
Avocat spécialiste en droit de l’environnement
Le Grand débat national organisé par le gouvernement, du 15 janvier au 8 avril 2019, devrait aboutir à des décisions publiques concernant la transition écologique, l'un des quatre thèmes des débats où les personnes consultées avaient la possibilité de produire des contributions. Il est donc nécessaire de vérifier si cette procédure dénommée "Grand débat national" respecte les exigences du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.
Cette vérification s'impose d'autant plus que des décisions publiques seront sans doute bien prises en matière environnementale pour donner une suite aux contributions que le gouvernement aura souhaité retenir. La légalité de ces décisions à venir au regard du principe de participation sera alors débattue. Au demeurant, le gouvernement avait conscience de cette nécessité de respecter le principe de participation puisqu'il avait initialement prévu de confier à la présidente de la Commission nationale du débat public le soin de veiller au bon déroulement de ce Grand débat national. Or, cette commission a précisément pour rôle principal de veiller au respect du principe de participation du public.
Des informations préalables manquantes
Il convient tout d'abord de rappeler que ce principe de participation du public constitue l'un des principes directeurs essentiels du droit de l'environnement. Il est consacré en droit européen par la Convention d'Aarhus, en droit de l'Union européenne et en droit constitutionnel à l'article 7 de la Charte de l'environnement. Le principe de participation a ensuite été inscrit dans la loi à l'article L.110-1 du code de l'environnement. Ses principales exigences en droit interne sont décrites aux articles L.123-1-A et suivants du même code.
En premier lieu, le principe de participation du public suppose que les personnes appelées à s'exprimer aient au préalable une information ou, à tout le moins, un droit d'accès à l'information sur les sujets et questions mis au débat. Cela ressort clairement des termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Ainsi, aucune enquête publique ne peut être organisée sans que le public ne soit tout d'abord destinataire d'un dossier d'enquête publique comprenant toutes les informations requises pour une bonne compréhension des enjeux d'un projet. L'organisateur d'une procédure de participation par voie électronique sur un plan ou un programme doit respecter la même obligation. Or, le Grand débat national, sans doute en raison d'une certaine précipitation, n'a pas permis au public de disposer d'une information rigoureuse et de qualité sur les différents thèmes des débats, notamment celui afférent à la transition écologique. Seules de petites notices introductives aux questionnaires étaient disponibles.
Des questions trop fermées
En deuxième lieu, il importe que le public consulté puisse s'exprimer largement et librement. Au cours d'une enquête publique sur un projet, le public a tout loisir de formuler toute observation sur tout aspect dudit projet. Or, au cas présent, les contributions du public ont surtout été orientées par des questions fermées définies par avance, non par une autorité indépendante type CNDP mais par le gouvernement lui-même. S'agissant du thème "transition écologique", certaines questions étaient parfois indigentes, notamment celle hiérarchisant les enjeux de la protection de l'environnement (Quel est aujourd'hui pour vous le problème concret le plus important dans le domaine de l'environnement ?). Ces questions ont souvent appelé des réponses très générales et susceptibles d'interprétations diverses.
Des garants observateurs et peu écoutés
En troisième lieu, le rôle des garants du débat public a été très limité. Pour l'essentiel, ils ont eu un rôle d'observateurs et n'ont pas directement encadré ni même contribué à l'organisation du Grand débat national. Le 8 avril, leur prise de parole a eu pour fonction d'exprimer a posteriori des regrets sur certaines carences du processus, notamment les interventions du président de la République. Il ne semble pas que le processus ait été corrigé en cours de route pour tenir compte des communiqués que ces garants ont pu publier sur le site internet de l'opération. A l'arrivée, les garants n'ont pas édité de rapport qui réunisse et analyse les contributions reçues ni exprimé leur avis sur le fond de ces contributions. La synthèse des contributions et leur interprétation a été directement opérée par l'Etat ce qui n'aurait pas été possible pour un débat public organisé par la Commission nationale du débat public.
Des décisions dont la motivation fait défaut
En quatrième lieu, la participation du public doit être soigneusement distinguée des processus d'information, de mise à disposition, de consultation ou de concertation. La participation du public se caractérise par une association du public à l'élaboration des décisions publiques. Nous nous approchons ici d'un dispositif de co-décision. Pour ce faire, il importe que l'administration puisse motiver ses décisions et indiquer les motifs pour lesquels elle tient compte ou non de telle ou telle observation ou contribution. Or, au cas présent, le Grand débat national a surtout donné lieu à un travail de contributions dans des cahiers de doléances ou en ligne. L'interprétation de ces contributions donne déjà lieu à des interprétations différentes sinon divergentes selon que les commentateurs mettent l'accent sur tel ou tel enjeu. Enfin, pour l'heure, l'Etat n'a pas encore indiqué quelle suite exacte il allait réserver à ces contributions ni comment il allait assurer que la participation du public s'étende à la définition et à la mise en œuvre des choix qu'il s'apprête à faire. Il serait précieux que ces choix de méthode soient exposés avant même que ne commence le débat public.
En conclusion, si, ce 8 avril 2019, le Premier ministre a surtout insisté sur la performance du point de vue quantitatif de ce Grand débat national, il convient de souligner que la participation du public suppose d'en vérifier la qualité au-delà du nombre de contributions reçues et de réunions publiques organisées. Le progrès des procédures de la démocratie directe suppose le respect d'exigences juridiques qui garantissent au public d'être correctement associé à l'élaboration des décisions publiques. Le Grand débat national a certes été organisé rapidement mais il est important d'en tirer les leçons pour prévenir toute régression du droit de l'environnement.