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AccueilELISABETH GELOTSortie du statut de déchetLa sortie implicite du statut de déchet : où en est-on en 2022 ?

La sortie implicite du statut de déchet : où en est-on en 2022 ?

L’avocate Elisabeth Gelot propose une mise en lumière de la procédure de sortie implicite du statut de déchet face aux enjeux du réemploi des déchets. Une initiative, qui se heurte aux contradictions inhérentes au statut lui-même.

Publié le 08/04/2022

Utiliser des déchets en substitution de matières premières dans les processus de fabrication est un des piliers de l’économie circulaire pour le secteur manufacturier. Mais le statut de déchet peut faire obstacle à ce choix d’éco-conception.

Afin de simplifier le recours aux matières premières secondaires, le ministère chargé de l’environnement a reconnu et explicité la possibilité de sortie du statut de déchet implicite (ci-après dénommé « SSD implicite ») dans un avis du 13 janvier 2016[1]. Cette intervention réglementaire avait avant tout pour objectif de soutenir les pratiques existantes - voire anciennes - visant à utiliser des matières recyclées dans les processus de fabrication, en clarifiant leur légalité vis-à-vis des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et des exploitants.

Selon cet avis, trois conditions doivent être remplies lorsque des déchets sont utilisés en substitution de matières premières :

- Les substances, mélanges, articles ou assemblages d'articles produits par l’installation doivent respecter les dispositions des règlements « Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques » (REACH) et « Classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances chimiques et des mélanges » (CLP) ;

- S’il s’agit de substances et de mélanges : ils doivent être similaires à la substance ou au mélange qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets ;

- Les substances, mélanges, articles ou assemblages d'articles doivent avoir été produits dans une « installation de production », et plus précisément dans les installations inscrites à la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), (qu'elles soient soumises à un régime d'autorisation, d'enregistrement ou de déclaration ou non) et dont l'intitulé de la rubrique comprend les termes exacts « production de… » , « fabrication de… », « préparation de… », « élaboration de… » ou « transformation de… ».

On notera que la valeur juridique de cet « avis » publié au Journal Officiel reste inconnue. Le statut de ce texte n’a jamais été éclairci, puisqu’il n’a pas été contesté, et la question de l’opposabilité stricte de cette interprétation aux exploitants d’installation de production reste donc en suspens.

Une révision de ce dispositif était évoquée par la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) en 2020, mais n’est pas intervenue, probablement noyée au milieu de la préparation des textes d’application de la loi Agec.

Pourtant, dans l’intérêt du développement de l’économie circulaire, cette révision est nécessaire et urgente.

En effet, les conditions de la SSD implicite sont tantôt contestables du point de vue juridique (1), tantôt ambiguës du point de vue opérationnel (2), et le dispositif demeure en contradiction avec la jurisprudence européenne (3).

1 - Le passage par une ICPE, une condition encore plus contestable aujourd’hui

L’avis de 2016 prévoit que seuls peuvent bénéficier d’une SSD implicite les substances, mélanges, articles ou assemblages d’articles produits dans une « installation de production », et précise que : « Au titre du présent avis, on entend par « installations de production » les installations inscrites à la nomenclature des ICPE (qu'elles soient soumises à un régime d'autorisation, d'enregistrement ou de déclaration ou non) et dont l'intitulé de la rubrique comprend les termes exacts « production de… », « fabrication de… », « préparation de… », « élaboration de… » ou « transformation de… ».

Cette condition était contestable en 2016 du point de vue du droit européen, mais l’est d’autant plus depuis 2020.

Tout d’abord, cette condition du passage par une installation ICPE pour sortir du statut de déchet résulte d’une surtransposition du droit européen. Elle devait réserver la SSD implicite à des installations soumises à des contrôles et des dispositifs de surveillance, pour permettre aux DREAL de garder un œil sur ces pratiques d’économie circulaire.

