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Réussir la transition écologique par l’approche paysagère

Aujourd’hui au croisement entre rêves et rejets, la transition énergétique est à la peine. Pour y remédier, la Fabrique écologique propose une méthode plus efficiente basée sur l’intégration du paysage, comme nouveau point pivot des politiques publiques.

Publié le 07/12/2023

Une note publiée en octobre par La Fabrique écologique tombe à point nommé, au moment des débats sur la territorialisation de la planification écologique et des définitions des zones d’accélération des énergies renouvelables par les collectivités locales. Elle propose de considérer le paysage comme le prisme essentiel par lequel penser et mettre en œuvre la transition écologique des territoires, en dépassant sa réduction à un support passif d’aménagement techniciste, de contemplation nostalgique ou de décoration alibi, pour en faire une méthode.

La note explique la démarche paysagère et expose ses atouts. Elle montre comment cette méthode peut permettre à la fois de relever les défis contemporains de la transition et d’alimenter efficacement la démocratie à tous niveaux. Elle conclut en faisant trois propositions principales pour la promouvoir et la mettre en œuvre.

Le traitement « en silos » de la transition écologique aboutit à des impasses

Après plus d’un siècle d’utilisation massive d’énergies fossiles, le paysage, à la ville comme à la campagne, se présente comme une accumulation chaotique de diverses structures (transport, urbanisations, remembrement et équipements agricoles, forêts de production intensive…), de multiples objets (centres commerciaux, pylônes, châteaux d’eau, parkings…) et de divers usages, exploitations ou modes d’occupation, stratifiés sans cohérence.

Rien d’étonnant à ce que l’intrusion récente de nouveaux équipements, même présentés comme à « finalité environnementale positive » (méthaniseurs, éoliennes, panneaux solaires…), produise des réactions de rejet, accueillis comme une « dénaturation » du paysage des uns (à la campagne) au profit de la décarbonation de l’énergie des autres (en ville).

Les transformations spatiales induites par la transition écologique et le changement climatique, y compris l’érosion côtière, les inondations ou le dépérissement des forêts, sont toujours traitées « en silo » par les pouvoirs publics, provoquant des réactions ou « récupérations » (nostalgiques voire identitaires) simplistes.

Les autorités publiques n’ont pas encore pris la pleine mesure du paysage, de ses enjeux et de sa force potentielle, ce qui génère une forme de paralysie de l’action publique devant le mur grandissant de la transition écologique. Cette incapacité met en danger notre démocratie, ballotée entre l’inaction populiste d’un côté et l’action autoritaire et technocratique de l’autre.

Intégratrice et démocratique, la méthode paysagère peut accélérer la transition

En tant que « partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations », définition internationale issue de longs débats entre pays du Conseil de l’Europe, on comprend bien que le paysage est doublement relationnel : tissé par les relations écologiques qui font « le territoire » (entre géologie, climat, relief, eau, sol, animaux, végétaux et occupations de toutes natures, dans une mise en perspective historique), mais aussi par les relations sociologiques, qui font la perception des populations vivant dans ce territoire (affects, usages et représentations).

C’est cette double dimension qui fait de la méthode paysagère un outil efficace pour accélérer et non retarder la transition écologique :

  • Dimension intégratrice, à la fois des problématiques, du temps et de l’espace : l’approche paysagère permet de réunir des éléments qui, sur des plans différents, interagissent sans pouvoir être hiérarchisés sur une seule et même échelle.
  • Dimension démocratique : parce qu’elle fait appel à des représentations et au sensible présent intimement chez chacun d’entre nous, sans prérequis de connaissance experte, et autour desquelles il est possible de débattre, la démarche de paysage est fondamentalement un outil démocratique.

La note de la Fabrique Écologique décrit pour chacun des défis de la transition écologique des exemples de mobilisation de l’approche paysagère au service :

  • de la préservation des sols agricoles et naturels, désormais symbolisée par le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) porté par la loi Climat et résilience du 22 août 2021 ;
  • de l’adaptation au changement climatique : recul du trait de côte, prise en compte du risque d’inondations fluviales, évolution de la gestion forestière, des territoires de montagne, défis posés à l’aménagement des villes ;
  • de la lutte contre l’érosion de la biodiversité, ayant fait l’objet d’une loi (2016) récente et d’une nouvelle stratégie nationale (2022-2030) ;
  • de la nécessaire mutation des pratiques agricoles pour tenir compte des enjeux écologiques, climatiques et sanitaires, en particulier à travers la transition agro-écologique (loi d’orientation agricole de 2014) ;
  • enfin, du déploiement territorial des énergies renouvelables (EnR), dont l’urgence a conduit récemment à la loi d’accélération du déploiement des énergies renouvelables (10 mars 2023).

Il ne s’agit pas de promouvoir une politique supplémentaire, dont on regretterait le délaissement au profit d’autres thématiques, notamment les politiques du climat, de l’eau, des risques, ou de la biodiversité… Il faut plutôt viser l’intégration d’une dimension paysagère dans les politiques publiques de transition écologique, autrement dit le réexamen de ces politiques par le paysage.

