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AccueilNoëmie Martin-PascualL’emploi, moteur de la transformation bas carbone

L’emploi, moteur de la transformation bas carbone

Dans son dernier rapport, le Shift Project propose une modélisation chiffrée des transformations de l’emploi face au défi du bas-carbone. Noëmie Martin-Pascual nous en présente les grandes lignes et s’interroge sur la mise en place de ces mutations.

Publié le 20/10/2021

Une des difficultés lorsqu’on se penche sur les enjeux d’emploi dans le contexte de transition, c’est qu’il n’y a pas de consensus sur les objectifs à atteindre. Tout le monde s’accorde à dire que, de gré ou de force, les choses finiront par changer, mais dans quelle direction ? Pour quelle vision du monde d’après ? 

En 2020, The Shift Project[1], think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone, a lancé ses travaux autour du Plan de transformation de l’économie française (PTEF), dans l’intention de proposer un programme systémique pour décarboner l’économie de façon coordonnée et cohérente. 

En complément d’une dizaine de rapports sectoriels, The Shift Project a publié début septembre un rapport « Emploi », intitulé« L’emploi : moteur de la transformation bas-carbone »[2], conduit dès 2020 par Yannick Saleman avec l’aide de Vinciane Martin et coordonné par Zeynep N. Kahraman-Clause, avec pour ambition de brosser le tableau des axes de transformation clés en termes d’emploi qu’impliquerait la décarbonation des différents secteurs couverts par le PTEF.

Bien qu’il ne couvre pas l’ensemble des secteurs de l’économie, ce travail propose de façon inédite un scénario emploi vers lequel tendre, chiffrages à l’appui.

Les 3 principaux enseignements du rapport Emploi

1. La transformation bas carbone pourrait résulter, si les propositions du PTEF sont mises en application, en une création nette de 276 000 emplois d’ici 2050.

2. Ce chiffre cache des mouvements de main d’œuvre de bien plus grande ampleur, puisqu’il résulte d’une destruction potentielle de 800 000 emplois et d’une création de 1,1 millions d’emplois. Dans ce scénario, l’agriculture est la plus créatrice d’emplois avec une évolution nette de plus de 421 000 emplois et 541 000 emplois créés. L’industrie automobile serait la plus touchée négativement (- 300 000 emplois). Le vélo a la plus forte augmentation relative avec une multiplication par 20 dans l’industrie et par 12 dans les services en aval.

3. Il est urgent d’anticiper ces transformations, afin d’être en mesure d’accompagner aussi bien les pertes d’emploi que les besoins émergents.

L’intitulé du rapport en lui-même, « L’emploi, moteur de la transformation bas carbone », met ainsi en exergue le levier puissant que représente l’emploi dans la transformation de l’économie, à condition que celle-ci soit planifiée.

Le périmètre du rapport Emploi

Onze secteurs et sous-secteurs sont couverts par le PTEF :

  • agriculture et agro-alimentaire (production agricole, fournitures d’intrants et de services, transformation des produits - industries agro-alimentaires et artisanat commercial, commerce de gros et négoce de produits alimentaires),
  • forêt et bois,
  • ciment et béton,
  • industrie automobile,
  • industrie du vélo,
  • fret,
  • mobilité longue distance,
  • logement,
  • administration publique,
  • santé,
  • culture.

Certains secteurs, importants en termes d’emploi, ne sont ainsi pas pris en compte, comme le tertiaire marchand, notamment le tourisme, le commerce et la distribution, la restauration, les services aux entreprises, la filière aéronautique, le textile, le bâtiment tertiaire…

Au total, les onze secteurs étudiés couvrent 11,4 millions d’emplois, soit environ 45 % de la population en emploi.  

Parmi ces 11,4 millions, 4 millions seraient affectés par une décarbonation de l’économie. effet, l’emploi resterait stable dans les secteurs de l’administration publique, de la santé et de la culture, comptabilisant 7,4 millions d’emplois.

