
Avocate fondatrice du Cabinet Huglo Lepage Avocats, ancienne ministre de l’Environnement
Que faut-il penser de la proposition du président de la République de modifier l'article premier de la Constitution pour y introduire la formule suivante : « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique » ?
En dehors des querelles politiques, qui sont en réalité idéologiques et sur lesquelles on reviendra ci-dessous, il convient tout d'abord de s'interroger : cette modification est-elle impactante ou ne l'est-elle pas ?
La Charte de l'environnement adossée à la Constitution a une valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel en a fait de nombreuses applications, notamment par son importante décision en janvier 2020 qui a validé une loi portant manifestement atteinte à la liberté d'entreprendre au motif que cette atteinte est proportionnée et justifiée par le respect du droit à la santé et à l'environnement, deux objectifs de valeur constitutionnelle. Plus récemment, dans la décision du 10 décembre 2020 pourtant négative sur les néonicotinoïdes, le Conseil Constitutionnel a jugé que : « S'il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, il doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement mentionné à l'article 2 de la Charte de l'environnement et ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l'article 1er de la Charte de l'environnement ».
La question qui se pose à présent est donc celle de savoir si la proposition présidentielle améliore ou non l'état actuel du droit tel qu'il résulte de la Charte de l'environnement et de l'interprétation du Haut Conseil.
On peut en douter. Sur le plan symbolique, l'inscription de l'environnement, de la biodiversité et de la lutte contre le dérèglement climatique en préambule (sous forme de considérant et non de règles) à l'article premier de la Constitution apparaît certes comme un progrès. Mais, en réalité, au-delà de l'aspect satisfactoire d'une revendication écologiste, la formule retenue est en fait assez faible. La République n'étant pas une personne, aucune entité juridique ne porte la charge de la garantie. De plus, l'utilisation du seul mot « préservation de l'environnement » sans celui d' « amélioration » qui figure à l'article 2 de la Charte est une régression. En revanche, l'utilisation du mot « garantit » est intéressante car elle crée une obligation qui est quasiment une obligation de résultat. Mais, pour les raisons qui précèdent, nul n'en est responsable.
De plus, si l'on regarde la proposition de loi constitutionnelle portée par Matthieu Orphelin, déposée le 29 juillet 2020, on constate que la fin de la phrase proposée à l'époque « … son action ne pouvant faire l'objet que d'une amélioration constante » semble avoir disparu des radars.
Ce membre de phrase était pourtant intéressant car il renvoyait au principe d'amélioration constante du droit de l'environnement, principe infiniment plus constructif que celui de non-régression. Il introduisait par ailleurs une obligation de résultat dans l'action de progrès constant pour la préservation de la biodiversité, l'environnement et la lutte contre le dérèglement climatique. La suppression de cette partie, si elle était confirmée, renforce l'idée que la modification proposée est en fait très modeste.
Sans être dupe du coup politique organisé et du fait qu'il n' y a quasiment aucune chance que cette modification constitutionnelle puisse intervenir avant la fin du quinquennat (le Sénat ne peut que s'y opposer notamment pour des raisons d'agenda), il faut s'arrêter un instant sur le débat idéologique qui sous-tend le sujet. Car la discussion autour de la modification de la Constitution est bien celle de la priorité accordée ou non aux défis écologiques.
La question à se poser est celle qui nous oblige à savoir si nous pouvons continuer à faire semblant, à prendre de petites mesures et à accepter l'incohérence qui consiste à continuer de financer l'activité carbonée ou à laisser utiliser des produits toxiques pour la santé comme pour l'environnement. La crainte de tous les conservateurs, ou plutôt de tous ceux qui sont incapables d'accepter le changement inéluctable auquel nous sommes confrontés, est évidemment de ne pouvoir continuer, comme par le passé, et se heurter à une impossibilité juridique.
À cet égard, l'arrêt « commune de Grande-Synthe », rendu par le Conseil d'État le 19 novembre 2020, constitue une grande première puisque ce dernier a jugé que les objectifs, en matière climatique, sont contraignants et s'apprécient au fur et à mesure et non pas à la fin de la période prévue pour atteindre l'objectif. Ce qui change tout. Si on y ajoute l'impossibilité de prendre des mesures qui viendraient contrecarrer l'action en faveur du dérèglement climatique, détruire la biodiversité et l'environnement, alors la plupart des investissements actuels apparaîtraient comme illégaux. Ce serait tout à fait logique que ces investissements soient proscrits (outre le fait que leur rentabilité intrinsèque est mise en cause) dans la mesure où on ne peut pas en même temps considérer que l'humanité est en péril du fait du défi écologique et continuer comme si nous avions des décennies d'évolution possibles.
Mais c'est là tout l'enjeu de la transition.
Peut-être que la décision prise le 11 décembre par l'Union européenne de porter à 55 % l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030 va mettre tout le monde d'accord ?
En effet, si cet objectif s'inscrit dans une directive ou un règlement, il deviendra alors obligatoire. À ce titre, il devra être décliné dans toutes les politiques publiques. Or, d'ores et déjà, l'Union européenne avec le système de taxinomie qui a été créée, a mis en place une éco conditionnalité. Ce qui est très novateur, car non seulement les investissements durables sont définis comme tels mais sont aussi définis des investissements qui se révéleraient contraires aux six objectifs définis par l'Union pour permettre de bénéficier du critère de la durabilité. Dès lors, c'est peut-être par la finance que viendra la première contrainte du changement.
Si tel était le cas, les jurisprudences récentes très innovantes de certaines juridictions administratives, comme les jurisprudences qui se dégagent des cours suprêmes sur la carence climatique des Etats, dessineraient un nouveau paysage juridique cohérent avec les stratégies financières. La question de l'inscription au plus haut niveau de nos textes juridiques d'une forme de priorité donnée aux questions climatiques et de biodiversité, ainsi qu'à la santé environnementale apparaîtrait alors comme une évidence. Sans qu'il s'agisse d'exiger de tous, tout de suite, que tous les choix et investissements soient verts, il s'agirait d'interdire qu'ils ne le soient pas, c'est-à-dire qu'ils ne puissent pas contrecarrer les efforts communs de lutte contre le dérèglement climatique et ses conséquences.
Les mois qui viennent permettront de répondre à ces interrogations.