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Climat : l'échéance de 2030 ne sera pas respectée (1/2)

Les engagements sur le climat se suivent, se cumulent. Constamment reportés, ils se heurtent à la réalité d’émissions aux conséquences de plus en plus inéluctables. Gabriel Ullmann présente les dernières études qui mettent l’objectif 2030 sur la sellette.

Publié le 07/10/2022

La relance d’énergies renouvelables et du nucléaire, par des lois d’accélération (avec des atteintes concomitantes au droit de l’environnement), loin de permettre de tenir l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, accentuera l’urgence climatique. Ce premier volet dresse le bilan des enjeux phénoménaux en matière de dérèglement climatique, connu depuis deux siècles et demi, avant de montrer, dans un second volet, que la nouvelle échéance de 2030 est clairement déjà perdue. D’ailleurs, pratiquement plus aucun décideur n’évoque cet objectif, pour s’en remettre à la neutralité carbone en… 2050.

Des engagements sans cesse révisés à la hausse…

À partir de 1990, l’assemblée générale des Nations Unies prend l’initiative d’engager des négociations internationales de lutte contre l’effet de serre. À l’issue de la Conférence de Rio de Janeiro en 1992, fut signée la Convention-cadre sur les changements climatiques, qui depuis a été ratifiée par la plupart des pays de la planète. Dans son article 2, elle propose comme objectif de « stabiliser (…) les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Il conviendra d’atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s’adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d’une manière durable ».

Les pays concernés s'engageaient à ramener, en 2000, leurs émissions de gaz au niveau atteint en 1990. Comme il apparut très vite que les résultats à attendre resteraient insuffisants, le protocole de Kyoto fut adopté le 11 décembre 1997. L’engagement était une réduction d’ici 2012, d'au moins 5 % du niveau d'émissions de gaz par rapport à 1990.

En 2012, la COP 18 de Doha s’est conclue par la prolongation du protocole, avec l’objectif de réduire cette fois les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 18 % (toujours par rapport à 1990), entre 2013 et 2020.

À Paris le 12 décembre 2015, l'accord de la COP 21 reprend l’objectif principal, énoncé lors de la Conférence de Copenhague de… 2009 (ne l’oublions pas) : limiter à 2° C le réchauffement planétaire par rapport à 1850 (point de départ retenu pour l’ère préindustrielle), tout en demandant aux États d'intensifier leurs efforts pour limiter l'augmentation généralisée des températures à 1,5° C. Il prescrit notamment des règles pour « contrôler les efforts » entrepris.

En juin 2022, les pays de l’UE s’engagent davantage. L’accord est parfois présenté comme « le plus grand paquet législatif au sein de l’UE depuis la création du marché unique et de l’euro » : réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990, et atteindre « la neutralité carbone en 2050 ».

Et en même temps, les concentrations de GES ne cessent aussi d’être mesurées à la hausse

Depuis 1750, la concentration en CO2 (qui est loin d’être le seul gaz contributeur) augmente régulièrement dans l'atmosphère, passant de 280 parties par million en volume (ppmv)[1] en 1850 à 412 ppmv en 2020. Record absolu. Pour l’instant. Il faut remonter à l’ère du Pliocène, il y a environ 3 millions d’années, pour observer des concentrations similaires. L’augmentation ne cesse de s’accélérer à partir du milieu des années 1960. Entre 1970 et 1979, l’accroissement était de 1,3 ppmv par année, autour de 1,55 ppmv par année entre 1980 et 1999, et elle atteignait la valeur annuelle de 1,9 ppmv entre 2000 et 2006. Depuis lors, on a dépassé les 2 ppmv par an. La tendance est encore plus forte pour les autres GES (dont le méthane).

Une incidente s’impose : passer de 381 à 412 ppmv peut paraître bien insignifiant, quand on est dans l’échelle du millionième. On sait que les conséquences sont pourtant désastreuses. Cela doit nous conduire à beaucoup de prudence avec la fausse approche commune, selon laquelle c’est la « dose qui fait le poison ». Des teneurs qui peuvent paraître infimes peuvent générer des effets sans commune mesure avec les quantités en jeu.

Résultat : en 2017, les émissions mondiales de six gaz à effet de serre, couverts initialement par le protocole de Kyoto, ont doublé depuis 1970 et ont augmenté de plus de 40 % depuis 1990, pour atteindre 53,5 milliards de tonnes équivalent CO2[2]. Plus le temps passe, plus les efforts à faire deviennent gigantesques… ce qui fait qu’on les repousse en bonne part[3].

L’effet de serre était pourtant connu dès 1780, il y a deux siècles et demi…

Au regard de tous ces engagements et objectifs à répétition, de plus en plus ambitieux au fur et à mesure de l’augmentation toujours plus rapide et irrépressible des émissions de GES, un court rappel historique se révèle utile. L'analogie entre le vitrage d'une serre et l'enveloppe atmosphérique du globe avait déjà été mise en évidence dans les années 1780, à la suite de la démonstration expérimentale du savant genevois Horace-Benedict de Saussure[4]. Au siècle suivant, le physicien irlandais John Tyndall énonça que toute variation de la quantité de vapeur d'eau et de CO2, devait se traduire par un changement climatique. Il publia en 1861 une importante étude sur la théorie de l'effet de serre : « Un léger changement dans les constituants variables de l'atmosphère suffit pour que se modifie la quantité de chaleur retenue à la surface de la Terre enveloppée par la couverture d'air atmosphérique ».