Ce sont les transformations de ces 4 millions sur huit secteurs qui ont été chiffrés en détails dans le rapport « Emploi » (cf. graphique 1 ci-dessous : évolution nette des emplois dans les onze secteurs étudiés).

Pour chaque secteur étudié, le rapport s’attache à :

  • Estimer de façon quantitative l’évolution de la demande en emplois directs et indirects pour rester sous la barre des + 2° C.
  • Déterminer de potentiels leviers pour faciliter et rendre possible cette transformation.
  • Identifier les politiques économiques territoriales et nationales nécessaires au pilotage de cette transformation et les responsabilités des différents acteurs.
  • Assurer une cohérence globale entre les secteurs.

Transformations de l’emploi par secteurs du PTEF

Voici dans les grandes lignes les transformations de l’emploi qu’impliquerait la décarbonation des secteurs du PTEF (secteurs stables mis à part), (cf. graphique 2 ci-dessous : évolution nette des emplois par secteur) :

  • L’agriculture serait la plus créatrice d’emplois avec une évolution nette de + 421 000 emplois et 541 000 emplois créés.
  • L’industrie automobile serait la plus touchée négativement (- 300 000 emplois).
  • Le vélo aurait la plus forte augmentation relative (+ 232 000 emplois) avec une multiplication par 20 dans l’industrie et par 12 dans les services en aval de vente / entretien / réparation, la pratique du vélo (dont ceux à assistance électrique ou VAE) étant une stratégie phare pour décarboner la mobilité quotidienne.
  • Dans le logement, l’évolution nette de – 86 000 emplois résulte de mouvements importants de contraction du gros œuvre dans le neuf vers le second œuvre dédié à la rénovation énergétique sur des postes plus qualifiés.
  • Les évolutions dans les secteurs béton et bois sont corrélées, puisque la substitution du béton vers le bois accentue la baisse du secteur béton (- 17 000 emplois en incluant le ciment) et l’augmentation dans le secteur bois (+ 30 000 emplois selon une évaluation préliminaire).
  • Concernant la mobilité longue distance (– 1 000 emplois), là encore, les faibles évolutions nettes cachent de forts mouvements intra-sectoriels. Le report modal proposé dans le PTEF prévoit un triplement des distances parcourues en train.
  • Dans le fret, l’évolution est relativement stable en net avec – 4 000 ETP, qui traduit un enjeu fort de reconversion des chauffeurs routiers et un besoin pour la livraison urbaine à vélo.

Anticiper les transformations de l’emploi

A la lecture de ces chiffrages, on comprend bien que ces transformations ne pourront se faire de façon sereine et fluide sans :

  • Un accompagnement des individus dans leur reconversion.
  • La mise en place de stratégies pertinentes pour résoudre les problématiques d’attractivité et de désirabilité, notamment sur des secteurs déjà en tension comme l’agriculture, la construction, l’automobile…
  • Une adaptation de l’offre de formations initiales et continues et une facilitation de l’accès à celles-ci. Dans chaque secteur, les transformations entraînent de nouveaux besoins en compétences, en termes de métiers mais aussi sur les enjeux énergie-climat et sur l’évaluation, le pilotage et le contrôle carbone.
  • Un pilotage intersectoriel coordonné entre échelons territoriaux et nationaux.
  • Un soutien de la puissance publique sur l’ensemble de ces sujets et une coordination interministérielle sur ces sujets, à la jonction entre les ministères en charge de la transition, du travail, de l’économie et de l’éducation nationale.

Sur ces enjeux, de nombreuses expérimentations sont d’ores et déjà menées localement, par les collectivités, par une ou plusieurs entreprises ou acteurs de l’emploi, par des collectifs… 

Il s’agit à présent d’explorer ces initiatives, d’en tirer des enseignements et d’essaimer ce qui a réussi. 

Accompagner la transformation de l’emploi : les leviers

1. Adapter la formation

Dans chaque secteur, et à tous les niveaux, il est impératif de développer les connaissances et les compétences indispensables à la décarbonation, et cela passe par une adaptation de l’offre de formation tant en termes de volume que de contenu.