Il s’agit d’une condition franco-française qu’on retrouve originellement à l’article L 541-4-3 du code de l’environnement fixant les conditions de sortie du statut de déchet explicite.

Dans la mesure où cette condition faisait obstacle à la sortie explicite du statut de déchet dans de nombreux cas, sa suppression était envisagée en 2018, par le projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français (EAEX1823939L), et a finalement été actée par les parlementaires à l’occasion de la loi Agec adoptée en 2020 (art. 115), qui supprime cette condition du code de l’environnement.

Cette condition a donc disparu du code de l’environnement en 2020, mais l’avis de 2016 quant à lui, n’a pas été modifié.

À ce jour, cette condition n’a donc plus de fondement législatif et est aujourd’hui une condition « contra legem » qui pourrait valablement être contestée si elle était opposée à une SSD implicite.

Ensuite, dans la version de décembre 2020 de sa « Note d’explication de la nomenclature ICPE des installations de gestion et de traitement de déchets », la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) semble assouplir cette condition :

« Les installations qui peuvent être reconnues comme utilisant des déchets comme matières premières dans un procédé de production sont celles qui relèvent de la nomenclature des Installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) (qu'elles soient soumises à un régime d'autorisation, d'enregistrement ou de déclaration ou non), dont l'intitulé de la rubrique comprend les termes « production de... », « fabrication de... » « préparation de... », « élaboration de… » « transformation de… », ou des termes similaires liés à des activités de production. ».

Si on peut saluer cet assouplissement, on regrettera qu’il soit prévu dans une note dont la valeur juridique est probablement inférieure à celle de l’avis publié au Journal officiel. On déplorera également qu’il ne va pas suffisamment loin en maintenant le passage par une installation relevant de la nomenclature ICPE.

Concrètement, cette condition conduit aujourd’hui à exclure du bénéfice de la SSD implicite les boucles vertueuses déployées dans des installations ne représentant pas de risque pour la santé et l’environnement et n’induisant pas de nuisance !

2 - La production d’une substance ou d’un mélange « similaire » : une condition toujours très obscure

Pour bénéficier d’une SSD implicite, l’avis de 2016 impose, si le produit commercialisé par l’installation est une substance ou un mélange, qu’il soit « similaire à ce qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets ».

Cette condition de « similarité », si elle n’a pas de fondement dans la jurisprudence européenne ou un quelconque texte légal, semble trouver un écho à l’article 2, paragraphe 7, point d) de REACH[2].

Selon cette disposition, peuvent être exemptées d’enregistrement pour leur mise sur le marché, les substances déjà enregistrées et valorisées selon un processus de valorisation dans l’Union européenne.

Pour bénéficier de cette exemption d’enregistrement, la substance valorisée doit notamment respecter la condition suivante : la substance qui résulte du processus de valorisation doit être identique à la substance qui a été enregistrée.

Cette condition tenant à la « similitude »[3] d'une substance valorisée et d'une substance déjà enregistrée implique concrètement qu'un enregistrement ait été effectué initialement pour cette substance par un déclarant lors de sa fabrication ou de son importation[4].

On retiendra que cette exemption de REACH a vocation à alléger les formalités pesant sur les matières recyclées. Elle n’a pas pour objet de faire obstacle à la valorisation de substances qui n’auraient pas été préalablement enregistrées et ne constitue pas en droit européen une « condition » de SSD implicite.

Contrairement à ce dispositif d’exemption d’enregistrement de REACH, l’avis du ministère sur la SSD implicite ne prévoit pas que « la substance ou les substances composant le mélange doivent être identiques à des substances d’ores et déjà enregistrées ».

Il prévoit uniquement que la substance ou le mélange mis sur le marché doit être « similaire à ce qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets ».

À défaut de clarification de la part de l’administration (notamment dans le cadre d’une prochaine révision de l’avis de 2016), deux interprétations sont en l’état possibles :

Soit il convient de retenir que la condition de similarité fait maladroitement référence à la condition de similitude prévue par REACH en matière d’exemption d’enregistrement pour les substances valorisées.

