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AccueilGabriel UllmannLoi ASAPLe summum (provisoire) du démantèlement du droit de l’environnement : la loi ASAP (2/2)

Le summum (provisoire) du démantèlement du droit de l’environnement : la loi ASAP (2/2)

La loi Asap, récemment publiée, étend la régression du droit de l'environnement à l’accès à la justice, mais aussi à l’autorisation environnementale elle-même. Elle n’en a pas moins été jugée, dans ses principales dispositions, conforme à la Constitution.

Publié le 08/12/2020

La loi d’accélération et de simplification de l’action publique, ou loi ASAP, du 28 octobre 2020 va autrement plus loin dans l’ampleur du démantèlement du droit que les multiples lois et réglementations antérieures relatives à l’accélération et/ou à la simplification de toutes natures. Elle prend la suite immédiate de la loi ESSOC (loi pour un État au service d’une « société de confiance »). Cette régression s’étend également à l’accès à la justice, mais aussi à l’autorisation environnementale elle-même. Elle n’en a pas moins été jugée, dans ses principales dispositions, conforme à la Constitution[1]

L’accès à la justice rendu de plus en plus difficile

Le principe du droit au recours est un principe général du droit à valeur constitutionnelle qui permet d'assurer aux citoyens la possibilité de contester des décisions devant des juridictionnelles indépendantes. Le droit européen se fonde sur un large accès au recours, notamment en matière environnementale, dans le sillage de la convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement. Malgré tout, depuis une dizaine d’années les textes se multiplient pour limiter, de plus en plus drastiquement, le droit au recours des citoyens et des associations. Avec le soutien et l’activisme du Conseil d’Etat (voir Le Conseil d'Etat et l'environnement : un droit à géométrie variable).

Ce fut d’abord en matière d’urbanisme puis en matière d’environnement. Pour le vice-président du Conseil d’Etat de l’époque, Jean-Marc Sauvé, il s’agit d’assurer « la prédominance contemporaine de sécurité juridique » et le juge doit prendre, en cas de besoin, des « mesures alternatives de régularisation » en lieu et place de l’annulation de l’autorisation[2]. Il développe cette doctrine un an plus tard : « A cet égard, le contentieux environnemental au sens strict se mettra sans doute à l’école du contentieux de l’urbanisme. (…) Le contentieux de l’urbanisme a en effet été rénové en 2013, afin de mieux encadrer (sic) l’intérêt pour agir des requérants, de juger plus vite et de purger (resic) aussi complètement que possible les litiges en cette matière. Sur ce dernier point, les outils de régularisation des illégalités relevées par le juge ont été renforcés »[3].

Depuis 2013, la suppression de la voie d’appel concernant le contentieux de certaines autorisations d’urbanisme a été mise en place. La volonté de « réduire le délai de traitement des recours qui peuvent retarder la réalisation d’opérations de construction de logements », s’est traduite par des modifications de certaines règles applicables au contentieux de l’urbanisme[4]. Le code de justice administrative a été modifié en conséquence pour donner compétence aux tribunaux administratifs pour connaître en premier et dernier ressort des contentieux portant sur les autorisations de construire ou de démolir des logements ou sur les permis d'aménager des lotissements, délivrés dans les communes marquées par une tension vive entre l'offre et la demande de logements.

Bien entendu, le Conseil d’Etat n’a trouvé aucune irrégularité dans la suppression de la voie d’appel, du fait qu’en raccourcissant ainsi les délais de jugement, « les dispositions litigieuses ont poursuivi un objectif de bonne administration de la justice, sans méconnaître aucun principe ni aucune disposition législative du code de justice administrative »[5]. Pour réduire les délais, on n’a pas cherché à donner davantage de moyens aux juridictions et à éviter les mesures dilatoires de certaines parties, mais on a supprimé pour partie la voie d’appel.

La loi « Macron » du 6 août 2015 a réduit d’un an à quatre mois le délai de recours des tiers contre des décisions relatives aux élevages, contrairement aux conclusions unanimes du groupe de travail (qui regroupait notamment de nombreux représentants des industriels) sur la réforme du contentieux administratif de l’environnement[6]. De plus, est supprimée la prolongation du délai de recours (de six mois) à compter de de la mise en activité de l’installation ; disposition qui préexistait depuis une loi de 1917 dans l’intérêt des riverains.

Un an plus tard, le décret du 8 janvier 2016 concernant les ouvrages de production et de transport d'énergie renouvelable en mer avait attribué à la cour administrative de Nantes la compétence pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs aux installations de production d'énergies marines renouvelables et à leurs ouvrages connexes[7].

Puis le décret du 29 novembre 2018 relatif « aux éoliennes terrestres, à l'autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l'environnement » avait rendu cette fois les cours administratives d'appel compétentes pour connaître, en premier et dernier ressort, des litiges relatifs aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, à leurs ouvrages connexes, ainsi qu'aux ouvrages de raccordement propres au producteur et aux premiers postes du réseau public auxquels ils sont raccordés[8].

