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AccueilRégis BanquetTransfert des digues domaniales : le dossier n’est pas clos

Transfert des digues domaniales : le dossier n’est pas clos

Régis Banquet, vice-président d’Intercommunalités de France en charge de l’eau et président de Carcassonne Agglo revient sur la question sensible du transfert de gestion des digues de l’État – ainsi que leur financement – aux collectivités.

Publié le 29/02/2024

Le 29 janvier, l’État est passé en force pour transférer la gestion de ses digues aux intercommunalités, compétentes pour la prévention des inondations. Cette opération bâclée s’est faite sans transfert de ressources à la hauteur des besoins. Sur les digues, la position de l'État a été « Courage ! Fuyons ! ». Nous ne pouvons pas en rester là : la sécurité des Français est menacée par le changement climatique, la solidarité nationale doit jouer à plein pour que les intercommunalités puissent assumer leur rôle d’autorités organisatrices de la transition écologique.

L’État avait dix ans pour préparer le transfert aux intercommunalités des digues dont il avait la charge. C’est dix ans depuis la loi MAPTAM qui a confié aux intercommunalités une compétence très vaste de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi), incluant la gestion des systèmes d’endiguement, et donc des digues de l’État.

En lui donnant de délai de dix ans pour transférer ces digues, le législateur avait vu venir les coups. En 2014, personne n’était capable de dire quel était le linéaire de digues domaniales, estimé entre 1 000 et 1 500 kilomètres, ni leur état.

Une situation ubuesque

On n’en sait guère plus aujourd’hui : l’État a conduit ses évaluations en catastrophe et a transféré la gestion de 850 kilomètres d’ouvrages pour lesquels il n’a pas toujours achevé les travaux de mise en conformité. Très probablement, certaines digues ont été oubliées. D’autres ouvrages ont été transférés, alors qu’ils ne présentent pas d’intérêt pour les systèmes d’endiguement des intercommunalités.

La négociation des conventions de transfert s’est déroulée dans une situation ubuesque, dans certains territoires sans visibilité sur ce qui était transféré, et avec un bricolage par l’État des compensations qu’il devra verser aux intercommunalités pour mettre en conformité les ouvrages.

Or cette question des moyens est centrale. D’abord les moyens d’investir : le chiffre de 15 milliards d’euros de travaux a été évoqué par le conseil national d’évaluation des normes (CNEN), dans un avis du mois de septembre 2023. Le fonds Barnier pourra financer une partie de ces dépenses, sous des conditions restrictives. Le reste sera à la charge des intercommunalités.

Il y a également les moyens humains et les dépenses de fonctionnement pour assurer la surveillance et l’entretien des digues. Ceux-ci manquent cruellement.

La taxe Gemapi est censée financer ce reste à charge local, mais elle n’a pas été conçue pour cela. Même si près de la moitié des intercommunalités l’ont instaurée pour un produit de 275 millions d’euros, elle reste insuffisante et inadaptée face à l’ampleur des besoins.

Les élus n’ont pas le choix

Dans ces conditions, les négociations ont pris du plomb dans l’aile. L’État y a donc mis fin. Comment ? En menaçant de couper les aides si les conventions de délégation de gestion n’étaient pas signées au 28 janvier 2024. Il l’a fait via la publication de décrets non concertés, sur lesquels le CNEN a rendu un avis défavorable et pour lesquels il n’est pas impossible que le juge administratif, à terme, prononce une annulation.

Cette méthode brutale et stupéfiante tranche avec l’enjeu de la prévention des inondations. Des vies sont menacées, surtout face au risque de rupture de digues mal entretenues. Un Français sur quatre et un emploi sur trois sont exposés au risque inondation. Les dégâts sont coûteux et traumatiques pour les victimes, comme l’ont dramatiquement montré les inondations de l’automne dans le Pas-de-Calais.

Dans ce contexte, les élus locaux feront ce qui doit être fait : ils n’ont de toute façon pas le choix.

Revenir au projet de territoire

Cet épisode malheureux ne remet pas en cause le bien-fondé des transferts. Si la compétence Gemapi a été une innovation législative mal vécue – là encore, la méthode était regrettable –, l’idée n’en est pas moins intéressante. Avec la Gemapi depuis 2018 et l’achèvement du transfert des compétences eau potable et assainissement aux communautés de communes en 2026, les intercommunalités auront à leur main tous les leviers d’une politique globale de l’eau.

