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Climat : l'échéance de 2030 ne sera pas respectée (2/2)

Dans la suite de son analyse des objectifs « climat 2030 » et de toutes les solutions devant permettre d’atteindre cette neutralité tant recherchée, Gabriel Ullmann pointe les angles morts de la comptabilisation de l’empreinte carbone.

Publié le 01/11/2022

Après un bilan synthétique des enjeux phénoménaux en matière de dérèglement climatique (voir 1/2)[1], ce second volet montre que la nouvelle échéance de 2030 est déjà perdue. Il précise en quoi la relance des énergies renouvelables et du nucléaire, par des lois d’accélération (avec des atteintes concomitantes au droit de l’environnement), ne permettra pas de tenir l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Au contraire, ces mesures vont plomber cette échéance et aggraver l’urgence climatique.

De nouvelles lois d’accélération : énergies renouvelables et nucléaires

Quelles que soient leur louable motivation et/ou leur affichage, l’expérience montre que les différentes lois d’accélération reposent essentiellement sur une réduction drastique en matière d’évaluations environnementales et de procédures d’autorisation. Citons, à titre d’exemple, la loi du 17 février 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés[2], qui a instauré le régime d’enregistrement en matière d’installations classées (avec la disparition notamment de l’étude d’impact, de l’étude des dangers, de l’avis de l’autorité environnementale et de l’enquête publique). Citons également la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (loi ASAP),[3] dont nous avons largement critiqué les effets sur l’environnement[4].

Les deux projets de loi sur l’accélération des énergies renouvelables et du nucléaire n’échappent pas à la règle[5]. Ils ont déjà fait l’objet de nombreuses critiques sur des dispositions favorisant à nouveau, au nom de la lutte contre le changement climatique, la régression du droit de l’environnement[6]. De surcroît, loin de répondre à l’objectif assigné de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2030, ces projets de loi vont, au contraire, les amplifier, ainsi que l’urgence (qui n’en finit plus d’être urgente) climatique à cette échéance.

Répartition et évolution de la consommation d’énergie en France

Le bouquet énergétique primaire de la France se composait en 2021 de 40 % de nucléaire, 28 % de pétrole, 16 % de gaz naturel, 14 % d’énergies renouvelables et déchets et 2 % de charbon. Fait très important : le bois-énergie représente la première source d’énergie renouvelable consommée en France, loin devant l’électricité d’origine hydraulique (cinq fois moins). Son principal usage est le chauffage. La filière du bois énergie prend de plus en plus d’ampleur, de même que la production de biogaz.

« Il va désormais falloir aller onze fois plus vite sur la décarbonation de nos économies », selon la dernière étude du Net Zero Economy Index[7], publiée par le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC). Ainsi, aucune des vingt premières économies – qui représentent 80 % des émissions mondiales liées à l’énergie – n’a respecté le niveau requis de  5 % de décarbonation en 2021. En moyenne, le taux de décarbonation des pays du G20 est de 0,5 %, alors que l’urgence d’agir n’a jamais été aussi grande. En 2021, l’Hexagone a vu ses émissions de gaz à effet de serre augmenter de 6,4 % par rapport à 2020, à la suite de la reprise après la pandémie. Pour le premier semestre 2022, les premières estimations du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) ne conduisent qu’à une baisse des émissions recensées de 0,6 %. La France doit pourtant diminuer ses émissions de 4,7 % par an jusqu’en 2030. Elle s’est engagée à les réduire de 40 % entre 1990 et 2030 et, avec la loi Énergie et Climat adoptée en 2019[8], à atteindre la neutralité carbone en 2050, en divisant les émissions par un facteur supérieur à six par rapport à 1990.


Confusion entre énergies renouvelables et décarbonées

La confusion, souvent inconsciente, mais parfois entretenue, entre énergies renouvelables et décarbonées se traduit par des conséquences de plus en plus lourdes sur le climat : on développe fortement des technologies et des filières qui concourent en réalité fortement à l’émission de GES. L’effet est d’autant plus pervers, que l’utilisation énergétique de biomasse est considérée comme source d’émissions nulles. Ceci selon une convention, dont on ne connaît pas l’origine[9]. De ce fait, les déclarations officielles d’émissions par pays n’intègrent pas les GES émis par la biomasse énergie. Quand cette tricherie officielle deviendra insupportable et que l’on devra, enfin, enregistrer et intégrer les GES émis par la combustion de la biomasse, on nous opposera alors le fait que ces filières font vivre des centaines de milliers d’emplois, couvrent le chauffage de millions de personnes et, qu’en conséquence, on ne pourra pas supprimer, ni même réduire, ces sources émettrices.

