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Grandeur et misère de la mobilité dans les campagnes

Territoires ruraux : le casse-tête de la mobilité propre Actu-Environnement.com - Publié le 14/11/2016

La mobilité rurale est la quadrature du cercle des pouvoirs publics. Dans les territoires peu denses, l'automobile triomphe, sans pour autant répondre aux risques de relégation des plus modestes. Tour d'horizon des enjeux.

Territoires ruraux : le casse-tête de...  |    |  Chapitre 1 / 6
Environnement & Technique N°363 Ce dossier a été publié dans la revue Environnement & Technique n°363
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Les territoires ruraux accueillent plus d'un Français sur trois, soit plus de 22 millions de personnes. Pour désigner cette France périphérique suburbaine et rurale, les géographes utilisent le concept de territoires peu denses. Car l'opposition rural-urbain ne prévaut plus. Prépondérance des territoires non bâtis, occupés par des cultures, la forêt, des espaces naturels, lotissements et tissus urbains composés de maisons individuelles : les territoires ruraux et périurbains ont en commun un ensemble de caractéristiques marquées par une gouvernance territoriale fragmentée, peu constituée autour des bassins de vie. Eloignement des services, faible desserte en transports collectifs conduisent à une forte dépendance à l'automobile.

La chercheuse Marie Huyghe souligne que la démocratisation de la voiture a aussi "ouvert le champ des possibles, et permis un éparpillement des lieux fréquentés", associant les avantages de la fréquentation d'une ville moyenne, voire de la capitale, avec ceux de la campagne. La mobilité est associée à la liberté. Pour Jean-Pierre Orfeuil, professeur émérite à l'Ecole d'urbanisme de Paris (université Paris-Est), la mobilité correspond à "la capacité qu'ont les individus de construire la vie qu'ils souhaitent vivre".

Le fait est qu'aujourd'hui il n'existe pas d'alternative réelle à l'usage d'un véhicule individuel en milieu rural, malgré la batterie de solutions proposées, souligne une note très documentée du think tank La Fabrique écologique. Paradoxalement, les solutions de transports proposées sont surtout adaptées aux grandes agglomérations. Projetées dans les campagnes, elles ne sont pas forcément opérationnelles.

C'est le cas de la voiture partagée, du vélo et du micro-transport organisé à la demande. Ces offres doivent permettre de développer la multimodalité dans les territoires moins denses, c'est-à-dire la possibilité de choisir entre plusieurs moyens de transport pour un trajet donné. Or, elles existent de manière variable selon les territoires. Plus ceux-ci sont urbanisés, plus ils proposent des alternatives : seuls 18% des habitants des communes rurales les utilisent, 26 à 28% dans les agglomérations de 2.000 à 100.000 habitants, contre 45% dans les agglomérations de plus de 100.000 habitants et 54% dans l'agglomération parisienne, selon l'Observatoire des mobilités émergentes. Au final, plus de 12 milliards d'euros d'investissements ont été consacrés à la route en 2014, alors que pour le vélo, les montants s'expriment plutôt en millions.

L'accès aux services : une question vitale

La question de l'accessibilité aux services de la vie quotidienne est prépondérante dans les espaces peu denses. On la mesure généralement par la distance et le temps d'accès à des services considérés comme essentiels dans la vie courante : commerces, services de soins de première nécessité, établissements d'enseignement, ou encore services pour les personnes âgées ou les jeunes enfants. Entre les communes les plus denses et les moins denses, les temps d'accès à ces services vont du simple au triple. 192 zones "potentiellement en danger" d'un point de vue de l'accès aux soins, du fait d'un faible renouvellement des praticiens, ont ainsi été récemment mises en évidence par le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom). Ces zones, majoritairement périurbaines et rurales, dans lesquels vivent près de 2,5 millions de personnes, sont particulièrement nombreuses en régions Centre, Poitou-Charentes et Haute-Normandie, rapporte La Fabrique écologique.

L'emploi est, de la même manière, inégalement concentré sur le territoire. En 2008, les ménages résidant en commune rurale parcouraient une distance domicile-travail médiane de 50 km quotidiens, soit deux fois plus que dans les grandes unités urbaines (excepté Paris). Bien qu'elles aient tendance à se stabiliser aujourd'hui, les distances à parcourir pour se rendre au travail ont, entre 1994 et 2008, continué de s'allonger dans les zones peu denses. Hors des grandes agglomérations, les déplacements ont augmenté en moyenne de 12% en durée et de 25% en distance à vol d'oiseau.

