Si les principaux acteurs français opèrent un démantèlement normalisé, en Europe, d'autres acteurs pratiquent une destruction globale. La mise en place d'une réglementation spécifique limiterait ces pratiques et permettrait d'augmenter le recyclage.
Il s'agit encore d'"un marché de niche", souligne Martin Fraissignes, président de l'Afra qui regroupe 75 membres du secteur principalement américains et européens (à l'exception d'Airbus) dont Boeing, Safran, Embraer, Bombardier, Rolls Royce et General Electric. Mais le potentiel est bien là. L'Afra estime à près de 12.000 le nombre d'avions commerciaux à détruire d'ici quinze ans au niveau mondial. Dans la même période, le transport aérien devrait augmenter de 5% par an pour passer à 36.000 appareils en circulation. "Aujourd'hui on considère que 75% d'un avion est récupéré. Les travaux de l'association internationale vise à porter le taux de recyclage à 90 % d'ici 2016", souligne M. Fraissignes. Les membres de l'association démantèleraient environ 150 avions commerciaux par an. Ce qui représenterait un tiers des 400 à 450 appareils mis au rebut chaque année. Soit au total plus de 7.000 avions déconstruits par l'Afra depuis 2006.
Malgré les milliers d'avions hors d'usage dans les prochaines décennies, les métaux pouvant être récupérés des carcasses est négligeable et représente "une goutte dans l'océan" par rapport aux métaux automobiles, estime Olivier Malavallon d'Airbus. D'après un rapport de l'Ademe datant de 2006 cité par M. Malavallon, 5.000 tonnes de déchets sont générées par les avions hors d'usage par an contre 1,2 millions de tonnes issues de voitures individuelles arrivées en fin de vie. Ce qui représenterait "un ratio des déchets d'avions de 0,2% du volume des voitures et 0,4% de l'ensemble des moyens de transport."
Conséquence : le coût du recyclage varierait entre 30.000 et 150.000 euros en Europe, du fait du coût assez élevé de la main d'oeuvre. "Les activités de stockage et de dépose d'équipement sont rentables alors que les activités de démantèlement et de déconstruction sont plus ou moins financièrement équilibrées", analyse M. Malavallon. Et de rappeler que la société Tarmac a fondé son modèle économique à 70% sur les revenus tirés du stockage et de la maintenance d'avions et seulement 30% sur l'activité de déconstruction. Selon La Dépêche, Philippe Fournadet, PDG de Tarmac, a annoncé en juin 2012 avoir plus que quadruplé son chiffre d'affaires en trois ans (passé de 1,7 à 7,7 millions d'euros). L'activité de démantèlement représente ainsi un quart du C.A, le restant étant assuré par les activités de stockage et de maintenance.
Autre frein majeur : la filière est fragilisée face à l'absence pour l'heure de législation spécifique de la fin de vie des avions civils. "Ce manque peut générer quelques points de blocage", souligne l'Ademe : ainsi, les aéroports sur lesquels se trouvent des avions immobilisés, suite à un abandon de la part du propriétaire ou à la faillite d'une compagnie aérienne, ne sont pas légalement en mesure de les prendre en charge. Résultat : l'aéroport peut autoriser un ferrailleur local à démanteler en bout de piste l'avion en fin de vie.
"Il faut savoir que le démantèlement des avions se fait encore en Europe par des sociétés issues du secteur automobile et de la casse industrielle. Malgré des obligations réglementaires, ces casseurs démantèlent un appareils de plus de cent tonnes comme un A300 en seulement trois jours, à la pelle mécanique par trois personnes. C'est rapide, c'est brutal et pas du tout sélectif ni efficace. Ces pratiques perdurent dans les aéroports où l'avion a eu un problème et est accidenté ou dans les aéroports qui ne sont pas dotés d'espaces dédiés au démantèlement", déplore M. Malavallon. "Ce n'est pas productif en termes financiers et en termes d'impact environnemental. Or, on arrive à des taux de recyclage sur ce type d'avions traités qui dépasse rarement les 45% en masse sachant que l'essentiel est dans des containers fortement mélangés". Le ratio de mélanges notamment entre les différents alliages d'aluminium - qui composent les trois quarts d'un avion - "sont pourtant cruciaux pour la valorisation et le réemploi de ces matières. En d'autres termes, si vous dépassez un cap de plus de 3% d'un alliage zinc-aluminium ou à base de cuivre, la valeur de rachat sera très fortement dégradée car le fondeur va devoir diluer cet alliage et ne pourra pas utiliser cet aluminium en tant que tel", relève l'expert d'Airbus. "L'objectif est de vendre au mieux ces matériaux en meilleure quantité et de réduire les risques. Un avion n'est pas un déchet unique mais une somme de déchets".
Vers des normes internationales de recyclage des avions ?
L'enjeu, via la réglementation, est de prévenir la vente des pièces de seconde-main pouvant réintégrer la chaîne d'approvisionnement sans avoir fait l'objet des vérifications appropriées. "Le premier souci du secteur aérien est de prélever les pièces en toute sécurité dans le respect des recommandations des constructeurs car il y a parfois un marché douteux autour de ces pièces d'occasion", relève le président de l'Afra. Une pièce sans traçabilité pourrait perdre jusqu'à 90% de sa valeur. "Le second élément est de détruire l'avion dans le respect de l'environnement au sein de plateformes spécialisées. Il s'agit également de maximiser la quantité de matériaux recouvrés. Aux Etats-Unis, l'industrie mondiale se prive de ces dizaines de tonnes d'aluminium, de cuivre et de métaux précieux qu'il serait plus intéressant de réutiliser", selon lui, au lieu de les stocker ou les enfouir…
Rachida Boughriet
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