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L'économie circulaire, pour faire face à la crise

L'économie circulaire a aidé les établissements hospitaliers à faire face à une pénurie d'approvisionnement. Pourra-t-elle aider les entreprises à faire face à la pire des récessions ? Réponse, avec Rémy Le Moigne, Fondateur de Gate C consulting.

Publié le 29/06/2020

Pendant la pandémie de la Covid-19, pour faire face à une pénurie de masques FFP2, Michelin et le CEA1 ont conçu un masque réutilisable équipé d'un filtre interchangeable. Ce filtre peut être lavé et réutilisé vingt fois. Fabriqué par une entreprise lyonnaise et commercialisé avec cinq filtres au prix de 28 euros, il coûte 0,28 euros par utilisation. Comparativement, un masque FFP2 à usage unique coûtait 0,40 euros avant la pandémie, et beaucoup plus depuis.

Si les services hospitaliers et les industriels ont utilisé pendant des années des masques FFP2 à usage unique, il aura fallu attendre la pandémie de la Covid-19 pour concevoir, en seulement quelques semaines, un masque réutilisable dont le coût est moins élevé, l'impact environnemental plus faible et qui est produit localement.

Pour faire face à une pénurie d'approvisionnement dans les hôpitaux, les industriels se sont appuyés sur l'économie circulaire pour concevoir des masques réutilisables. Mais ils se sont également appuyés sur l'économie circulaire pour prolonger la durée de vie des masques à usage unique, remettre à neuf des ventilateurs, donner accès à leurs manuels de réparation internes et imprimer des pièces de rechange pour réparer les équipements médicaux.

Pourtant, quelques semaines après le début de la pandémie, plusieurs organisations professionnelles françaises ont demandé un « moratoire » sur les décrets d'application de la loi contre le gaspillage et pour l'économie circulaire. Elles ont ainsi pu laisser penser que l'économie circulaire ne présentait que peu d'intérêt pour les entreprises. Pourtant, si l'économie circulaire a aidé les établissements hospitaliers à faire face à la crise sanitaire, elle aidera probablement de nombreuses entreprises à faire face à la pire récession économique que l'Union européenne ait connue. Elle les aidera à améliorer leur trésorerie, à réduire le coût des matières et les coûts fixes et à sécuriser leurs approvisionnements.

Améliorer la trésorerie

À cause de la pandémie de la Covid-19, de nombreuses entreprises rencontrent des difficultés de trésorerie. Pour y faire face, elles pourraient utiliser une source de revenue peu exploitée : les stocks de déchets industriels et de produits invendus. Ces stocks ont souvent une valeur élevée mais les acheteurs potentiels, différents des clients traditionnels de l'entreprise, sont difficiles à identifier. Le plus souvent, ils finissent incinérés ou enfouis.

Quelques entreprises parviennent à valoriser leurs stocks de déchets industriels et d'invendus. Le fabricant de produits de consommation P&G par exemple, a réduit ses coûts de 1,8 milliards d'euros en mettant en place une équipe spécifique, chargée de trouver des débouchés à ses déchets industriels et ses invendus. D'autres entreprises se sont appuyées sur des plateformes digitales qui, grâce au big data ou à l'intelligence artificielle, facilitent la mise en relation des entreprises qui possèdent des ressources avec celles qui pourraient les utiliser.

Réduire le coût des matières

Depuis longtemps, les entreprises ont cherché à améliorer la productivité du travail plutôt que celle des matières. Par exemple, en Allemagne, la productivité du travail a été multipliée par 3,5 entre 1960 et 2000 tandis que la productivité des matières a seulement doublé. Pourtant, les ressources matérielles sont limitées et parfois rares, tandis que les ressources en main-d'œuvre sont disponibles.

Les gisements de productivité matière sont nombreux. Par exemple, en Europe, 40 % des espaces de bureaux sont inoccupés pendant les heures de travail et ce pourcentage devrait fortement augmenter avec le développement probable du télétravail. Des produits chimiques, comme les solvants, utilisés dans les procédés industriels, ont souvent un rendement chimique inférieur à 50 %. C'est-à-dire que la moitié du produit chimique devient un déchet sans avoir été utilisé une seule fois.

Pour améliorer la productivité des matières, de nombreux industriels utilisent depuis longtemps le lean manufacturing2, principalement pour réduire leurs déchets. Mais peu d'entre eux mettent en œuvre les stratégies de l'économie circulaire comme l'utilisation de déchets comme des ressources, l'emploi de matériaux recyclés ou la rénovation d'équipements industriels.