Aussitôt après le décret du 4 décembre 2018, pris dans le cadre de la loi ESSOC, en innovant le  « rescrit juridictionnel » limite encore le droit au recours pour des décisions non réglementaires (autorisations de projet par exemple) prises sur le fondement du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, du Code de l'urbanisme ou du Code de la santé publique.

La loi ASAP limite davantage encore le droit au recours

La loi ASAP du 28 octobre 2020 confie cette fois directement au Conseil d'État la compétence en premier et dernier ressort pour connaître des recours formés contre les décisions relatives aux installations de production d’énergie renouvelable en mer ainsi qu’à leurs ouvrages connexes, aux ouvrages des réseaux publics d’électricité afférents et aux infrastructures portuaires rendues nécessaires pour la construction, le stockage, le pré-assemblage, l’exploitation et la maintenance de ces installations et ouvrages. On remarquera que non seulement on monte encore d’un niveau juridictionnel par rapport au décret de janvier 2016, mais qu’en même temps le champ d’application concerné s’étend.

Le summum (provisoire) est atteint en attribuant aux cours administratives d'appel une compétence en premier et dernier ressort pour les recours contre les projets d'ouvrages de prélèvement d'eau à usage d'irrigation et les infrastructures associées. Disparaît cette fois le prétexte visant à raccourcir les délais de recours contre des ouvrages d’énergie renouvelable, au nom de lutte contre le dérèglement climatique. Cette disposition a été adoptée sans difficulté, alors même que le Gouvernement avait reconnu que cet « amendement relatif à la restriction du droit de recours ne respecte pas les obligations imposées par le droit européen » (sic). Cette disposition a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel par la décision précitée du 3 décembre 2020. Mais, comme les lobbies agricoles finissent par obtenir ce qu’ils veulent gageons qu’à l’occasion d’une prochaine loi cette disposition sera réintroduite.

Outre la suppression de la voie d’appel et le raccourcissement des délais de recours, l’enjeu est aussi pécuniaire. Les recours en annulation devant les tribunaux administratifs peuvent être formés sans avocat, les associations ne s’en privent pas, alors que le ministère d’avocat est obligatoire devant les cours d’appel et devant le conseil d’Etat. Ce qui est coûteux et représente un réel frein au recours.

Le plus désespérant, c’est qu’au même moment la Commission européenne présentait le 14 octobre une proposition de modification du règlement Aarhus du 6 septembre 2006, afin d'améliorer l'accès à la justice en matière d'environnement au sein de l'Union européenne, notamment en matière de délais de recours, de frais de justice déraisonnables, de règles de procédures restrictives…

Le droit au recours ne peut se concevoir en outre que sur un droit d’accès à l’information. Or, dans une lettre de mise en demeure, en date du 14 mai 2020, la Commission demandait déjà instamment à la France de se conformer à la directive 2003/4 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement. Comme le rappelle la Commission la directive vise à accroître l'accès du public à l'information en matière d'environnement ainsi que la diffusion de cette information, qui favorisent une plus grande sensibilisation aux questions d'environnement, une participation plus efficace du public à la prise de décision en matière d'environnement et, en définitive, l'amélioration de l'environnement.

La directive prévoit qu'un demandeur qui considère que sa demande d'information a été ignorée ou indûment rejetée peut introduire un recours devant un organe indépendant et impartial, qui statuera rapidement. Elle précise qu’en France, « une telle procédure existe, mais le délai d'un mois accordé à l'organe indépendant pour fournir son avis [la CADA, commission d’accès aux documents administratifs] a été dépassé à maintes reprises, ce délai atteignant une moyenne de quatre mois au cours des dernières années ». En 2020, ce délai atteint maintenant 7 à 9 mois…

Certains travaux peuvent désormais commencer avant l’obtention de l’autorisation environnementale

Durant de nombreuses années, le permis de construire d’un projet soumis à autorisation et à enquête publique pouvait être accordé alors même que l’enquête n’avait pas commencé. Ce qui générait souvent des frustrations et des ressentiments de la part du public, qui avait alors le sentiment d’être mis devant le fait accompli et remettait en cause l’utilité d’une enquête dans ces conditions. C’est pourquoi, l’administration, consciente de cette situation, avait modifié les textes pour que le permis de construire ne puisse pas être accordé avant la clôture de l’enquête et pour qu’il y ait une articulation claire entre l’autorisation prise au titre de l’urbanisme et celle accordée au titre du code de l’environnement.

Puis, avec la régression qui institua le régime d’enregistrement des installations classées, au détriment de celui d’autorisation, un premier revirement eut lieu. Dans le projet d’ordonnance du 3 mars 2009 relative à l’enregistrement, il était prévu que le permis de construire ne pouvait pas être accordé avant que le préfet ait pris l'arrêté d'enregistrement. Mais l’ordonnance qui fut prise le 11 juin 2009 autorise finalement que le permis de construire soit accordé avant que le préfet ait pris l'arrêté d'enregistrement, mais les travaux ne peuvent être exécutés entretemps (art. L. 512-7-3[9]).

La loi ASAP amplifie cette évolution, comme dans bien d’autres domaines, en permettant cette fois au maître d’ouvrage de commencer certains travaux avant la délivrance de l’autorisation environnementale, lorsque l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation  environnementale  le permet par décision motivée, à condition que cela ait été préalablement portée à la connaissance du public.

