sur-Isère (73) avait pu donner lieu à une procédure pénale qui a finalement avorté, compte tenu de la dissolution de la personne morale qui l'exploitait.

Rappel des faits

Le non-respect par l'incinérateur de Vaux-le-Pénil de son arrêté d'autorisation était attesté de longue date. Autorisée à fonctionner sous forme d'incinérateur par arrêté préfectoral du 17 juillet 1974, cette installation était exploitée par le SIGUAM, syndicat regroupant quatorze communes de l'agglomération melunaise, puis à compter du 1er janvier 2001 par la CAMVS, communauté d'agglomération de Melun.

Un arrêté ministériel du 25 janvier 1991 avait fixé les taux de rejet dans l'atmosphère pour les usines d'incinération comme celle de Vaux-le-Pénil. En 1999, le Préfet de Seine-et-Marne rendait applicable à l'incinérateur de Vaux-le-Pénil les règles fixées par cet arrêté ministériel, entraînant la nécessité de mettre l'usine en conformité. Toutefois, les taux de rejets fixés par voie ministérielle ne seront pas respectés selon des rapports de la DRIRE s'accumulant sur le bureau du Préfet. Le Préfet finissait par prendre des arrêtés de mise en demeure les 5 septembre et 11 décembre 2001, imposant à l'exploitant de respecter les termes de l'arrêté ministériel. En vain. En particulier, des rapports de la DRIRE des 7 janvier, 27 février et 12 mars 2002 établissaient la persistance des niveaux alarmants de poussières et de dioxines.

L'usine d'incinération de Vaux-le-Pénil faisait l'objet d'une fermeture le 6 juin 2002. Une nouvelle usine était mise en service à l'été 2003.

Entretemps, la Maire de Maincy faisait procéder à des analyses de sang ainsi qu'à des analyses des œufs de poule, dont on sait qu'ils peuvent concentrer les dioxines. Les résultats étaient accablants puisque les œufs concentraient plus de trente fois la norme maximale admissible. La Maire de Maincy prenait alors un arrêté interdisant la consommation des œufs produits sur son territoire et maintenait cet arrêté malgré la demande du Préfet de déférer son arrêté municipal au Tribunal administratif. Pour l'anecdote, cet arrêté municipal d'interdiction de consommation des œufs est toujours valable.

Parallèlement, le Préfet ordonnait des analyses dans le lait, qui révélaient un taux supérieur d'une à deux fois la norme en vigueur.

Calendrier de la procédure

La commune de Maincy et une centaine de personnes concernées par la pollution provenant de l'incinérateur déposaient des plaintes avec constitution de partie civile devant le Doyen des Juges d'instruction de Melun ; d'autres personnes physiques se constituaient parties civiles au cours de l'instruction. Le dossier sera rapidement transféré au pôle santé publique de Paris.

La CAMVS était mise en examen puis renvoyée devant le Tribunal correctionnel de Paris des chefs de poursuite de l'exploitation de l'usine d'incinération jusqu'au 15 juin 2002, sans se conformer aux arrêtés préfectoraux de mise en demeure des 5 septembre et 11 décembre 2001 et de mise en danger de la personne du 14 janvier 1999 au 15 juin 2002.

Le juge d'instruction prononçait un non-lieu partiel concernant les infractions d'homicide et blessures, faute de preuve d'un lien de causalité certaine entre l'exposition aux rejets de l'ancien incinérateur et les pathologies mortifères développées par la population.

Par un jugement en date du 6 mars 2018, la 31e Chambre / 1 du Tribunal correctionnel de Paris déclarait la CAMVS coupable des délits de mise en danger délibérée d'autrui et d'infraction à la législation des installations classées. Il condamnait la CAMVS à indemniser les victimes à hauteur de 21 000 € en moyenne par personne physique, et la condamnait à indemniser la commune de Maincy à hauteur de 15 000 € en réparation de son préjudice écologique, 5 000 € au titre du préjudice moral, et 40 000 € au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

La CAMVS interjetait appel de ce jugement à titre principal, provoquant les appels incidents du ministère public et des victimes.

Un arrêt définitif de la Cour d'appel de Paris

Par un arrêt rendu le 11 octobre 2019, qui confirme en grande partie la décision des premiers juges, la Cour d'appel de Paris a statué de manière définitive sur ce litige, aucune des parties n'ayant formé de pourvoi.