Un risque de relégation

La vie en milieu peu dense peut ainsi mener à des restrictions de mobilité d'autant plus pénalisantes dans l'accès à l'emploi que l'offre de transport et de mobilité est faible. Le taux de chômage est ainsi en moyenne cinq fois plus élevé parmi les ménages modestes vivant hors des villes et n'ayant pas accès à la voiture. De manière logique, les ménages sans voiture limitent leur aire de recherche d'emploi. En milieu rural, par rapport aux ménages équipés d'au moins une voiture, ils vont travailler à des distances inférieures de 40%.

Plus de 40% des ménages identifiés comme vulnérables énergétiques du fait de leur dépendance à la mobilité vivent aujourd'hui dans des espaces ruraux. Ils risquent de ne pas pouvoir faire face à une augmentation du prix des carburants. Une personne en insertion sur deux n'a pas le permis de conduire, deux-tiers n'ont pas de véhicule. Ces personnes recourent beaucoup à la marche, et quand elles le peuvent, aux transports en commun. 28% ne disposent d'aucun moyen pour se déplacer. Ce sont les "assignés territoriaux, scotchés à leur territoire", commente la chercheuse Marie Huyghe.

Avec l'âge et la perte progressive d'autonomie, les capacités de mobilité des seniors se restreignent et peuvent mener à l'isolement. "Comme pour tout déplacement, aller faire ses courses suppose d'être relativement autonome et de disposer de certaines aptitudes physiques et cognitives. Cela suppose aussi d'avoir les moyens matériels et financiers de se déplacer, notamment en voiture. Or, le vieillissement induit l'apparition progressive de gênes diverses, qui peuvent impacter ces aptitudes. Conséquence : près d'un tiers des 75 ans et plus vivant en milieu rural sont victimes d'une immobilité chronique", souligne le cabinet Auxilia, qui propose aussi des pistes de solutions autour du concept de "mobilité inversée" : "Nous suggérons que les services à la personne évoluent, et que, demain, un ou une même professionnel(le) puisse proposer à la fois un portage de repas, une aide aux soins du corps, mais aussi un accompagnement à l'extérieur du domicile, pour aller faire quelques courses, ou encore un accompagnement à l'utilisation de certains outils numériques".

Dans les campagnes, la voiture revient moins cher... sans les coûts cachés

Au kilomètre, hors agglomération parisienne, il n'est pas moins coûteux de déplacer un voyageur en transports en commun qu'en voiture (train, bus urbains et cars interurbains confondus). Dans les transports urbains de province, la dépense publique globale pour déplacer un voyageur sur un kilomètre est de 0,72 €, contre 0,23 € en Ile-de-France, une différence s'expliquant facilement par la densité particulièrement élevée et la fréquentation des réseaux franciliens, selon une étude de Jean-Pierre Orfeuil sur le vrai coût du transport public. Chiffres à rapporter au coût au kilomètre d'une voiture, situés dans une fourchette de 0,25 à 0,70 €, à usage constant, selon les critères d'analyse retenus.

De là à considérer que la voiture ne coûte pas plus cher que les transports en commun, et qu'au mieux elle revient moins cher, en dehors de l'Ile-de-France, il n'y a qu'un pas... En France, le coût complet d'une voiture – achetée d'occasion et utilisée pour les déplacements de la vie quotidienne – est estimé à 2.500 euros par an, dont la moitié en achat de carburant, soit 20% du revenu des ménages les plus pauvres, et 15% du budget des ménages de classe moyenne. C'est sans compter les nombreuses externalités induites par le transport automobile, en particulier environnementales et sanitaires. En France, les transports sont le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre avec 28% des émissions territoriales. Les déplacements quotidiens dans les territoires peu denses représentent 53% des émissions des véhicules particuliers.

Reste que c'est un "mix" de solutions qui se profile, car, dans les campagnes, les seuls transports en commun ne sont pas compétitifs, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes de 2015 qui préconise la restructuration des réseaux facilitant l'usage des vélos et des véhicules en partage.

Il s'agira surtout de revoir en profondeur les modes d'organisation des systèmes de production et d'accès aux activités (habitat, travail, santé, commerce, formation, loisirs…) afin de limiter sensiblement les distances à parcourir pour relocaliser autant que possible les activités de la vie quotidienne. A terme, c'est la raréfaction des énergies fossiles qui deviendra l'enjeu crucial. Que deviendra la mobilité quand elle sera beaucoup plus contrainte ? Un défi à relever dès aujourd'hui.

Agnès Sinaï

© Tous droits réservés Actu-Environnement
Reproduction interdite sauf accord de l'Éditeur.

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