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AccueilCorinne LepageLa construction de nouveaux réacteurs EPR ne peut en aucune manière disposer d’un régime dérogatoire

La construction de nouveaux réacteurs EPR ne peut en aucune manière disposer d’un régime dérogatoire

Avec la présentation d'un projet de loi consacré au nucléaire afin d'accélérer la construction de nouveaux réacteurs EPR, l'État choisit le système dérogatoire au risque de ne pas être conforme au droit communautaire. Analyse.

Publié le 28/09/2022

Le gouvernement a présenté ce mardi 27 septembre un projet de loi visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR[1]. À supposer qu’EDF ait la capacité technique de les réaliser - ce qui est loin d’être démontré, ces constructions ne peuvent en aucune manière disposer d’un régime dérogatoire ainsi que le prévoit ce projet de loi. Cela ne serait pas conforme à la Constitution ni au droit communautaire.

Le projet de loi court-circuite le débat public

Tout d’abord, la Charte de l’environnement impose le principe de participation et le Conseil constitutionnel n’a pas hésité au cours des dernières années à en affirmer l’importance. En conséquence, la tenue d’un débat public est un impératif, comme l’a rappelé du reste la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP). Ce débat devrait avoir lieu à la fin du mois d’octobre pour s’achever fin février 2023. Dès lors, comment voter un tel texte sans considérer a priori que le débat public n’a aucun intérêt puisque quel qu’en soit le résultat, la construction de 6 voire 12 nouveaux réacteurs aura lieu dans des conditions dérogatoires ? C’est l’affirmation d’un mépris total à l’égard de cette procédure de concertation, ce qui n’est pas sans rappeler le débat public qui s’était déroulé à propos de Flamanville en 2007, après le vote par le parlement d’une loi autorisant cet EPR.

Dans la même veine, c'est-à-dire celle de ne pas considérer les mécanismes de participation du public, la mise en compatibilité des documents d’urbanisme ne sera pas soumise à enquête publique (article 2) et surtout, les travaux de construction pourront être réalisés sans que l’autorisation de création et l’enquête publique préalable ne soient effectuées. Dès lors, à quoi bon continuer une procédure concernant des travaux déjà réalisés, si ce n’est pour valider une approche totalement fictive de ladite procédure ?

Le principe de précaution en question

En outre les principes contenus dans la charte, en particulier la prise en compte des générations futures - dont le Conseil constitutionnel a récemment affirmé la valeur constitutionnelle, et le principe de précaution sont fortement interpellés par ces réalisations. En effet, outre le fait que la question des déchets n’est toujours pas réglée et que rien ne prouve du reste que pourront être satisfaites les obligations mises à la charge de l’industrie nucléaire pour pouvoir construire de nouveaux réacteurs inscrits dans la taxonomie de transition, les transformations contemporaines posent la question du nucléaire sous un angle nouveau.

D’un côté, la guerre en Ukraine et les menaces qui pèsent sur les centrales nucléaires ukrainiennes témoignent de ce que ces installations deviennent des cibles militaires avec tout le risque qui s’y attache. C’est particulièrement vrai des piscines de refroidissement qui ne sont pas protégées et dont la destruction pourrait entraîner une réaction en chaîne catastrophique.

De l’autre, l’assèchement des rivières et les phénomènes de sécheresse créent une véritable difficulté pour les centrales dites humides qui non seulement ont un impact insupportable pour la biodiversité mais de surcroît sont menacées de devoir s’arrêter, faute d’une arrivée suffisante d’eau pour le refroidissement. Quant aux centrales situées en bord de mer, elles sont évidemment menacées par l’érosion et les risques de submersion. Pour ces raisons, le rapport coûts/avantages change et en toute hypothèse, des études approfondies accompagnées d’un débat qui ne l’est pas moins sont indispensables. Or, comme par extraordinaire, le projet de loi supprime toutes les dispositions relatives à la protection du littoral et en particulier toutes les dispositions concernant les espèces et espaces protégés... Rien que cela.