Dans ce cas, elle implique que pour bénéficier d’une SSD implicite, les substances doivent avoir été préalablement enregistrées (dans le cadre d’une première fabrication/importation) et que le recours à des déchets n’a pour effet que des impuretés.

Cette interprétation peut être corroborée par le contexte de la reconnaissance en France de la SSD implicite.

Ainsi, l’avis de 2016 du ministère en charge de l’environnement reconnaissant cette possibilité avait pour objectif de clarifier et sécuriser, notamment vis-à-vis des DREAL, le statut des produits issus de process industriels anciens utilisant des matières premières recyclées. Il n’avait pas pour objectif de soutenir l’innovation en matière de valorisation.

Soit il est possible de démontrer plus largement que le mélange est, strico sensu, similaire à ce qui aurait été produit si le fabricant avait eu recours à des matières n’ayant pas le statut de déchet.

Dans ce cadre, il faut que le produit présente des caractéristiques et des risques similaires à ceux présentés si le mélange était issu de matières premières fabriquées ou extraites, et non de matières ayant le statut de déchet. 

Cette interprétation est plus libérale et fait écho aux objectifs de la directive Déchets[5]. Elle vise ainsi à garantir que le mélange bénéficiant d’une SSD implicite ne présente aucun risque sanitaire et environnemental supplémentaire par rapport à des produits fabriqués à partir de matières premières fabriquées ou extraites.

Elle peut être soutenue par le fait que la doctrine administrative :

  • ne fait aucune référence à un enregistrement antérieur ;
  • exige que la substance ou le mélange soit « similaire » à ceux fabriqués sans déchet, et non qu’ils soient « identiques » à d’autres substances ou mélanges fabriqués sans déchet[6].

En pratique, si l’on retient cette interprétation, la condition de similarité pourrait être regardée comme remplie dès lors que le faisceau d’indices suivants peut être relevé :

Premier indice : les informations de sécurité figurant sur la fiche de données de sécurité (FDS) des produits commercialisés sont similaires à celles figurant sur les FDS d’autres produits semblables/comparables fabriqués sans avoir recours à des déchets.

Second indice : les produits respectent une norme produit (NF ou EN), ou sont similaires à une norme produit (notamment s’agissant des seuils d’impuretés). 

Reste qu’aujourd’hui, il est impossible de savoir quelle interprétation doit prévaloir, et si la SSD implicite doit être réservée aux matières recyclées ou peut bénéficier à d’autres matières premières secondaires (terres excavées, cendres de combustion, sédiments, battitures de laminoir, etc.).

3 - Un avis en contradiction avec la jurisprudence européenne

Il est important de rappeler que cette condition de similarité de la substance ou du mélange, mais aussi la condition tenant au passage par une installation ICPE de production résulte d’une interprétation de la jurisprudence européenne par l’avis du 13 janvier 2016 du ministère en charge de l’environnement[7].

Or la jurisprudence européenne, qui a vocation à primer sur le droit national, prévoit quant à elle des conditions plus souples de SSD implicite.

La CJUE a notamment rappelé que le droit de l’Union européenne n’exclut pas par principe qu’un déchet, même dangereux, puisse cesser d’être un déchet au sens de la directive Déchets dans le cadre d’une SSD implicite[8] si l’opération de valorisation permet de le rendre utilisable sans mettre en danger la santé humaine et sans nuire à l’environnement et si, par ailleurs, il n’est pas constaté que le détenteur de l’objet ou de la matière en cause s’en défait ou a l’intention ou l’obligation de s’en défaire.

Tel est notamment le cas si la valorisation se fait sous la forme d’une utilisation conforme à REACH.

La CJUE a également reconnu que les matières premières secondaires (recyclées, traitées ou préparées en vue de leur réutilisation) perdent leur statut de déchet dès lors qu’elles sont utilisées dans un processus de production[9].