Cet arrêt tranche tout d'abord une question qui était importante pour la CAMVS, à savoir la date des faits pour lesquels elle a engagé sa responsabilité pénale. La Cour d'appel lui a donné satisfaction en rappelant l'un des principes fondamentaux du droit pénal : celui du caractère personnel de la responsabilité pénale prévu notamment à l'article 121-1 du code pénal. Selon la Cour d'appel, qui infirme sur ce point le jugement entrepris, la CAMVS ne pouvait en conséquence être tenue pour pénalement responsable des faits commis par une personne morale distincte, alors même qu'elle lui aurait succédé statutairement. Une telle analyse ne vaut pas nécessairement pour la responsabilité civile et administrative.

Par ailleurs, sur l'action publique proprement dite, la Cour d'appel ne consacre que quelques lignes de son arrêt à l'infraction relative à la législation des installations classées, qui ne posait guère de difficulté. C'est à juste titre que les Premiers juges se sont référés aux différents rapports de la DRIRE et arrêtés préfectoraux pris à l'encontre de l'exploitant pour caractériser le non-respect, par ce dernier, des mises en demeure administratives qui lui avaient été adressées durant la période de prévention. La CAMVS a ainsi été reconnue coupable et condamnée du chef de cette infraction obstacle, dont la jurisprudence offre de nombreux exemples.

Reconnaissance de la mise en danger

Le grand intérêt de l'arrêt réside dans la reconnaissance de la mise en danger délibérée d'autrui en matière d'installations classées. La Cour, à l'instar du Tribunal, pointe le caractère manifestement délibéré de la faute commise par la CAMVS qui, en sa qualité d'exploitant, ne pouvait ignorer les normes réglementaires de fonctionnement de ses installations. On rappellera que l'article 223-1 du code pénal punit « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».

La Cour relève que la première condition posée par ce texte est établie dans la mesure où les arrêtés de mise en demeure n'avaient pas été respectés et qu'ils faisaient suite à des analyses accablantes, avec des taux très supérieurs aux normes réglementaires.

La deuxième condition à remplir était la plus délicate puisqu'il s'agissait de démontrer l'exposition à un risque immédiat de mort ou de blessures graves. La CAMVS s'appuyait sur des études montrant des incertitudes sur les effets des dioxines. Mais la Cour, s'appuyant sur les nombreux documents produits par les parties civiles et la ville de Maincy, ainsi que sur les témoignages des différents experts entendus à la barre, reconnaît la surexposition au risque de cancers des personnes vivant sous le panache des rejets de l'incinérateur. Ainsi, le risque supplémentaire de développer un cancer a été considéré par la Cour, à l'instar de ce qu'avait déjà considéré le Tribunal, comme constituant le risque immédiat de mort ou de blessures graves exigé par le texte répressif. C'est là que réside l'intérêt principal de cet arrêt qui constitue une décision historique. La Cour ajoute que, peu importe la durée pendant laquelle s'est poursuivie l'exploitation de l'installation, en l'espèce de quelques mois : entre le 1er janvier et le 15 juin 2002.

La troisième condition relative à l'élément intentionnel était aisément caractérisée, la CAMVS ayant poursuivi l'exploitation en toute connaissance de cause des conséquences irrégulières du fonctionnement de ses installations, et alors même que d'autres modes de traitement des ordures ménagères auraient pu être mis en œuvre.

Quid des préjudices ?


En revanche, s'agissant de la recevabilité des constitutions de partie civile, la Cour a jugé, comme le Tribunal, que seules les personnes physiques pouvaient invoquer la mise en danger délibérée d'autrui. En effet, la question de la possibilité pour une commune - se définissant par un territoire et une population - de se constituer partie civile du chef du délit de mise en danger à raison du préjudice causé à ses habitants, était posée à la Cour, qui l'a rejetée par application stricte des conditions posées à l'article 2 du code de procédure pénale et de la jurisprudence classiquement rendue à son visa.