C’est le moyen de reconnecter les enjeux de l’eau avec ceux de l’environnement, de l’aménagement, de l’économie… Et donc de les inscrire dans un projet de territoire, débattu et concerté, qui nous permettra de préserver l’eau, de nous en protéger si nécessaire, et d’arbitrer entre ses usages.

Plus globalement, la question des digues est l’arbre qui cache la forêt ; la prévention des inondations est loin de s’y limiter et les intercommunalités auront besoin de soutiens financiers et d’ingénierie pour adapter nos territoires au changement climatique. Perméabilisation des sols, solutions fondées sur la nature, zones d’expansion des crues… sont autant de leviers pour faire face.

Face aux enjeux du réchauffement climatique et pour mettre en œuvre la planification écologique, c’est une chance que l’intercommunalité soit devenue en quelques années cette autorité organisatrice de la transition écologique dont nos territoires ont tant besoin.

L’intercommunalité, c’est la bonne maille, c’est le bon niveau d’intervention. Parce que ses élus et ses agents connaissent leur territoire mieux que personne et parce que les intercommunalités ont la taille critique qui permet d’agir efficacement et de manière cohérente.

La solidarité nationale doit jouer

Doit-elle porter seule cette responsabilité ? Dans le cas des digues, certainement pas.

La compétence Gemapi souligne la question de l’échelle de la solidarité : les intercommunalités concernées disposent d’un linéaire de digues important sur leur territoire, dont la remise à niveau excèdera leurs capacités financières, alors que ces ouvrages protègent des enjeux dépassant largement le cadre du bassin de vie. Il faudra également faire face à l’intensification des aléas du fait du changement climatique. Bref, l’impact financier pour les intercommunalités n’est pas connu.

Renouer le dialogue

Accepter ce transfert, les intercommunalités y sont contraintes. Mais, aujourd'hui, il n’est plus possible de retarder, discuter ou réfléchir : le temps de l’action est venu. Chacun a le devoir d’agir, et en particulier les intercommunalités.

Le problème, c’est qu’il faudra passer à l’action rapidement ce qui demandera de l’énergie, de la détermination, du courage et de l’argent. Et notamment le courage politique de consacrer des milliards d’euros au grand plan national de protection qu'il faut mettre en place pour la résilience des territoires et la protection des populations. Ces milliards, les intercommunalités ne les ont pas. Il faudra jouer collectif, avec l'État, mais aussi d'autres partenaires comme les régions et les départements pour boucler le financement de ce plan.

Nous avons besoin de renouer le dialogue sur la Gemapi. Il est indispensable que l’État accompagne les élus dans la durée, et au moins jusqu’en 2035. Non seulement sur les ouvrages qu’il leur a transférés, mais sur l’ensemble des 9 000 kilomètres de digues du pays. Il doit le faire dans le cadre d’une contractualisation à la bonne échelle pour intégrer les solidarités de bassin. Il reviendrait ainsi à l’esprit de la loi MAPTAM et à l’intention du législateur, qui prévoyait d’organiser ce transfert sur une base contractuelle.

À terme, c’est bien d’un transfert de ressources pérennes dont nos intercommunalités auront besoin. Avec le transfert des digues domaniales, l’État n’a pas fait de cadeau. Le changement climatique n’en fera pas non plus. Les discussions des élus avec l’État ne se sont donc pas closes le 29 janvier. Elles ne font que commencer.

Régis Banquet

Vice-président d’Intercommunalités de France en charge de l’eau
Président de Carcassonne Agglo

 

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1 Commentaire

Mangouste

Le 01/03/2024 à 14h48

Quelle honte ! L'Etat se dédouane de sa responsabilité en matière de risques naturels en forçant les collectivités à prendre en charge la gestion des digues dites "de l'Etat". Ces collectivités auront-elles les moyens humains et financiers et l'expertise technique nécessaire pour assumer cette nouvelles compétence ? Tant qu'on y est, pourquoi ne pas confier l'entretien de ces digues à des partenaires privés ? Il y va pourtant de la sécurité de milliers d'habitations et de leurs habitants. Ce n'est plus une décentralisation, c'est une débandade.

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