Par conséquent, au regard de la jurisprudence européenne, tout produit élaboré à partir de déchets pourrait bénéficier d’une sortie de statut de déchet lors de sa commercialisation dès lors :

  • (1) qu’il a été élaboré dans le cadre d’un processus de production,
  • (2) qu’il est utilisable sans mettre en danger la santé humaine et sans nuire à l’environnement,
  • (3), qu’il respecte REACH (et CLP),
  • et (4) que le fabriquant n’a ni l’intention, ni l’obligation de s’en défaire.

En conclusion : un frein récurrent au développement de l’économie circulaire

Ce dispositif aurait dû et doit soutenir le développement des projets innovants, et des nouvelles filières, et ne pas seulement entériner l’utilisation des déchets recyclés par les fabricants soumis à la réglementation ICPE.

En pratique, cet avis est à l’origine au mieux, d’une insécurité juridique, au pire, d’un frein, et ce depuis six ans !

Ce frein est amplifié par le fait qu’il n’existe pas de procédure de demande de prise de position formelle du préfet[10] ou de procédure de rescrit comme en matière de fiscalité[11] pour sécuriser les pratiques des acteurs économiques ayant recours à ce dispositif.

Subsiste ainsi un doute juridique sur l’applicabilité de ce dispositif et sur l’appréciation de ses conditions, qui empêche de nombreux entrepreneurs de lever des fonds et d’investir en vue de la fabrication de nouveaux produits circulaires.

Avis d’expert proposé par Elisabeth Gelot, avocate en droit de l’environnement

___________________________________________________

[1] Avis ministériel aux exploitants d'installations de traitement de déchets et aux exploitants d'installations de production utilisant des déchets en substitution de matières premières (NOR: DEVP1600319V) JORF n°0010 du 13 janvier 2016.

[2] Règlement (CE) n° 1907/2006 du 18/12/06 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques (Considérants)

[3] C’est le Guide sur les déchets et les substances valorisées de l’ECHA qui qualifie l’exigence de substances identiques de condition de « similitude ».

[4] Guide sur les déchets et les substances valorisées, ECHA.

A noter que cette évaluation relève de l’opérateur de la valorisation, et l’ECHA n'offre aucune confirmation sur la « similitude ». La décision doit être fondée sur la similitude des constituants principaux. En principe, les informations sur les impuretés ne changent pas la conclusion sur la similitude.

Des numéros EINECS et CAS identiques pour les substances sont un indicateur de similitude de la substance. Il faut noter que les variations dans la composition et le profil d'impureté, y compris une variation du pourcentage des impuretés, ne signifient pas nécessairement que les substances sont différentes.

[5] Directive 2008/98/CE relative aux déchets et abrogeant certaines directives.

[6] La similarité désigne des « choses qui peuvent, d'une certaine façon, être assimilées les unes aux autres » (Larousse, 2021), tandis que la similitude implique un « rapport exact entre des choses » (Larousse, 2021), à rapprocher du terme « identique » visé par REACH et qui désigne ce « qui est parfaitement semblable à (..) quelque chose d'autre, qui présente exactement les mêmes caractères ».

[7] Le Ministère a pu le rappeler in extenso : « La sortie implicite du statut de déchet est une notion jurisprudentielle, interprétée dans l’avis au JO du 13 janvier 2016. ». Source : intervention de Mme Elora Barillot, chargée de mission statut de déchet DGPR/BPGD « Statut de déchet, fin du statut de déchet, sous-produit », à la Table ronde du PNTTD le 20 décembre 2019.

[8] CJUE, 7 mars 2013, Aff. C‑358/11, « Lapin elinkeino ».

[9] CJUE, 19 juin 2003, aff. C-444/00, « Mayer Parry Recycling Ltd ».

[10] Décret n° 2020-634 du 25 mai 2020 portant application de l’article L 1116-1 du CGCT.

[11] Article L. 80 B-1° du LPF.

 

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