Par application des mêmes principes généraux de l'article 2 du code de procédure pénale, la commune a été déclarée recevable à se prévaloir de l'infraction de poursuite d'exploitation d'une installation classée sans autorisation, mais il n'en a pas été de même des personnes physiques dont la Cour a jugé qu'elles ne disposaient pas d'un préjudice personnel directement lié à cette infraction phare du code de l'environnement. Ce qui justifie l'action concertée de la commune et de ses administrés à titre individuel, fédérés par une association de défense des victimes.

Reste enfin la question des préjudices. La Cour d'appel a retenu, pour la commune de Maincy, le préjudice écologique du fait de l'impossibilité d'utiliser certaines parties du territoire ainsi qu'un préjudice moral, mais a en revanche rejeté la demande d'expertise en considérant, à l'instar du Tribunal, qu'elle se heurtait à une difficulté pratique compte tenu de la courte période de prévention dont elle était saisie.

S'agissant des parties civiles personnes physiques, la Cour a retenu le préjudice moral d'anxiété compte tenu de l'exposition à un risque pour leur santé. Elle a ainsi retenu le préjudice des personnes physiques ayant justifié avoir travaillé ou demeuré dans un périmètre de cinq kilomètres des rejets atmosphériques de l'incinérateur.

Enfin, la Cour a refusé, et le point est important, d'indemniser les mères parties civiles ayant allaité pour leur préjudice d'anxiété de leur crainte d'avoir rendu malade leur enfant, faute d'avoir justifié qu'elles avaient allaité dans la période retenue de culpabilité. Cela signifie que le principe du préjudice d'anxiété d'avoir exposé son enfant à un risque a fait l'objet d'un jugement.

La période de prévention ayant été restreinte, l'indemnisation des personnes physiques a été réduite à due proportion, soit une modeste somme de 2 750 € par personne contre 21 000 € allouée par le Tribunal. Et, l'amende prononcée à l'encontre de la CAMVS a été réduite par application du principe de personnalité de peine à une amende de 100 000 € avec sursis, ce qui justifie peut-être qu'aucun pourvoi n'a été formé par la CAMVS.

Un arrêt important pour les ICPE

Cet arrêt revêt une importance particulière, non seulement parce qu'il est le premier à avoir permis que le dysfonctionnement d'une usine d'incinération soit pénalement sanctionné, mais surtout parce qu'il rend désormais possible le recours au délit de mise en danger délibérée d'autrui en cas de dysfonctionnement d'une ICPE ayant produit un panache de pollution toxique susceptible d'augmenter les cas de cancers ou de maladies graves.

L'arrêt rendu le 11 octobre 2019 par la Chambre spécialisée de la Cour d'appel de Paris, vient concrétiser cette évolution et constitue ainsi une grande première.

Le très grand intérêt de cet arrêt est de permettre que soit réprimée l'infraction qui consiste à exposer les tiers à un risque grave, en dehors du cas spécifique de l'amiante.

Sa solution est donc généralisable à l'ensemble des substances chimiques dénommées « agents CMR » qui, à l'égal des dioxines, présentent des effets cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

Surtout, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris démontre positivement que la justification de l'exposition à un risque, qui constitue l'écueil principal de l'action des victimes, pourra être rapportée par des études statistiques et des modélisations scientifiques, améliorant grandement leurs chances d'obtenir gain de cause.

À une époque où l'État, à rebours de ses obligations européennes et de ses engagements internationaux, semble rétif à favoriser les actions juridiques à l'encontre des pollueurs, on ne peut qu'être redevable au Juge judiciaire de savoir maintenir un cap qui soit celui de la justice.

Avis d'expert proposé par Corinne Lepage, Benoît Denis et Valérie Saintaman, avocats au cabinet Huglo-Lepage

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1 Commentaire

Gaïa94

Le 28/10/2019 à 15h08

Enfin! Cet arrêt est doublement important: d'abord parce qu'il permet la condamnation de l'ICPE pour ses manquements bien sûr, mais aussi parce qu'il va faire réfléchir certains élus, enclins à délivrer trop facilement des autorisations d'implantation, contre les avis des commissaires enquêteurs et des populations concernées par les possibles pollutions. Sa généralisation à l'ensemble des agents "CMR" est également une très grande avancée, car de nombreuses ICPE seraient susceptibles d'être condamnées sur le territoire, si elles essayaient de profiter du manque avéré d’inspecteurs des installations classées pour tenter de passer à travers les mailles du filet. Cet arrêt les incitera à la prudence.

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