Les bases scientifiques modernes de l'effet de serre reviennent aux travaux de Svante Arrhenius, à la fin du XIXe siècle. Dans son étude de 1896, le savant suédois, prix Nobel en 1903 et un des fondateurs de la chimie physique, lie définitivement l'effet de serre planétaire à l'utilisation industrielle des combustibles fossiles (charbon et hydrocarbures). Ce court rappel est une nouvelle illustration de notre précédente analyse : « Environnement : pourquoi dans un monde où tout change, rien ne change ? » (1/2 et 2/2)[5].

L’augmentation actuelle de la température dépasse déjà les 1,7° C

On entend dire que l’augmentation de la température est de 1,2° C et qu’il faut veiller à se « limiter » à une augmentation de 1,5° C. Il s’agit en fait d’une moyenne mondiale, qui comptabilise notamment la température des pôles qui est (pour l’instant) inférieure à ce chiffre. D’où la moyenne globale de 1,2° C à ce jour. C’est oublier que cette augmentation a déjà atteint cette dernière décennie 1,7° C pour les terres habitées (par les humains), notamment en Europe.

Le Moyen-Orient a vu croître sa température deux fois plus vite que la moyenne : la région a gagné près de 2 degrés Celsius depuis 1981. En 2018, c’est au tour de la France métropolitaine. Elle a vu sa température moyenne annuelle dépasser la normale (référence 1961-1990) de 2,1° C[6]. Phénomène encore plus grave : les pôles se réchauffent beaucoup plus vite que les modèles ne le prévoyaient. Alors que, jusqu’alors, la littérature scientifique considérait que l’Arctique se réchauffait environ deux fois plus vite que le reste de la planète, une récente étude norvégienne et finlandaise a mis en évidence que « l’Arctique s’est réchauffé près de quatre fois plus vite que le reste de la planète ». Et même sept fois plus vite que le reste du monde, pour le secteur eurasien de l’océan Arctique[7].

C’est dire que les 1,5° C au niveau mondial vont très vite être dépassés, avec une telle amplification thermique des pôles. Les évaluations pour les décennies à venir vont devoir, à nouveau, être largement revues à la hausse. De plus, les modèles ne prennent toujours pas en compte les émissions croissantes de méthane (avec un pouvoir radiatif 25 fois supérieur à celui du CO2) dues à la fonte du permafrost et au dégazage des océans. Les émissions de GES par la combustion de la biomasse énergie ne sont pas davantage comptabilisées (voir 2/2).

Selon les auteurs d’un nouveau rapport de l'Organisation météorologique mondiale, publié le 13 septembre 2022[8], « les impacts physiques et socio-économiques du changement climatique vont être dévastateurs ». Les engagements actuels des grands pays émetteurs ne permettront pas de tenir les 1,5° C de l’Accord de Paris. « La réduction des émissions pour 2030 doit être sept fois supérieure pour être conforme à l’objectif », précise le rapport. Au cours du XXIe siècle, le réchauffement climatique est estimé (de façon sans doute encore minorée) à 2,8° C. « La science du climat est claire : nous sommes dans la mauvaise direction », concluent les auteurs.

Alors qu’en sera-t-il à l’horizon 2030 ? Objectif qu’aucun décideur n’évoque plus vraiment, préférant s’en remettre à la neutralité carbone en… 2050.

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1 La partie par million (le ppm) est la fraction valant 10–6, c'est-à-dire un millionième. S’agissant de gaz, pour exprimer la fraction volumique on précise « partie par million en volume » (ppmv).

2 « Changement climatique et effet de serre », INSEE, 27/02/2020.

3 Mais c’est également vrai pour la préservation de la biodiversité, pour les dettes publiques, etc., tout en s’épanchant sur l’importance de tenir compte des générations futures.

4 NDLR : Historique de l'effet de serre, de Jacques Grinevald. En particulier, détails sur l’expérience d’Horace Benedict de Saussure. Lien vers l’article.

5 « Environnement : pourquoi dans un monde où tout change, rien ne change ? » (1/2 et 2/2) sur Actu-environnement : liens vers l’article 1/2 et l’article 2/2.

6 Idem. L’étude, datant de 2020, ne pouvait évidemment pas prendre en compte l’année 2022 qui a encore dépassé ce « record ».

7 Déclaration à l’AFP de Antti Lipponen, membre de l’Institut finlandais de météorologie et coauteur de l’étude, le 11 août 2022.

8 NDLR. Rapport United in Science de l’Organisation mondiale du climat, du 13 septembre 2022 : lien vers l’article le présentant Les climatologues sont formels : nous allons dans la mauvaise direction, lien vers le rapport.

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