Celle-ci doit pouvoir permettre une évolution des pratiques (par exemple : rénovation des bâtiments, agro-écologie, etc) et le développement de compétences nouvelles (par exemple : électrification de l’industrie automobile ou des soudeurs vélo).

Chaque secteur doit intégrer les enjeux énergie-climat au cœur de sa gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), ce qui implique d’identifier les compétences à développer. Pourtant, peu d’entreprises ou de branches le font si elles n’y sont pas forcées par la réglementation comme dans le bâtiment ou l’énergie, ou si l’organisation de branches ne les y incite pas fortement. 

Enfin, il est impératif de soutenir la demande de formation de la part des entreprises et des particuliers, notamment au niveau des TPE et des PME. Celles-ci n’ont bien souvent ni moyens financiers ni temps et pas non plus de nécessité économique pour faire suivre des formations non obligatoires, d’autant que certaines ont été particulièrement fragilisées par la crise sanitaire Covid 19.

Dans le bâtiment, les grands donneurs d’ordre locaux pourraient par exemple ajouter des clauses d’obligation de formation aux chantiers pour faire monter en compétences les artisans.

2. Accompagner les individus dans leur reconversion

L’amplitude des mouvements attendus appellent à un accompagnement massif aux reconversions, pour aider les personnes touchées par la destruction des 800 000 emplois, et pourvoir plus facilement les 1,1 millions d’emplois créés.

Lorsqu’on parle de reconversion, il peut s’agir de changer de métier, de changer de filière, ou les deux.

Il s’agit de fluidifier le transfert de compétences et de faire en sorte que ce dernier se fasse de façon la plus cohérente, juste et sereine possible tant d’un point de vue technique que social : respecter les besoins et contraintes salariales, géographiques, familiales des individus accompagnés, prendre en compte leurs envies et leurs aspirations au-delà des compétences et de l’expérience, minimiser les changements d’environnement non voulu et faciliter l’adaptation à de nouvelles cultures, de nouvelles pratiques…

Cet accompagnement doit être couplé à un travail de prospective, pour anticiper les besoins de manière transversale, et planifier les reconversions dans la durée et dans tous les secteurs. 

Cela facilitera aussi les mouvements entre inter-filières et inter-territoires. 

Les pouvoirs publics ont un rôle clé à jouer pour planifier, coordonner les mouvements, accompagner les personnes, définir des politiques de soutien à l’emploi adaptées, donner de la visibilité aux acteurs et bien entendu faire évoluer les formations. 

Les organisations de filières et de branches ont elles aussi un rôle important à jouer. 

3. Renforcer l’attractivité des secteurs en croissance

L’agriculture, le bâtiment, l’industrie ferroviaire…autant de secteurs appelés à croître et qui peinent déjà à recruter et souffrent d’un manque d’attractivité et de désirabilité

En cause, des rémunérations basses, des métiers pénibles et peu valorisés socialement. 

Renforcer l’attractivité de ces secteurs et revaloriser ces métiers constitue un défi majeur pour réussir les transformations.

Parmi les stratégies possibles : 

  • Améliorer les conditions de travail, la rémunération et la qualité de vie au travail.
  • Travailler sur l’image de ces métiers et leur reconnaissance sociale. Mener des actions de communication pour chasser les idées reçues, permettre de mieux comprendre la réalité de ces métiers via des témoignages par exemple.
  • Mettre en avant l’utilité des métiers, leur rôle dans la décarbonation.
  • Impliquer l’Éducation Nationale pour mener des actions auprès des jeunes.
  • Les stratégies seront à adapter aux particularités des secteurs.

4. Coordonner le pilotage économique 

Le rôle des territoires est essentiel pour réussir la transformation de l’emploi dans la transition :

  • Identifier les expérimentations locales réussies.
  • Soutenir les TPE-PME.
  • Créer des synergies entre les entreprises, voire entre les secteurs pour faciliter les transferts.
  • Renforcer les liens entre prospectives nationales et territoriales, pour établir des planifications suffisamment ambitieuses en termes de décarbonation et anticiper l’impact sur l’emploi.

