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AccueilChristian de PerthuisRéduction des GES et prochaine stratégie bas carbone : problématiques et objectifs choisis

Réduction des GES et prochaine stratégie bas carbone : problématiques et objectifs choisis

Suite à son analyse du rapport Pisani-Ferry/Mahfouz, Christian de Perthuis examine en parallèle la nouvelle feuille de route présentée par la Première ministre, sous l’angle de la méthodologie retenue et de la gestion des puits de carbone.

Publié le 21/06/2023

Merci à tous ceux qui ont réagi à la note de lecture du rapport Pisani-Ferry/Mahfouz publiée la semaine dernière. Pour répondre à vos questions, voici quelques éléments complémentaires concernant trois domaines : la préparation de la prochaine « Stratégie nationale bas carbone » (SNBC), la méthode retenue de désagrégation sectorielle, le rôle spécifique de l’agriculture et des changements d’usage des terres.

Quels objectifs de réduction d’émission pour la prochaine SNBC ?

L’engagement européen qui nous oblige depuis décembre 2020 est une réduction des émissions de 55 % de l’ensemble des gaz à effet de serre, transports internationaux inclus, entre 1990 et 2030. Cet engagement concerne les émissions nettes des absorptions de CO2 par les changements d’usage des terres, telles que mesurées par les inventaires nationaux. Il doit être atteint sans utilisation de crédits carbone internationaux.

Jusqu’à présent, l’attention a principalement porté sur les émissions brutes de gaz à effet de serre, hors transports internationaux (conformément au périmètre retenu dans le cadre Onusien). C’est en se référant au volume de ces émissions brutes en 2015-2018 que le Conseil d’État et le Tribunal administratif de Paris ont condamné le gouvernement pour non atteinte du premier budget carbone de la SNBC.

Ces chiffres d’émissions brutes sont repris et décomposés par secteurs, tant dans le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz que dans le document présenté le même jour par la Première ministre. Ils vont constituer l’ossature de la prochaine SNBC. Trois constats peuvent être faits :

- Globalement le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz table sur des émissions de 265 Mt de CO2eq en 2030 alors que la Première ministre vise 270 Mt. Dans le premier cas, il s’agit d’une baisse de 49 % relativement à 1990 et dans le second de seulement 48 %. Ces baisses n’atteignent donc pas 55 %. Pour juger de leur compatibilité avec l’objectif européen, il faut tenir compte de la répartition sectorielle des investissements bruts et de la quantité de CO2 pouvant être absorbée par le puits de carbone national.

- La répartition sectorielle des émissions cibles est reproduite ci-dessous. Les émissions du secteur de l’énergie et de l’industrie sont majoritairement couvertes par le système européen d’échange de quotas. Leur régulation s’effectue directement au niveau européen et il n’y a pas d’obligation nationale au titre de l’objectif de -55 %. Les secteurs non couverts par le système européen des quotas, principalement le transport, les bâtiments, l’agriculture et les déchets sont soumis à un objectif de réduction d’émission de -47,5 % en 2030 (relativement à 2005) par la régulation européenne dite du « partage de l’effort ».

- Dans le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz, la baisse des émissions est nettement plus accentuée dans le transport que dans la présentation de la Première ministre. Sous réserve d’une baisse modérée des émissions du secteur des déchets, on peut donc atteindre les -47,5 % pour les secteurs hors quotas. Il en va différemment des chiffres présentés par la Première ministre qui table plus sur l’industrie et l’énergie, secteurs dans leur grande majorité gérés directement au plan européen via le système d’échange de quotas de CO2, que sur le transport. Ces chiffres me semblent difficilement compatibles avec l’objectif européen d’une réduction de 47,5 % pour les secteurs non soumis au système européen d’échange de quotas, même en utilisant les mécanismes de flexibilité autorisés par la réglementation européenne.

Dans tous les cas, il serait précieux d’avoir un débat correctement documenté au Parlement et dans le public, avant d’inscrire dans la loi les objectifs de la prochaine SNBC et les budgets carbone correspondants (cf. Illustration 1, Émissions par secteur en 2030 (tous GES). Source : rapport Pisani-Ferry, p. 60).

Quelles méthodes de désagrégation utiliser ?

Une façon de hiérarchiser les actions à engager consiste à utiliser le critère du coût de la tonne de CO2eq évitée : s’il en coûte 20 €, de réduire les émissions par l’action A, et 100 € par l’action B, on abat avec la même mise initiale cinq fois plus d’émissions en retenant l’action A plutôt que l’action B. Cette méthode peut-elle être utilisée pour élaborer la SNBC ? On peut apporter trois éléments d’appréciation.

- En premier lieu, dans les secteurs soumis à la régulation européenne du système d’échange de quota, le principe de base repose sur l’action du prix du carbone, qui doit en théorie conduire les entreprises à réduire leurs émissions, sitôt que le coût de réduction passe en dessous du prix du quota. En pratique, c’est un peu plus compliqué pour deux raisons principales : le jeu des allocations gratuites, subventions déguisées aux énergies fossiles, amoindrit l’efficacité du système dans l’industrie ; il est difficile de connaître à l’avance les coûts d’abattement, surtout dans les secteurs où les gains de productivité sont rapides comme les énergies renouvelables (cf.Illustration 2, Graphique 4 Courbes d’apprentissages pour l’éolien et le solaire à l’horizon 2020. Source : Patrick Criqui, Les coûts d’abattement en France, France Stratégie, mai 2023, p. 6). C’est en particulier une question clef pour apprécier l’opportunité économique de relancer aujourd’hui les investissements dans le nouveau nucléaire, dont les coûts de production totaux ne seront pas connus avant 2035-2040. Le risque sera alors, si le projet est effectivement engagé, de renchérir le coût global de l’électron décarboné relativement à celui produit, stocké et distribué depuis des sources renouvelables.

