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AccueilLudovic BrossardLa gouvernance de l'eau à l'ère de l'Anthropocène

La gouvernance de l'eau à l'ère de l'Anthropocène

Dans le cadre de la refonte du schéma d'aménagement et de gestion de l'eau, Ludovic Brossard présente le rôle de cet outil et la manière dont il articule les aspirations des usagers avec les réalités géo-biologiques, face aux désidératas politiques.

Publié le 13/11/2023

À l'ère d'une sobriété qui va s'imposer à tous, l'enjeu est vital de passer du schéma d'aménagement et de gestion des eaux à un véritable projet de territoire. L’enjeu ? Parvenir à des choix collectifs qui respectent le vivant.

Le Schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) est un outil de planification au service d'une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau. S'il existe des schémas directeurs à l'échelle des grands bassins versants, comme le Sdage Loire-Bretagne, ce sont bien les Sages[1] qui déclinent à plus petite échelle les principes et les objectifs de préservation de tous les milieux naturels aquatiques. Tout en assurant l'équilibre entre les différents usages de l'eau.

Dans un contexte de changement climatique et de déficit en eau à court et moyen termes, il s'agit d'un outil de régulation indispensable. Le Sage s'appuie en effet sur des règles particulières qui s'imposent à tous et sur une assemblée délibérante, la Commission locale de l'Eau (CLE) qui élabore et veille au respect de son règlement. Cette CLE est composée de trois collèges : les collectivités territoriales, les usagers (agriculteurs, industriels, propriétaires fonciers, associations, ...), l’État et ses établissements publics.

La gouvernance de l'eau repose sur un entrelacement complexe d'échelles et de compétences portées par des entités souvent publiques. Mais le point de convergence reste néanmoins le bassin versant, dont le Sage administre la singularité. Cette organisation politique détermine la gestion d'un commun et permet de définir une biorégion : un concept qui voit le territoire comme  « un espace avec des limites terrestre et aquatique qui ne seraient pas définies pas des frontières politiques, mais par les limites géographiques des communautés humaines et des systèmes écologiques »[2]. Une idée défendue par le collectif « biorégionaliste » transdisciplinaire, Hydromondes, qui réunit architectes, géographes, ethnologues, artistes ou militants.

Quand nous interrogeons la soutenabilité de nos modes de vies au regard de leurs impacts sur l'eau, penser la transformation écologique nous oblige à définir l'essentiel en cohérence avec la capacité naturelle du territoire qui nous accueille. Après un été 2022, où plus d'un millier de communes ont été rationnées[3] et de nombreuses rivières asséchées[4], la perspective d'un manque d'eau, dû à des épisodes de sécheresses plus longs et plus violents, doit donc nourrir des décisions plus radicales.

Mieux connaitre la ressource pour décider collectivement de la partager

S'il n'est plus question d'interroger le rôle joué par les activités humaines dans le bouleversement du cycle de l'eau comme les déséquilibres biogéochimiques à l'origine du réchauffement climatique, il nous reste un défi majeur à relever en inventant de nouveaux systèmes de valeurs qui permettent de mieux organiser le partage de l'eau. Au-delà des enjeux de régulation des activités humaines et des choix stratégiques qui y sont liées, l'enjeu est aussi de mieux connaitre le milieu et poser démocratiquement les bases d'un questionnement autour du renoncement et du partage.

Quelle quantité d'eau est prélevée aujourd'hui et pourra l'être demain? Quelle place pour le débat et la délibération dans un contexte d'urgence climatique ? Jusqu'où aller pour renaturer des zones humides qui ont perdu leur fonctionnalité? C'est à ces questions cruciales que le Sage du bassin versant de la Vilaine doit aujourd'hui répondre dans le cadre d'une révision qui a débuté en 2022 et amènera au vote d'un prochain règlement en 2026. L'ambition est d’actualiser et renforcer un règlement au regard des évolutions du contexte environnemental et social. Ces évolutions devront d'aller plus loin qu'un simple ajustement technique ou règlementaire, car la crise de l'eau pose aussi des questions sur le rapport que notre société entretient avec le vivant.

Le Sage détermine des mesures de gestion à partir du volume prélevable - volume que le milieu est capable de fournir dans des conditions écologiques satisfaisantes. De nombreux prélèvements sont justement méconnus ou pas contrôlés, notamment sur le bassin versant de la Vilaine. Des études « Hydrologie Milieux Usage Climat » (HMUC) doivent permettre d'améliorer les connaissances sur la ressource en eau. Cela permettra d'ajuster les volumes prélevables sur l'année, tout en permettant d'anticiper les perspectives d'évolution dans le cadre du changement climatique. Le futur règlement du Sage de la Vilaine tiendra compte de ces études et des dépendances à l'eau qu'elles auront mises en évidence. Ainsi, le règlement pourra intégrer de nouvelles prescriptions, par exemple en protégeant intégralement les zones humides, en proposant la suppression de plan d'eau ou en se prononçant sur l'installation d'entreprises fortement consommatrices d'eau.

Dans le cadre de la révision actuelle du Sage Vilaine, différents ateliers ont été proposés au public, afin de recueillir leurs attentes et participer à l'élaboration d'un nouveau règlement. Outre la forte participation du public, c'est finalement la compréhension et l'acceptation des enjeux qui posent la limitation de notre empreinte eau, qui ressort de ces premières étapes de concertation. Ainsi, parmi les attentes exprimées par les habitant.es, on peut noter une attention sur la question des pratiques à faire évoluer et qui impactent les milieux (agriculture, infrastructure, urbanisme…) ou la question d'un meilleur partage de la ressource en eau entre les usages, voire leur hiérarchisation. Des résultats encourageants qui montrent une certaine maturité des citoyens sur la question de la gouvernance des communs.

