
JJ : Je conçois très bien que ce soit le cas pour les personnes qui ne prêtent attention au problème du climat qu'à travers ce qu'en dit la presse grand public. Celle-ci reste - et cela ne me gêne en rien - la tribune de ceux qui sont sceptiques vis à vis d'un rôle effectif des activités humaines sur notre climat. En revanche, je pense que pratiquement tous ceux qui prennent le temps d'approfondir leur approche de cette question, d'accéder à l'information que notre communauté scientifique met à leur disposition, deviennent rapidement convaincus que nous sommes face à un vrai problème, comme l'est désormais cette communauté de façon presque unanime. Je vous en assure le diagnostic du 3ème rapport du GIEC - le Groupe Intergouvernemental d'experts sur le changement Climatique - sur cette question ''des preuves plus récentes et plus concluantes permettent de dire que la majeure partie du réchauffement observé au cours des 50 dernières années est due aux activités humaines'' s'appuie sur une série d'arguments extrêmement solides.
AE : Limiter le réchauffement moyen de la Terre à 2 °C, en réduisant très fortement la teneur de l'atmosphère en gaz carbonique d'ici à 2050 reste-t-il, selon vous, réalisable ?
JJ : Le gaz carbonique n'est pas le seul composé qui participe à l'augmentation de l'effet de serre lié aux activités humaines mais c'est le premier contributeur. Comme il reste longtemps dans l'atmosphère, la stabilisation de l'effet de serre passe par celle de la concentration du gaz carbonique. Pour garder l'espoir de limiter le réchauffement à 2°C par rapport au climat actuel, il ne faudrait pas que cette concentration aille au-delà de 450 ppm parties par million (nous en sommes à 380). Ceci requiert que les émissions de gaz carbonique - qui représentent près de 7 milliards de tonnes de carbone par an (GtC/an), largement liées à l'utilisation des combustibles fossiles charbon, gaz naturel et pétrole - n'excèdent pas 10 GtC/an en 2020, redescendent à leur valeur actuelle vers 2040 puis diminuent rapidement vers 2 GtC/an d'ici la fin du siècle. C'est un immense défi auquel j'adhère pleinement en tant que climatologue* mais il faut bien le reconnaître la bataille n'est pas gagnée d'avance...
AE : Peut-on voir dans la canicule de juillet 2006 un signe concret du réchauffement ?
JJ : Les données de l'été 2006 ne sont pas encore disponibles mais je pense que la question vaut tout autant, sinon plus, pour l'été 2003 dont je rappelle qu'il a été, en France, entre 4 et 5°C plus chaud que la moyenne des étés du XXème siècle (sur la période juin, juillet, août). En fait l'été 2003 exceptionnellement chaud sur l'Europe de l'Ouest au point que des scientifiques suisses ont calculé qu'un tel été n'avait qu'une chance sur 50.000 de survenir. Ce caractère réellement exceptionnel rend difficile d'attribuer ces conditions climatiques aux activités humaines. Il est intéressant de noter qu'à l'échelle planétaire, ce sont les années 1998 et 2005 qui ont été les plus chaudes.
AE : Quelles pourraient être, à terme, les manifestations du changement climatique ?
JJ : Les modèles climatiques montrent que la température moyenne de surface pourrait augmenter de 1,4 à 5,8 °C durant la période 1990 - 2100. De façon schématique, l'importance du réchauffement projeté en 2100, dépend pour moitié du comportement à venir de nos sociétés et, pour l'autre, de celui du système climatique. Le réchauffement minimal correspond au scénario le plus économe et à le sensibilité climatique la plus faible tandis qu'une sensibilité forte et un scénario extrême conduiraient au réchauffement le plus élevé.
Il faut bien réaliser qu'un réchauffement moyen de 3°C - la moitié de celui que notre planète a connu depuis la dernière période glaciaire - nous plongerait dans un climat très différent de celui que nous connaissons. Et certaines régions se réchaufferaient plus fortement, jusqu'à de 8 à 10°C dans l'Arctique. Cela se traduira par une modification des écosystèmes d'autant que le régime des précipitations en serait modifié. Ainsi, en France, le climat risque en fait d'être plus sec au sud, et plus pluvieux au nord ; les évènements extrêmes comme les tempêtes pourraient être plus fréquents, et l'enneigement diminuer sur les reliefs alpins. Au niveau global, certaines régions sont avant tout vulnérables à l'élévation prévisible du niveau de la mer, d'autres à une augmentation possible de l'intensité des grands cyclones, d'autres encore à des sécheresses plus intenses. Enfin le changement climatique aura des répercussions sur la santé humaine.
AE : Vous êtes partie prenante du nouveau projet Ipics 5 qui se met en route dans le cadre de l'Année polaire internationale (2007-2008). Quels en sont les objectifs ?
JJ : Le forage glaciaire EPICA nous a permis de forer une carotte qui couvre les 800.000 dernières années. Notre espoir dans IPICS est de remonter encore plus loin dans le temps, si possible au-delà de 1,2 million d'années période où le rythme des changements climatiques était différent de celui que la terre a connu au cours des dernières centaines de milliers d'années.
* Jean Jouzel spécialiste de la reconstitution des grands changements climatiques à partir de l'analyse des glaces de l'Antarctique et du Groenland est membre du GIEC, directeur de recherche au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement du CEA, et directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace. Il est notamment co-auteur des ouvrages :
- ''Le climat : jeux dangereux''
[Jean Jouzel, Anne Debroise] chez Dunod.
- ''Climat : Chronique d'un bouleversement annoncé''
[ Didier Hauglustaine, Jean Jouzel] aux éditions le pommier.