- Dans les secteurs non couverts par le système des quotas, les travaux conduits sous l’autorité de mon collègue Patrick Criqui ont fourni à l’équipe du rapport Pisani-Ferry/Mahfouz, comme aux services de la Première ministre des éléments très précieux sur les coûts d’abattement pour les secteurs du bâtiment, du transport, de l’hydrogène, des énergies renouvelables et du ciment. Il est cependant difficile d’apprécier comment ces éléments ont été intégrés dans les arbitrages entre secteurs. La démarche de la SNBC ne s’appuie, à ma connaissance, sur aucune modélisation explicite en la matière.

- Pour les secteurs de l’agriculture et des changements d’usage des terres, il n’y a pas de travaux publics équivalents à ceux conduits sous la responsabilité de Patrick Criqui. Mon appréciation personnelle est que les émissions spécifiques de l’agriculture et les variations de la capacité d’absorption du CO2 atmosphérique ne peuvent être traitées de la même façon que celles résultant de l’usage des énergies fossiles.

Agriculture et puits de carbone : comment intégrer le « carbone vivant » ?

L’approche par secteurs, très utile, a cependant ses limites. Les secteurs ne sont pas indépendants les uns des autres et l’attribution des émissions à tel ou tel secteur repose sur des conventions. Par exemple, les émissions d’une chaudière à gaz d’un particulier sont comptées dans le secteur bâtiment, mais si la chaudière alimente un réseau de chaleur, c’est une émission du secteur énergie. De même, les émissions résultant de notre alimentation sont disséminées entre l’agriculture, l’industrie, le transport, les logements (conservation et cuisson des aliments), les déchets… D’après l’étude la plus complète sur la question, un peu plus de la moitié de l’empreinte climat de notre alimentation (52 %) résulte des émissions de méthane et de protoxyde d’azote de l’agriculture, auxquelles il convient d’ajouter celles du méthane des décharges en fin de cycle.

Une autre façon de décomposer les émissions est de regrouper toutes celles qui sont liées à l’usage des énergies fossiles – le « carbone fossile » – et de l’autre celles qui sont liées au cycle du « carbone vivant ». Les premières concernent ce qu’il est convenu d’appeler la « transition énergétique ». Pour viser la neutralité climat, il ne suffit pas d’opérer cette transition. Il faut également opérer une seconde transformation systémique concernant les activités travaillant le carbone vivant : l’agriculture, la forêt et la pêche. Or, nous sommes beaucoup moins bien préparés à cette seconde transformation qu’on peut appeler (faute de mieux) la « transition agro-écologique ».

La baisse attendue des émissions agricoles est bien plus modeste que celles visées par les autres secteurs. Elle résulte plus d’aménagements incrémentaux appliqués aux modèles productivistes dominants que de l’amorce d’une transition systémique, conduisant à basculer vers des modèles agricoles reposant sur la diversité du vivant, pour produire de façon résiliente et intensive à l’hectare. Or, c’est bien d’un changement de système dont a besoin l’agriculture pour réduire ses émissions de méthane et de protoxyde d’azote et pour contribuer à la protection du puits de carbone national, en protégeant ses sols vivants pour stocker du CO2.

Car l’évolution la plus inquiétante sur les dix dernières années ne concerne pas le rythme insuffisant de baisse des émissions brutes. Elle résulte de la perte de capacité de stockage de CO2 de notre milieu naturel, qui résulte d’une dangereuse rétroaction climatique. Si la superficie forestière continue d’augmenter, la croissance des arbres subit les effets conjugués des sécheresses, des intempéries, des incendies et de la remontée des maladies et des parasites. Résultat : la capacité du puits de carbone national a été divisée par trois depuis 2005. Elle est tombée de 51 Mt à 17 Mt en 2022 (cf. Illustration 3, Puits de carbone national. Source : Citepa, 2023). La récente régulation européenne fixe à la France un objectif contraignant de stockage de 34 Mt en 2030. Il faudrait multiplier par deux une grandeur que nous avons divisée par trois en une quinzaine d’année !

Cette question du carbone vivant et de la protection du puits de carbone national me semble constituer l’enjeu le plus important des années qui viennent. Elle montre combien l’action pour le climat et celle pour la protection de la biodiversité sont intrinsèquement liées. C’est pourquoi j’en ai fait le fil conducteur de mon prochain livre « Vers une nouvelle économie du climat : abondance, rareté, équité » (parution début octobre).

Christian de Perthuis

Article originellement publié sur le blog de Christian de Perthuis, le 11 juin 2023.

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Lire le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz : ici

Lire le dossier présenté par Elisabeth Borne au CNTE : ici

Article proposé par : Christian de Perthuis Christian de Perthuis Economiste

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Crédits photos : Rapport Pisani-Ferry, p. 60 P.Criqui, Les coûts d’abattement Citepa, 2023

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