Un interventionnisme étatique à contre-courant de la gouvernance locale de l'eau

L'ensemble du droit qui régit notre manière d'agencer nos territoires, est fait de grands principes forgés à l’ère d’une supposée abondance. Ce décalage, nous l'observons régulièrement, est un frein aux politiques de transformation écologique que nous menons sur les territoires. L'autonomie que permet la gestion de l'eau, à l'échelle d'un territoire hydrographique, permet de s'en extraire, à condition que cet outil puisse s'imposer à toutes les politiques qui impactent le territoire et que cette échelle de gouvernance reste souveraine. Malheureusement, les controverses autour des usages de l'eau illustrent à la fois le déficit de récit autour de la sobriété et pire l'incohérence des discours et des décisions prises. À défaut de projeter par des politiques de planification une meilleure organisation de la solidarité et du partage en réponse à la raréfaction de la ressource en eau, nous sommes spectateurs des soubresauts d'un héritage productiviste, qui tente encore de s'extraire des limites planétaires. Le développement des bassines en est un exemple. Faute d'interroger des systèmes agricoles et alimentaires qui fragilisent la ressource en eau (usages des pesticides et d'engrais de synthèse, homogénéisation et surspécialisation des paysages alimentaires...), les pouvoirs publics organisent une mal-adaptation comme une réponse de court-terme qui va aggraver l'autonomie alimentaire des territoires comme la préservation de la ressource en eau. Les tensions apparues autour des projets de bassines, comme le projet de Sainte-Soline en mars 2023, plaident ainsi pour un moratoire, ce que proposaient notamment les organisations réunies au sein du convoi de l'eau cet été. L'enjeu étant d'organiser un débat serein et argumenté autour d'une gestion plus solidaire et durable de la ressource en eau. Sans donner suite à cette proposition, les élu.es du comité de bassin Loire- Bretagne, dont le rôle est de débattre et de définir les grands axes de la politique de l’eau dans le bassin Loire-Bretagne, ont proposé de « remettre les gens autour de la table ». Une solution qu'a refusée l'État, qui, par la voix de Sophie Brocas, préfète de la région Centre-Val de Loire et Présidente du Conseil d'administration de l'Agence de l'eau, assume au contraire une accélération des projets de bassine. Comment une instance de gouvernance composée d'élu.es, d'associations environnementales, d'associations d'usagers, peut ainsi être mise à l'écart dans un contexte aussi tendu ? Cette absence de prise en compte de la gouvernance locale de l'eau est un symptôme d'une décentralisation inaboutie de la gouvernance de l'eau. Depuis, des actions en justice d'associations ont permis d'annuler deux arrêtés préfectoraux, portant sur la création et l’exploitation de six méga-bassines en Vienne, Charente et Deux-Sèvres. La voie juridique reste encore, heureusement, une solution pour interroger la cohérence de certaines décisions, mais cela constitue un aveu de faiblesse pour une démocratie environnementale qui ne fonctionne pas.

D'autres exemples questionnent sur le rôle de l'Etat, comme les dérogations, dont font l'objet des entreprises de première transformation dans le cadre des arrêtés sécheresse, en contradiction avec les annonces du Plan eau d'Emmanuel Macron en mars dernier. La position de la France sur l'interdiction du Glyphosate ou les atermoiements autour de l'interdiction de l'usage des néonicotinoïdes montrent un véritable renoncement à assumer des choix pour défendre l'intérêt commun.

Un déficit en matière de débat public, des positions contre l'avis des scientifiques, des décisions à l'encontre de certaines instances démocratiques... difficile dans ces circonstances de ne pas juger l'incohérence des discours quand l'action politique s'éloigne de nos objectifs en matière de sobriété d'usage de l'eau ou de préservation des ressources naturelles. Ce contexte fait craindre un certain manque de considération autour des outils démocratiques de gestion de l'eau comme le Sage. Pourtant, la transformation écologique ne pourra réussir que si la démocratie environnementale est respectée.

Les menaces qui pèsent sur nos organisations sociales et l'ensemble du vivant doivent nous pousser à repenser nos priorités et renforcer des gouvernances basées sur des réalités bio-géophysiques comme les bassins hydrographiques. Les prochaines années nous offrent une brève fenêtre d'opportunité pour limiter au maximum un changement climatique de grande ampleur. La démocratie n'est pas une option, mais bien la seule manière d'assumer des ruptures nécessaires pour assurer l'habitabilité future de nos territoires. Les commissions locales de l'eau, en s'appuyant sur des prérogatives plus élargies notamment sur la maitrise des prélèvements d'eau et en ouvrant mieux ces espaces aux citoyens, sont l'organisation démocratique idoine pour traduire réglementairement le récit de la sobriété sur nos territoires.

Ludovic Brossard


Membre de la Commission Locale de l'Eau du Sage Vilaine.
Vice-Président de la Collectivité Eau du Bassin rennais en charge de l'adaptation au changement climatique, recherche et développement.
Conseiller municipal délégué à l'alimentation durable et l'agriculture urbaine pour la ville de Rennes Technicien agricole.

 

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[1] Aujourd'hui, 54 % du territoire français est recouvert par des SAGEs.

[2] Mathias Rollot et Marin Schaffner, Qu'est-ce qu'une biorégion ? Éditions Wild Project, 2021.

[3] Retour d’expérience sur la gestion de l’eau lors de la sécheresse, Inspection Générale de l'Environnement et du développement Durable, 2022, ici.

[4] France, au 1er août 2022, 1 261 cours d’eau étaient totalement asséchés, avec une mortalité importante des poissons et la destruction de nombreux habitats.

 

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