Dans ce cas de figure, le public, informé du commencement des travaux, sera appelé à faire connaître ses observations sur un… projet en cours, soit à l’occasion d’une enquête publique, soit à l’occasion d’une consultation électronique (voir partie 1/2). Si des garde-fous ont été mis par les parlementaires pour éviter de trop grandes dérives, le projet de loi n’en comportait pas. Cela sera-t-il la prochaine étape ?

Nous avons maintenant dépassé le cap de la régression du droit de l’environnement

Pour chacun des textes qui exonèrent l’obligation de soumettre à une évaluation environnementale, d’organiser une enquête publique, de procéder à des consultations préalables, de recourir à des autorisations d’exploiter, à des autorisations de travaux, ou qui restreignent les prérogatives de l’autorité environnementale, limitent le droit à l’information et/ou à l’accès à la justice, c’est à chaque fois « en maintenant une excellence environnementale », « sans abaisser les exigences environnementales ». Pour la loi ASAP, l'objectif est ainsi « d'accélérer les implantations et les extensions industrielles » mais « sans rien changer aux réglementations qui nous protègent », selon la ministre Agnès Pannier-Runacher lors de la présentation du texte en conseil des ministres le 5 février 2020.

A l’occasion de la loi ASAP, la compagnie nationale des commissaires-enquêteurs (CNCE) concluait son communiqué de presse en date du 16 octobre 2020 en ces termes : « Une fois encore la CNCE fait part de sa lassitude à conduire cette lutte permanente visant à faire reconnaître les vertus de l’enquête publique et la place qu’elle occupe dans le dialogue environnemental (…). Elle ne s’explique pas les raisons qui poussent l’exécutif à détricoter lentement mais sûrement ce dernier fleuron de la démocratie participative de proximité ! (…). Pourquoi une telle régression ? ».

En fait, au fil des textes régressifs nous avons bien globalement dépassé le cap de la régression du droit. Et pas uniquement celui du seul droit de l’environnement. Il est à craindre que les difficultés économiques actuelles s’accroissent, bien au-delà de la crise sanitaire actuelle, vu que nous sommes au bout d’un modèle économique mondial mais qu’aucun dirigeant ne veut (ou ne peut ?) réellement remettre en cause. Il en résulte, d’ores et déjà, non plus la régression mais le démantèlement du droit de l’environnement. Dans le même temps nous aurons au moins droit à de merveilleux discours enflammés sur l’urgence écologique et même sur l’importance de « mettre l’écologie au centre du modèle »[10].

Notes :

[1] Décision du Conseil constitutionnel n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020.

[2] J-M. SAUVE, « Bilan d’activités 2014 », Conseil d’Etat, introduction, 2015, p. 6.

[3] Conférence à la Cour suprême d’Algérie à Alger, le 22 février 2016.

[4] Ordonnance du 18 juillet 2013 et décret du 1er octobre 2013 relatifs au contentieux de l’urbanisme.

[5] Conseil d’État, 10 février 2016, Mairie de Marseille, n° 387507.

[6] D. HEDARY, « Rapport du groupe de travail sur la réforme du contentieux administratif de l’environnement », juin 2015. Comme nous l’écrivions dans un article récent : « Il est ainsi une constante en matière de « gouvernance » : celle de ne retenir que les conclusions ou les avis, en tout ou en partie, qui confortent les pré-décisions des autorités ou légitiment les décisions finales prises ».

[7] Le projet de texte avait fait l’objet d’un avis défavorable quasi unanime (fait rarissime) du Conseil supérieur de prévention des risques technologiques (CSPRT), chargé notamment des installations classées. Il n’en fut naturellement pas tenu compte (voir la note précédente).

[8] Cette compétence a été étendu aux mesures de police concernant ces décisions, de leur refus ou de leur modification, comme l’a considéré le Conseil d'État dans une décision du 9 octobre 2019.

[9] Egalement article L. 425-10 du C. urbanisme (art. 20 de l’ordonnance).

[10] Entretien exclusif du président Macron au « Dauphiné Libéré », 11 février 2020.

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2 Commentaires

Babucologne

Le 09/12/2020 à 10h29

c'est une loi sur la régression de l'action publique

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Mangouste

Le 10/12/2020 à 16h24

Une fois de plus, Gabriel Ullmann nous décrypte parfaitement une loi, la loi ASAP, adoptée récemment et qui a passé sans encombres l'examen du Conseil Constitutionnel. Cette loi constitue une nouvelle régression du droit de l'environnement doublée d'un rabotage du droit du public à l'information et à la participation aux décisions ayant un impact sur l'environnement. Merci à ce juriste pour ces analyses, mais j'aurai plutôt préféré qu'il salue des décisions courageuses ou des avancées donnant de l'espoir pour les milieux naturels, la faune, la flore et notre vie future, pour nous les humains. Les lois et les orientations des décideurs politiques actuels ne correspondent pas vraiment à la demande d'une large partie de la population, mais répondent uniquement aux intérêts bien compris de groupes industriels et financiers. Notre avenir me paraît bien sombre.

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