Par exemple, en utilisant du matériel médical reconditionné plutôt que du matériel neuf, des hôpitaux néerlandais réduisent leurs coûts et améliorent leurs services. Philips reprend leurs anciens scanners, les reconditionne dans son usine de Best puis les retourne aux hôpitaux. Pendant la pandémie, les hôpitaux ont utilisé des tomodensitomètres qui permettent aux médecins de déterminer si un patient est atteint du coronavirus grâce à une image des poumons. Tirant parti d'une chaîne d'approvisionnement courte, Philips a pu remettre à neuf ces tomodensitomètres en seulement deux semaines, contre six habituellement, et répondre rapidement aux fortes demandes des hôpitaux.

L'amélioration de la productivité des matières sera particulièrement critique pour les entreprises manufacturières de l'Union européenne qui consacre en moyenne 40 % de leurs dépenses à l'achat de matières premières. Pour ces entreprises, les modèles de l'économie circulaire permettraient augmenter leur rentabilité, tout en les mettant à l'abri des fluctuations des prix des ressources. D'ailleurs, selon la Commission européenne, l'économie circulaire permettrait d'économiser 600 milliards d'euros pour les entreprises de l'UE, soit 8 % de leur chiffre d'affaires annuel.

Réduire les coûts fixes

Pour mieux faire face aux incertitudes à venir, les entreprises cherchent souvent à remplacer leurs coûts fixes par des coûts variables. À cette fin, elles ont par exemple externalisé certaines fonctions comme l'entreposage ou le transport. Mais elles pourraient aussi acheter l'usage d'équipements industriels plutôt que les équipements eux-mêmes, ce qu'elles font encore rarement. Des offres de facturation à l'usage sont pourtant disponibles pour un grand nombre d'équipements : compresseurs, pompes, systèmes d'éclairage, machines à laver, chiffons, mobiliers de bureau, solvants, lubrifiants, matelas, imprimantes ou moquettes, pour n'en citer que quelques-uns. Par exemple, l'usine de BASF Coating à Münster, en Allemagne, en achetant à son fournisseur non pas un compresseur mais de l'air comprimé, a pu remplacer ses coûts fixes par des coûts variables et réaliser une économie annuelle de 30 000 euros.

Sécuriser les approvisionnements

Au fil des ans, pour éviter les normes environnementales ou réduire leurs coûts de main-d'œuvre, les entreprises ont déplacé leurs sites de production dans les pays émergents, créant des supply chains3 toujours plus étendues et dispersées.

Tirant parti d'une libéralisation du commerce, des progrès technologiques continus dans les transports et les communications, et d'une forte spécialisation industrielle verticale, ces chaînes d'approvisionnement mondiales sont devenues très performantes. Jusqu'à aujourd'hui. En quelques semaines, la pandémie de la Covid-19 a perturbé la fabrication en Chine, amplifié les restrictions commerciales, interrompu les vols commerciaux, créant des pénuries majeures face à une flambée de la demande.

Pour faire face à cette crise et à celles à venir, les entreprises devront construire des supply chains plus résilientes. EIles devront concevoir des chaînes d'approvisionnement, probablement plus courtes et plus distribuées, qui réutilisent les matériaux et les composants. EIles devront probablement établir, à long terme, de nouveaux partenariats et collaborations non traditionnelles.

Par exemple, pendant l'épidémie de la Covid-19, l'État de Californie a dû faire face à une pénurie de ventilateurs. Les ventilateurs fournissent de l'air aux poumons des patients et aident à prévenir l'insuffisance respiratoire, une cause fréquente de décès chez les patients atteints du coronavirus. Malheureusement, juste au moment où elles étaient le plus nécessaires, les chaînes d'approvisionnement mondiales qui pouvaient livrer toutes ces pièces et produits rapidement, étaient démantelées. Aussi, l'État de Californie a choisi de demander à Bloom Energy, un fabricant de piles à combustible, de remettre à neuf des centaines de ventilateurs usagés qui étaient stockés dans l'un de ses entrepôts, lui permettant ainsi de réduire la pénurie de ventilateurs.

L'économie circulaire ne doit plus être sous-estimée pour faire face à la crise. Pour commencer, les industriels devront rechercher comment l'économie circulaire permettrait de créer de la valeur dans leur entreprise chaque fois qu'ils achètent, transforment ou vendent des matières, des composants ou des produits.

Comme l'a récemment déclaré Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, « une économie plus moderne et circulaire nous rendra moins dépendants et renforcera notre résilience. C'est la leçon que nous devons tirer de cette crise ».

1 Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives
2 Le terme lean sert à qualifier une méthode de gestion de la production qui se concentre sur la ''gestion sans gaspillage'', ou ''gestion allégée'' ou encore gestion ''au plus juste''.
3 C'est l'ensemble de toutes les tâches relatives à l'approvisionnement. Ainsi la chaîne logistique apparaît comme un service clé incluant les achats, les relations avec les fournisseurs, la gestion des stocks, le transport et la manutention.

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