Cas de la méthanisation

La méthanisation produit du biogaz. Mais ce biogaz n’est autre que le méthane (CH4)… qui est le même que le gaz naturel. L’écrire tel quel paraît relever d’un truisme. Mais, cela signifie que le biogaz, que l’on favorise, est à l’origine des mêmes émissions de GES que le gaz naturel, que l’on bannit. Dans le cas où la méthanisation permet de valoriser des effluents agricoles, le bilan global est à considérer ; par contre, si la méthanisation est réalisée à partir de cultures énergétiques, c’est une double hérésie. Non seulement, cela ne réduit en rien les émissions de GES, mais cela conduit en outre à consommer des espaces agricoles pour des productions non alimentaires. Et ce, à partir d’intrants importants, qui sont très énergivores à fabriquer et à transporter. Or c’est la tendance lourde, compte tenu que la production de biogaz rapporte davantage que l’élevage. Plus cette filière se développe en ce sens, plus les émissions de GES perdureront. Par contre, elles sont officiellement considérées comme étant neutres en carbone.

Cas du bois-énergie

De même, le bois-énergie, qui est en plein développement et qui, rappelons-le, représente déjà la première source d’énergie renouvelable en France, est fortement émetteur de CO2. Sans même évoquer la pollution de l’air (les microparticules émises, les plus fines de toutes les sources d’énergie de combustion, passent directement dans le sang). Or, les émissions générées par la combustion de cette biomasse sont également considérées comme des carbones neutres et ne sont donc pas comptabilisées dans les déclarations annuelles d’émissions. Comme l’énonce le Citepa avec justesse : « On ne devrait parler de neutralité carbone que si dans le même temps cette activité générait, par nature, à l’échelle de l’année, un captage équivalent de CO2. Dans bien des cas, ce n’est pas le cas. Cette hypothèse de neutralité est certes acceptable pour la biomasse de cycle court, elle est beaucoup moins évidente pour le bois (cycles longs). En effet, les stocks de bois présents dans les arbres des forêts sont le résultat d’années voire de siècles de croissance des arbres. Couper ces arbres est en revanche très rapide. Il peut donc y avoir un déséquilibre fort entre croissance et prélèvement »[10].

Pour compenser le déstockage de CO2 lors de la combustion d’un bois âgé de 20 ou 30 ans par exemple, il faut bien plus que cette durée de croissance pour un jeune plan qui l’aurait remplacé (hypothèse la plus favorable). Car durant cette croissance, l’arbre abattu aurait continué lui-même à croître et à stocker du carbone s’il avait été maintenu vivant. La neutralité carbone du bois-énergie nécessite donc de nombreuses décennies. C’est ce qu’on appelle le « déficit carbone ». Dans tous les cas, la neutralité carbone d’un arbre servant de source d’énergie ne pourra pas intervenir avant 2030. Ainsi selon les données du Citepa, ce sont environ 10 à 15 % de CO2 émis qui ne sont annuellement pas comptabilisés. Et ce chiffre ne fait qu’augmenter avec le développement de la filière. Encore ne compte-t-on pas, non plus, les émissions de méthane dues à la décomposition de la matière organique laissée sur place, après abattage de l’arbre. Ces rémanents peuvent représenter jusqu’à 30 % de l’arbre.

Les arbres plantés entrent, par contre, dans les calculs des puits de carbone. Ce qui permet de déduire d’autant les émissions de CO2. Mais dès qu’on abat ce puits de carbone et qu’on l’incinère : il ne produit pas de CO2. Du moins officiellement. De la prestidigitation climatique ! Enfin, rappelons, comme le souligne encore le Citepa, que le bois n’est pas une énergie « efficace » d’un point de vue de son pouvoir énergétique : « Si l’on considère le bois du point de vue de ses qualités en tant que combustible, on constate qu’il émet davantage de CO2 que beaucoup d’autres combustibles à énergie produite donnée » (cf. la première illustration Facteurs démissions de différents combustibles ramenée à l’énergie produite. Source Citepa).