Un financement incertain

Au niveau communautaire, la situation est encore plus problématique. Sans doute, le règlement délégué du 15 juillet 2022 a-t-il intégré le gaz et le nucléaire dans la taxonomie au courant des activités de transition. Mais, d’une part « activité de transition » ne signifie pas « activité durable » et par voie de conséquence, les règles susceptibles d’être appliquées aux activités durables ne sont pas transposables aux activités de transition. D’autre part, et surtout, ce texte est attaqué devant le tribunal de l’Union européenne et n’est donc pas définitif. Cela signifie très clairement que la France court un risque financier majeur dans le financement de ces installations dans l’hypothèse où le règlement serait annulé. De plus, à propos de la centrale de Doel en Belgique, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a eu l’occasion de rappeler que le prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires, a fortiori la construction de nouveaux réacteurs, était subordonnée au respect des règles concernant la biodiversité, les études d’impact et de manière générale les protections environnementales.

En conséquence, vouloir s’abstraire de ces règles viole de manière évidente le droit communautaire comme il viole le droit interne. Vouloir by-passer[2] la nécessité de justifier d’une raison impérative d’intérêt public majeur est en contradiction totale avec l’importance de l’eau et/ou de la biodiversité. C’est pourtant ce que projette ce texte à l’article 5, puisque automatiquement tous les projets seront réputés avoir répondu à cette raison alors que la démonstration de cette raison exige une étude d’impact préalable.

Un enjeu de décarbonation non résolu

Ce texte, présenté à la dernière minute, en catimini, ce qui traduit évidemment la gêne du gouvernement face à un texte manifestement inacceptable, s’inscrit dans la propagande faite depuis des mois en faveur du nucléaire alors que c’est précisément notre dépendance au nucléaire qui nous met dans l’état de difficulté dans lequel nous sommes, beaucoup plus que la guerre en Ukraine . Cette propagande ne peut effacer l’incapacité d’EDF à terminer Flamanville, à avancer les délais prévus à Hinckley Point, à résoudre les défaillances d’un des deux réacteurs chinois.

Elle ne peut davantage effacer tous les problèmes de corrosion rencontrés par nos centrales et leur indisponibilité ramenant la production du parc nucléaire à 50 % aujourd’hui, avec l’espoir d’un peu mieux en 2023 et 2024, mais sans que la production antérieure ne puisse jamais être retrouvée. Dans ces conditions, les milliards d’euros consacrés à la filière nucléaire au détriment des filières renouvelables et l’efficacité énergétique (pour la bonne et simple raison que nous n’avons pas les moyens de tous les investissements en même temps), risquent de ne résoudre en rien notre équation de décarbonation. Nous sommes largement déficitaires en termes de production aujourd’hui. Notre capacité à disposer de réacteurs à raison de deux paires tous les trois ou cinq ans à partir de 2035 est plus que problématique. C’est la raison pour laquelle la France a droit à un vrai débat dont elle ne peut être privée.

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[1] NDLR. Article Relance du nucléaire : un projet de loi pour accélérer les projets, Sophie Fabrégat, 27 septembre 2022, sur Actu-environnement. Lien vers l’article.

[2] NDLR. Terme anglais signifiant « Contourner, spécialement en électronique et en informatique ». Voir la définition sur les sites de Larousse, La langue française, et Cordial.

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Crédits photos : Kealia

3 Commentaires

Darwin

Le 28/09/2022 à 9h21

Vous avez dit l'essentiel à la fin en précisant que c'est maintenant que nous manquons d'électricité, s'agiter est contre-productif car il y a ce matin, comme depuis 4 mois environ, 55 % du nucléaire français à l'arrêt (voir RTE), l'horizon 2035 peut attendre...
De plus, notre électricité de gros est 3 fois plus chère que celle de l'Espagne depuis que ce pays est sorti du marché européen.
Enfin et surtout, il faut rappeler que le Service des Études Économiques de l'ingénierie d'EDF avait dès 1999, alerté la Direction sur le fait que le format de 1650 MW de l'EPR n'était pas économiquement rentable et techniquement incertain, le format économique idéal était de 1.100 MW.
Cette étude trouve sa confirmation aujourd'hui, où en plein désarroi, EDF propose à Prague un réacteur EPR (sic)de 1200 MW pour contrer les offres de ses concurrents au même format.

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Albatros

Le 28/09/2022 à 11h46

Chère Madame Lepage.
Les projets d'ENR non plus, évidemment !

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Pégase

Le 28/09/2022 à 14h05

Court-circuiter tout débat public quant à l'acceptabilité de ce mode de production d'électricité, présenter un plan de financement et un échéancier trompeurs et cultiver l'art du mensonge est pleinement dans l'ADN de la filière électronucléaire. Sans ce passage en force perpétuel et en piétinant la démocratie, elle n'existerait plus.

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