Le niveau d’organisation le plus pertinent est celui de coopération entre collectivités, centres de recherche, entreprises, surtout TPE et PME, syndicats et actifs ou chercheurs d’emploi.

De nombreuses expériences ont été et sont en train d’être menées au niveau des territoires.

C’est le cas dans le Cambrésis, par exemple, ou sur la dynamique Rev3, concernant la troisième révolution industrielle en Hauts de France[3].

Un cadre national fort est également nécessaire pour un développement à grande échelle, afin de fixer un cap commun, avec des directives claires, notamment en termes de politiques industrielles.

Exemple de leviers :

  • Redirection d’appuis (subventions, appels d’offres…) vers les PME.
  • Relocalisation des chaînes d’approvisionnement.
  • Développement de volumes de formation.
  • Promotion et soutien à des modèles industriels durables à forte VA locale et intensité en emploi.

Le dialogue et l’action intersectoriels doivent être encouragés à tous les niveaux, de manière coordonnée avec les territoires.

Conclusion

Ce rapport est le premier rendu public qui propose de façon approfondie, cohérente et objectivable des stratégies pour mener la décarbonation de l’économie et ce qu’elles impliquent en termes d’emploi.

Surtout, il met en lumière les défis majeurs pour réussir les transformations souhaitables de l’emploi en limitant les chocs autant que possible. 

Pour ouvrir la réflexion, voici une sélection de questions en suspens

  • Comment mener ces transformations de la façon la plus socialement juste possible ?
  • Quel rythme pour ces transitions ?
  • Comment accompagner la baisse de l’activité de divers secteurs et pas uniquement leur disparition ? Certains secteurs amenés à décliner continuent à avoir besoin de main d’œuvre et deviennent de moins en moins attractifs du fait des perspectives à moyen / long terme ?
  • Comment sortir de la logique adéquationniste adoptée aujourd’hui pour penser l’emploi, inadaptée pour penser les transitions ? Par exemple, en partant des compétences sur un territoire pour imaginer des solutions pertinentes plutôt que l’inverse.
  • Quelle implication de l’Etat ? Quelle échelle d’action ?
  • Comment faire face à l’énorme enjeu de mobilité géographique dans les reconversions ?
  • Plus globalement, comment concilier enjeux collectifs et parcours individuels ?

Vous l’aurez compris, la question de l’emploi est extrêmement complexe. L’emploi est le pivot de la réussite et de l’échec des transformations

L’ampleur des mouvements à venir appelle notamment à une réflexion approfondie sur l’accompagnement des personnes dans cette transition : c’est sur cette problématique que nous nous penchons depuis plusieurs mois avec une équipe de Shifters, en lien direct avec le rapport de The Shift Project.

Publication issue du site du Ways To Shift.

_________________________________________

[1] The Shift Project : https://theshiftproject.org/crises-climat%e2%80%89-plan-de-transformation-de-leconomie-francaise/

[2] Rapport emploi de The Shift Project : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/09/TSP-PTEF-Emploi-moteur-transformation-bas-carbone-RI-septembre-2021-VF.pdf

[3] NDLR : le projet Rev3 : https://rev3.fr/

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2 Commentaires

Pemmore

Le 21/10/2021 à 17h16

Visiblement par rapport à avant changer de métier signifiera tomber dans des salaires non respectueux des connaissances acquises.
Ca sera très difficile d'intégrer ces données dans les têtes des patrons et drh.

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Naphtes

Le 21/10/2021 à 17h28

Madame,
vous parlez d'interactivité, de transversalisation ..
il faut surtout savoir accueillir les nouveaux entrants dans un métier, ce qu'en France on ne sait pas faire, leur donner confiance, montrer qu'ils existent, les nouveaux arrivants sont fragiles. Il y a le diktat de ceux qui sont en place, qui ont peur de perdre et ceux qui arrivent, qui ont peur de ne pas gagner. Commençons par la base : savoir accueillir

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