D’une transition acceptée à une transition désirée

Dans chacun des domaines énumérés ci-dessus, la note démontre que l’approche paysagère de l’aménagement peut accélérer la transition écologique en la rendant plus cohérente dans sa traduction spatiale et dans sa continuité temporelle. Elle peut tout particulièrement en faire, par sa dimension démocratique, un processus mobilisateur donc désirable.

Ainsi par exemple, en matière d’énergies renouvelables, l’orientation d’origine a été de confier au marché, via de nombreux opérateurs industriels, le choix de la prospection foncière puis de l’adoption des sites, en fonction des opportunités rencontrées. Dans un tel contexte, il est logique que la prise en compte du paysage, de la biodiversité ou d’autres enjeux relèvent pour tout porteur de projet de « freins à lever ». De nombreux projets sont ainsi des dispositifs standardisés installés sans recherche d’ancrage local.

A contrario, la quarantaine de projets en cours de « Territoires à énergie positive » (TEPOS) ainsi que les dix-huit « plans de paysage-transition énergétique » mis en œuvre par l’Ademe depuis quatre ans sont des exemples de démarches intégrant ce déploiement des EnR dans le cadre d’une stratégie territoriale, mobilisant le paysage, abordant la singularité de chaque territoire et mettant en œuvre de façon cohérente différents leviers de la transition, en commençant par la sobriété énergétique.

Mais comment passer de quelques exemples réussis à la généralisation souhaitable de cette approche ?

Une question de formation, d’outils et de moyens

Trois dispositions principales sont à prendre pour mettre la méthode paysage au cœur de la transition écologique :

1/ Former massivement les décideurs locaux et les professionnels publics et privés de l’aménagement à la transition écologique par le paysage

Le nécessaire renforcement des compétences passe d’abord par la formation des élus locaux. Ce sont eux, en effet, qui sont en première ligne dès lors qu’il convient de décliner territorialement des politiques nationales sectorielles (et dissociées) de transition écologique.

Le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (MTECT) a lancé en 2023 une action en ce sens, dans le cadre d’une convention nationale conclue entre l’État, l’association des maires de France (AMF), et la Fédération nationale des Conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement (CAUE).

Mais cette sensibilisation aura des effets limités et/ou passagers, si elle n’est pas accompagnée d’une capacité des services techniques des collectivités, des opérateurs et des structures d’ingénierie territoriale à mettre en œuvre la politique ainsi impulsée par l’autorité politique locale.

Il faut donc que notre pays prévoie un doublement des effectifs de paysagistes-concepteurs, « profession de référence » en matière de paysage.

Il est tout aussi stratégique de prévoir des formations « interfaces » pour les autres professions, qui touchent à l’ingénierie de l’aménagement : ingénieurs, architectes, urbanistes, écologues, énergéticiens, agronomes, forestiers, sociologues, économistes… ; il s’agit de savoir maîtriser ses fondamentaux de l’approche paysagère notamment les modes de concertation ou de médiation, les représentations graphiques en 3D, les arpentages et lectures de territoire, etc.

2/ Généraliser les démarches de transition écologique et de médiation par le paysage

La note préconise une refondation de la politique des plans de paysage, démarches volontaires qui se sont développée « à bas bruit » depuis une trentaine d’années :

  • Faire suivre le plan d’une « stratégie de paysage », énonçant les objectifs de qualité paysagère du territoire délibérées en commun avec la population lors de la phase d’études : il s’agirait d’un engagement du porteur de la démarche à prendre en compte et décliner ces objectifs, à la fois dans les projets et actions à mener et dans les documents d’urbanisme ou de planification.
  • Doter les plans de paysage de moyens financiers de mise en œuvre des actions qu’ils portent, rendant ainsi lisible et tangible leur intérêt auprès de la population. Mis en place au cours de l'été 2022, le Fonds Vert, programme budgétaire d'accélération de la transition écologique pourrait être mobilisé pour le financement de ces programmes dès lors que la « stratégie de paysage » aurait été validée.
  • Mettre en place une labellisation d’État à renouvellement périodique, à l’image de ce qui existe pour les Parcs naturels régionaux ou pour les Grands Sites de France. La reconduction du label supposerait l’actualisation glissante de la stratégie, du plan d’action et des modalités de l’animation.

3/ Instaurer des instruments financiers pour faciliter et accélérer la transition écologique par le paysage

La transition écologique par le paysage nécessite des moyens financiers, à la fois pour massifier les formations au paysage et par le paysage et pour multiplier les démarches de terrain. Plusieurs pistes sont ouvertes au-delà de la mobilisation du Fonds Vert déjà mentionnée.

Par exemple, il s’agirait d’affecter à la politique de transition écologique par le paysage des sommes significatives, assises sur toutes les activités engendrant une transformation du paysage. Une partie à définir de la taxe d’aménagement, prélèvement fiscal perçu dès qu’une construction est édifiée ou un équipement mis en place, servirait de ressource.

À ces conditions, « la démarche paysagère pourra être un puissant catalyseur de la transition écologique dans la cohésion sociétale et la respiration démocratique ».

 

Jean-Pierre Thibault et Bertrand Folléa,
Membres du groupe de travail La Fabrique écologique

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1 Commentaire

DAOUD

Le 10/12/2023 à 15h49

Bonsoir! vous félicite pour votre article
vous encourage pour recherches dans ce domaine.
suis disposé à y contribuer dans les possibilités de mes moyens. A+

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