 

La relance de l’éolien offshore et du nucléaire plombe l’échéance 2030

Le premier projet du gouvernement vise l'implantation de 50 parcs éoliens offshore d'ici 2050. Sont prévus deux parcs flottants en Méditerranée à l’horizon 2030. Soit un très gros programme, dont les effets ne se feront sentir que bien après 2030. Par contre, d’ici là, l’extraction des matériaux composant ces installations (dont de nombreux métaux rares), la production de tous les équipements et pièces, leur transport, leur assemblage et tous les travaux d’implantation à réaliser seront fortement émetteurs de GES.

C’est encore plus marquant pour la relance du nucléaire, avec la volonté de construire six nouveaux réacteurs EPR : deux à Penly, deux à Gravelines et deux dans la vallée du Rhône pour une mise en service (très optimiste) à l'horizon de 2035. Des études seraient également lancées sur la construction de huit autres réacteurs. Soit très largement après l’échéance de 2030. Durant tout ce temps, la construction de ces centrales exigera, pour chacune, la production et le transport de centaines de milliers de tonnes de béton et des dizaines de milliers de tonnes d’acier, toutes très énergivores, sans compter tous les autres matériaux. Il faut ajouter la venue de milliers de travailleurs durant de nombreuses années. N’oublions pas, non plus, l’extraction de l’uranium des mines du Canada, du Niger et du Kazakhstan, puis leur transport. En résumé, une source considérable de GES jusqu’à bien après 2030.

Il en va de même pour de nombreux programmes de « décarbonation », comme celui des voitures électriques. En premier lieu, l’échéance pour l’arrêt des ventes (et non de l’utilisation) des voitures à moteurs thermiques est fixée à 2035. Ensuite, selon les différentes déclarations des constructeurs, le bilan carbone des voitures électriques ne serait neutre qu’à partir de 80 000 à 100 000 kilomètres parcourus. Compte tenu notamment de l’extraction et du transport des métaux lourds, de la construction des usines de fabrication des batteries et de la transformation profonde des industries automobiles et de leurs sous-traitants pour répondre à cette nouvelle technologie. Ce qui reporterait la neutralité aux années 2040.

 Une échéance 2030 clairement perdue, une neutralité en 2050 loin d’être assurée

Sans porter de jugement sur le fond de ces programmes, il est manifeste que, quels que soient les bénéfices attendus, ils ne commenceraient à porter leur fruit qu’à l’échéance, au mieux, 2035-2040. Entre-temps, ces programmes industriels participeront fortement à la détérioration du climat. Clairement, faute d’avoir agi à temps et faute maintenant d’avoir la volonté politique de remettre fondamentalement et urgemment en cause notre modèle de consommation, voire notre modèle de société, les seules politiques ambitieuses visent le long terme, en se gargarisant de l’objectif « en 2050, on sera carbone neutre »…

L’échéance 2030, la plus primordiale, vu l’état climatique actuel et de ses prochaines années, est vite oubliée, car on sait qu’elle ne pourra pas être tenue sans une remise en cause profonde et immédiate de notre société. À titre d’exemple, la dernière étude de l’Ademe, portant sur le transport aérien, donne les « pistes de transition écologique à l’échelle nationale, permettant de contribuer à l’objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050 »[11]. On y apprend qu’en 2019, les vols intérieurs et internationaux au départ de France ont été à l’origine de 24,2 millions de tonnes de CO2, soit + 85 % par rapport à 1990. Ces émissions de l’aérien représentent l’équivalent de 5,3 % des émissions globales de la France, soit 2,2 fois plus qu’il y a 30 ans. Si rien n’est fait, on prévoit a minima un doublement de ces flux d’ici 2050. C’est l’aviation commerciale de passagers qui constitue l’immense majorité du trafic mondial (avec 12,5 millions de passagers par jour). Il en va de même pour la France. En mobilisant tous les leviers majeurs, l’Ademe conclut que les émissions de CO2 des vols au départ de la France pourraient, au mieux, être réduites d’environ 75 % entre 2019 et 2050. C’est loin de représenter une neutralité carbone et c’est confirmer incidemment (car ce n’est pas dit) que l’échéance 2030 ne sera évidemment pas respectée.

Ce constat vaut pour de nombreux programmes ambitieux, comme les mégaprojets de transports transeuropéens, dont les effets bénéfiques ne se feront sentir que bien après 2030 et, pour certains, après 2050. Durant toute cette période, ils seront par contre fortement émetteurs de GES. C’est le cas par exemple de la liaison Lyon-Turin, comme l’a bien explicité la Cour des comptes européenne : « l’évaluation des avantages environnementaux, générés par les infrastructures de transport phares sur le plan des émissions de CO2, doit tenir compte aussi bien des effets négatifs de la construction que des effets positifs à long terme de l’exploitation de l’infrastructure, une fois celle-ci achevée. En réalité, la construction de nouvelles grandes infrastructures de transport est une source importante d’émissions de CO2, tandis que les avantages environnementaux dépendent du volume du trafic effectivement transféré depuis d’autres modes de transport, plus polluants. Le gestionnaire d’infrastructure français a, par exemple, estimé en 2012 que la construction de la liaison transfrontalière Lyon-Turin, et de ses lignes d’accès, générerait 10 millions de tonnes d’émissions de CO2. Selon ses estimations, cette infrastructure de transport phare ne deviendra avantageuse du point de vue des émissions de CO2 que 25 ans après le début des travaux. Cependant, se fondant sur les mêmes prévisions de trafic, nos experts ont conclu que les émissions de CO2 ne seraient compensées que 25 ans après l’entrée en service de l’infrastructure. Cette prédiction dépend en outre des volumes de trafic : s’ils n’atteignent que la moitié du niveau prévu, il faudra 50 ans, à partir de l’entrée en service de l’infrastructure,avant que le CO2 émis par sa construction soit compensé. »[12]

 

« Le contraste entre le calme avec lequel nous continuons à vivre tranquillement et ce qui nous arrive est vertigineux », Bruno Latour

« Croyez-moi, Gabriel, tout cela finira très mal », Théodore Monod, un an avant son voyage éternel.

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[1] NDLR. Article de Gabriel Ullmann, Climat : l’échéance de 2030 ne sera pas respectée (1/2) sur le site Actu-environnement : lien vers l’article.

[2] NDLR. Loi du 17 février 2009, pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés : lien vers le texte de loi.

[3] NDLR. Loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (loi ASAP) : lien vers le texte de loi.

[4] NDLR. Article de Gabriel Ullmann, Le summum (provisoire) du démantèlement du droit de l’environnement : la loi ASAP (1/2) et (2/2) sur le site Actu-environnement : lien vers l’article 1 et l’article 2.

[5] NDLR. Projet de loi, (procédure accélérée) relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, sur le site du Sénat : lien vers le texte.

[6] NDLR. Conf. Les articles sur Actu-environnement en lien avec le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables : lien vers la recherche.

[7] Étude Net Zero Economy Index 2022 , du cabinet PwC : lien vers l’étude.

[8] NDLR. Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat : lien vers le texte de loi.

[9] Ni le Haut conseil pour le climat, ni l’Autorité environnementale, interrogés, qui se fondent régulièrement sur cette convention, n’en connaissent l’origine et la raison.

[10] Citepa, « Émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France. La biomasse énergie est-elle neutre en carbone ? », Rapport Secten, édition 2020 : lien vers le rapport.

[11] Rapport Transport aérien : 3 scenarios pour une transition écologique, Ademe, septembre 2022 : lien vers le communiqué de presse et vers l’étude Élaboration de scénarios de transition écologique du secteur aérien.

[12] Rapport Infrastructures de transport de l'UE: accélérer la mise en œuvre des mégaprojets pour générer l'effet de réseau dans les délais prévus, Cour des comptes européenne, 2020 : lien vers le rapport.

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Crédits photos : Citepa

1 Commentaire

Aux arbres citadins!

Le 21/02/2023 à 10h05

Notre association 'Aux Arbres Citadins!' de Meylan 38240,
souhaite rentrer en contact avec Gabriel Ullmann.
En effet nous agissons, nous allons agir et nous serions à l'écoute de ses avis et conseils.
merci de lui communiquer ce message.
auxarbrescitadins.com

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